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L'ardoise vis-à-vis du fisc que Johnny Hallyday laisse à ses héritiers

"Laeticia Hallyday hérite aussi des dettes de son époux: un redressement fiscal de plusieurs millions d'euros qui n'est toujours pas réglé."

Avant de mourir, Johnny Hallyday a donc décidé de désigner comme seule héritière sa dernière femme Laeticia, a-t-on appris lundi 12 février. Toutefois, cet héritage contient aussi une dette qu'il lui faudra rembourser en plus des droits de succession: un redressement fiscal de plusieurs millions d'euros, toujours en cours d'examen par la justice.

Tout avait commencé en 2007. Johnny devient alors résident fiscal suisse (il deviendra résident américain à partir de 2013). Mais il doit continuer à payer des impôts sur ses revenus générés en France. Il possède notamment en France deux sociétés, Artistes et promotions SAS et Pimiento Music SAS. La première reçoit les revenus de certaines tournées, la seconde détient les droits sur 93 chansons, et toutes deux exploitent aussi son image. Ces deux sociétés rapportent des revenus copieux. La première lui a versé 8 millions d'euros de dividendes entre 2003 et 2008, et la seconde 682.640 euros entre 2006 et 2010. 

Optimisation fiscale exotique

En 2007, Johnny met en place un montage exotique d'optimisation fiscale pour que ces dividendes ne soient plus imposés en France, et très probablement nulle part. La propriété de ces deux sociétés est transférée vers une holding luxembourgeoise, Nerthus Invest SA, détenue elle-même à Gedar SA, une autre holding immatriculée dans un autre paradis fiscal, le Liberia, et contrôlée par Johnny lui-même.

Ainsi, Johnny utilise une disposition du code des impôts français qui permet de ne pas payer d'impôts sur les dividendes si ces derniers sont envoyés vers un autre pays de l'Union européenne. En théorie, ces dividendes doivent alors être taxés dans l'autre pays européen. Mais Johnny utilise en parallèle une niche fiscale luxembourgeoise, celle des Soparfi (Sociétés de participations financières), pour éviter de payer des impôts dans le Grand duché...

Johnny assurait être fauché

Un an plus tard, le fisc notifie deux redressements pour la période 2007-2009. Il estime que Johnny n'avait pas droit à l'exonération des dividendes, qui auraient donc dus être taxés en France à hauteur de 15%. Humiliation suprême: le fisc inflige des pénalités de 80% pour "abus de droit", estimant que le chanteur avait voulu délibérément échapper à l'impôt. Artistes et promotions SAS se voit infliger un redressement de 2,54 millions d'euros (pénalités incluses), indiquent les comptes de cette société. Pimiento Music SAS reçoit un redressement de 139.105 euros (pénalités incluses), indique une décision de justice (cf. ci-dessous).

L'ex-idole des jeunes remporte toutefois une petite victoire. Il conteste son redressement devant le tribunal administratif de Paris, arguant ne pas être "le principal instigateur ou bénéficiaire" du montage. En mars 2015, le tribunal lui donne raison sur ce point, et ramène les pénalités de 80% à seulement 40%. Mais le tribunal, dans un jugement accablant, maintient le reste des redressements (cf. extraits ci-dessous). Johnny fait alors appel –une procédure toujours en cours lors de son décès.

Toutefois, l'affaire prend ensuite un tour grotesque. Johnny demande à la justice un sursis pour le versement au fisc des 139.105 euros de redressement de Pimiento Music SAS. Il prétextait très sérieusement ne pas avoir de quoi payer cette modeste somme: ce paiement "contraindrait Pimiento Music SAS à se déclarer en état de cessation de paiement à brève échéance en l’absence d’actifs susceptibles de couvrir la dette d’impôt réclamée". Insensibles à cet argument, les juges ne croient pas à la misère du chanteur et observent que la trésorerie de Pimiento Music SAS s'élève à 207.631 euros fin 2015. Ils le déboutent en appel en 2016, puis en cassation en 2017.

Montage complexe

Mais ce n'est pas tout. Un autre redressement a eu lieu concernant les tournées de notre rocker national. Dans ce cadre, le fisc a infligé un redressement de 12,4 millions d'euros à une autre société du chanteur, Navajo SARL, avec là encore des pénalités pour "abus de droit", indique une décision de justice (cf. ci-dessous). Le redressement porte sur l'impôt sur les bénéfices et la TVA de cette société sur les années 2007 à 2010.

Créé en 2007, Navajo SARL s'est notamment occupé de la tournée M'arrêter là (2009-10). Précisément, cette tournée était produite par une société en participation détenue à 80% par Navajo SARL, le solde appartenant à Johnny Hallyday et à la société de son producteur, Jean-Claude Camus Productions SAS. Elle était au coeur d'un montage complexe: Johnny avait vendu pour 12 millions d'euros son droit à l'image à Navajo SARL, qui avait ensuite mis à disposition ce droit à l'image auprès de la société en participation.

Raid surprise du fisc

Las! En décembre 2010, le fisc effectue des raids surprises au siège des différentes sociétés de Johnny à Vaucresson (Artistes et promotion SAS, Navajo SARL, Pimiento Music SAS...), mais aussi chez Renaud Belnet, son avocat fiscaliste. A Vaucresson, le fisc saisit notamment une note de Michel-Pierre Boutin (autre avocat fiscaliste de Johnny) à Pierric Carbonneaux le Perdriel (comptable de Johnny) intitulée: "Note sur les aspects fiscaux de l’organisation de la tournée des stades de 2009". Comme l'indique une décision de justice:

"Cette note informait la société Navajo des risques pesant sur le montage mis en place, compte tenu de l’absence de substance de la société Navajo. Cette note exposait un montage ayant pour objet l’interposition d’une société soumise à l’impôt sur les sociétés, pour faire échapper la quote-part des résultats de la société en participation à l’imposition sur le revenu entre les mains de l’artiste. La note expose également que 'si chacun des éléments de la structure paraît correctement traité, comme constitutive d’un abus de droit, tant sa finalité pourrait apparaître comme uniquement destinée à réduire au maximum la charge fiscale de Johnny Hallyday'. Sont ensuite répertoriés [dans la note] les points sur lesquels l’administration fiscale pourrait fonder son argumentation, axés sur le gain fiscal et l’absence de substance de la société Navajo".

Bref, avec cette note, le fisc comprend à la fois l'objectif du montage, et ses failles... d'où le redressement salé infligé à Navajo SARL. Les avocats de Johnny argueront bien que cette note est couverte par le secret professionnel, mais ils ont été déboutés en mai 2018 par la cour d'appel de Versailles (cf jugement ci-dessous). De même, Renaud Belnet, arguant de sa qualité d'avocat, conteste aussi le raid, mais la cour d'appel d'Aix-en-Provence le déboute.

Entre temps, Johnny s'est fâché avec Renaud Belnet, qui a été révoqué de son mandat d'administrateur de Nerthus Invest SA en 2009. Johnny s'est aussi fâché avec Pierric Carbonneaux le Perdriel, qui avait pris la présidence de la plupart de ses sociétés, dont Artistes et promotion SAS et Pimiento Music SAS. Depuis 2012, les sociétés de Johnny étaient dirigées -en tous cas sur le papier- par Elyette Boudou (82 ans), grand-mère de Laeticia...

NB: l'article a été mis à jour en octobre 2018

Les dividendes versés par les sociétés de Johnny (en euros)

Pimiento Music SAS 2006: 177.640 2007: 200.000 2008: 130.000 2009: 125.000 2010: 50.000 2011 à 2013: 0

Artistes et promotion SAS
2003: 1.358.340
2004: 350.000
2005: 0
2006: 4.500.000
2007: 1.500.000
2008: 400.000
2009 à 2013: 0

Source: comptes sociaux

Ce que le fisc reproche à Johnny Hallyday

"L’administration fiscale a estimé que Pimiento Music SAS, en versant les dividendes à la société luxembourgeoise Nerthus Invest, a participé à un montage ayant pour seul but d’éluder l’impôt, à savoir, de faire échapper M. Jean-Philippe Smet [Ndlr: vrai nom de Johnny Hallyday], résident fiscal suisse, à l’application d’une retenue à la source de 15%. Selon l'administration, ce montage a consisté dans la mise en place d’une chaîne de participations par l’interposition de cette société Nerthus Invest, elle-même détenue par la société Gedar, contrôlée par M. Smet et ayant son siège au Libéria, et à laquelle, le 9 mai 2007, M. Smet a cédé tous les titres qu’il détenait dans Pimiento Music SAS. L’administration a relevé l’absence de toute substance de la société Nerthus Invest, dont les bilans ont révélé l’absence de moyen matériel et de salarié. Nerthus Invest ne détient de participations que Pimiento Music SAS et dans la société Artistes et Promotion, et notamment pas dans les sociétés ayant géré les tournées ultérieures de M. Smet. Nerthus Invest ne réalise aucun chiffre d'affaires, se borne à comptabiliser les remontées de dividendes de ses filiales, et ne dispose que d’une faible trésorerie. Il résulte des documents saisis que les dividendes versés par Pimiento Music SAS à la société Nerthus Investment étaient immédiatement reversés à M. Smet par la société Nerthus Invest, sous couvert de la société Gedar. L’administration en a conclu que M. Smet est le bénéficiaire réel des dividendes, seul un intérêt fiscal justifiant l’interposition de la société Nerthus Invest, qui constituée sous forme de Soparfi, n’était pas imposable au Luxembourg sur lesdits dividendes, ces dividences ayant par ailleurs été distribués en exonération d’impôt [en France] grâce à l’interposition des sociétés Nerthus Invest et Gedar. Ainsi, grâce à ce montage, les dividendes en cause ont été distribués par Pimiento Music SAS en franchise de retenue à la source, alors que celle-ci aurait, en l’absence de montage, été appliquée au taux de 15%" (extrait du jugement du tribunal administratif)

Jamal Henni