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L'audacieux ultimatum de TF1 à Orange, SFR, Free et Canal Plus

Gilles Pélisson a déclaré vouloir augmenter les reversements reçus des opérateurs télécoms

Gilles Pélisson a déclaré vouloir augmenter les reversements reçus des opérateurs télécoms - François Guilllot AFP

Aujourd'hui, les opérateurs télécoms versent au total près de 10 millions d'euros par an à TF1. La chaîne la plus regardée de France veut multiplier cette recette par dix à compter de 2017, menaçant implicitement de retirer la diffusion à ceux qui refusent ses nouvelles conditions financières.

Les opérateurs télécoms ont récemment reçu une proposition attractive de TF1. Baptisée TF1 Premium, cette offre proposera aux abonnés des opérateurs des services alléchants: regarder la chaîne en très haute définition (4K), revenir au début du programme après son démarrage (start over), enregistrer les programmes dans le cloud (network PVR), et bien sûr revoir les programmes à la demande après leur diffusion (catch up ou replay), ce qui se fait déjà.

Gilles Pélisson l'avait laissé entendre en avril

Mais les telcos sont tombés de leur chaise en regardant le prix de cette nouvelle offre: elle est près de dix fois plus chère que ce qu'ils payent actuellement, certes pour moins de services (essentiellement le replay).

TF1, qui reçoit actuellement une dizaine de millions d'euros cumulés de tous ses distributeurs (Orange, Free, SFR Numericable, CanalSat), souhaiterait désormais toucher une centaine de millions au total, tous distributeurs confondus. Une stratégie clairement assumée par le nouveau PDG Gilles Pélisson, qui affirmait le 26 avril, lors des résultats du premier trimestre: "Accroître les revenus provenant de notre distribution est un sujet auquel nous voulons nous attaquer dans un futur proche".

Problème: les opérateurs (câble, satellite et ADSL) n'ont aucune envie de mettre la main à la poche. D'autant que ces coûts supplémentaires pourront très difficilement être répercutés sur leurs abonnés, déjà habitués à ne pas payer pour le replay.

Petite révolution

Jusqu'à présent, si TF1 et l'opérateur n'arrivaient pas à s'entendre, ce dernier disposait d'une porte de sortie: il pouvait ne pas commercialiser les services additionnels de type replay, mais continuer à diffuser gratuitement la Une. C'est cette porte de sortie que TF1 veut aujourd'hui supprimer. La filiale de Bouygues propose désormais aux opérateurs un package global comprenant à la fois la diffusion de la Une et ces nouveaux services, de manière indissociable. En clair, si un opérateur ne souscrit pas à la nouvelle offre, il pourrait perdre les services comme le replay (ce qui n'est pas trop gênant), mais aussi la diffusion de la Une (ce qui l'est bien plus). Autrement dit, TF1, même si elle ne le formalise pas de façon claire, tente apparemment de faire payer aux distributeurs la diffusion de la chaîne elle-même. 

Une petite révolution, car aucune chaîne gratuite n'a jamais fait cela en France. Cette pratique est en revanche courante aux États-Unis, en Allemagne ou en Grande-Bretagne, pour des raisons historiques ou juridiques. Et elle génère dans ces pays de confortables revenus pour les chaînes. Qui plus est, "avec une forte marge, car cela ne représente pas d'investissement supplémentaire pour la chaîne, explique Adrien de Saint Hilaire, analyste financier chez Morgan Stanley. Aux États-Unis, ces carriage fees prélevés auprès des câblo-opérateurs représentent 20% à 30% du chiffre d'affaires des groupes de télévision, soit souvent plus que la publicité elle-même".

En Allemagne, le chiffre d'affaires provenant de la distribution s'est ainsi élevé en 2015 à 112 millions d'euros chez ProSieben, et à 248 millions d'euros chez son homologue RTL Group. Tandis qu'il se chiffrait à 188 millions de livres chez le britannique ITV. Selon Adrien de Saint Hilaire, TF1 pourrait ainsi engranger 70 millions par an.

Vent debout

Évidemment, les opérateurs n'ont aucune envie de se laisser faire. "Déjà, TF1 touche l'intégralité des recettes des publicités insérées dans le replay, et ne participe aucunement au coût de diffusion de sa chaîne sur les réseaux: achat de bande passante, etc. Surtout, si un opérateur accepte de payer pour diffuser la Une, immédiatement après les 25 autres chaînes de la TNT vont lui en demander autant", dit un opérateur, qui ajoute: "TF1 voudra-t-il vraiment se fâcher avec les opérateurs télécoms, qui sont de très gros annonceurs?".

D'autres avancent des obstacles juridiques. D'abord, faire payer la chaîne aux distributeurs implique que tous soient logés à la même enseigne, y compris les plus petits comme Fransat, qui assure la diffusion par satellite des chaînes TNT dans les zones de montagne non couvertes en hertzien terrestre. Ensuite, TF1 achète les droits de films, de séries, de matches... pour une diffusion gratuite, et non payante. "Faire payer la Une est-il bien conforme aux contrats passés avec les ayants-droits?", se demande un distributeur.

Vide juridique

Reste que les textes en vigueur n'ont apparemment pas prévu ce cas. Aucun texte n'autorise à faire payer TF1, mais aucun texte de l'interdit non plus. Légalement, les distributeurs ont juste l'obligation de diffuser auprès de leurs abonnés les chaînes hertziennes gratuites (must carry). "Jusqu'à présent, les chaînes TNT étaient gratuites pour le distributeur. Mais si elles deviennent payantes, cette obligation de must carry devient intenable", dit un opérateur. 

Enfin, en cas de conflit, TF1 hésitera sans doute à aller jusqu'au bout et à retirer la diffusion de la Une à un distributeur, car cela réduirait l'audience de la Une. En effet, il y a de plus en plus de foyers qui ne reçoivent plus TF1 en hertzien terrestre mais uniquement par câble, satellite et ADSL. Ainsi, selon le CSA, près de 40% des foyers reçoivent la télévision seulement par câble, satellite ou ADSL.

Bref, tout cela promet une belle partie de poker menteur d'ici fin décembre, date à laquelle expirent les contrats actuels entre TF1 et ses distributeurs.

Interrogés, TF1 n'a pas souhaité faire de commentaires, tandis que Orange, Free et SFR Numericable n'ont pas répondu.

Jamal Henni