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L'audiovisuel veut faire payer le trafic internet

La ministre de la Culture Fleur Pellerin aux rencontres cinématographiques de Dijon

La ministre de la Culture Fleur Pellerin aux rencontres cinématographiques de Dijon - BFM Business

Pouvoirs publics, professionnels du cinéma et fournisseurs d'accès sont tous d'accord pour instaurer un péage sur la bande passante consommée par Netflix et consorts.

Comment faire payer le géants de l'internet? Les professionnels du cinéma, réunis ce week end à Dijon, pensent avoir enfin trouvé une bonne piste: faire payer le trafic internet consommé -appelé aussi bande passante.

En effet, pour accéder aux internautes français, les sites étrangers ont besoin d'un tuyau qui va jusque chez l'internaute. Ce tuyau est fourni par les fournisseurs d'accès, comme Orange ou Free. L'idée est donc d'instaurer un péage à l'entrée du réseau internet français. Et le site web qui refuserait de payer verrait son trafic bloqué...

"Netflix a une adresse en France"

Cette piste a fait l'objet d'un consensus de toute la filière lors des rencontres cinématographiques de Dijon dans une offensive coordonnée destinée visiblement à inscrire le sujet à l'agenda politique.

Les géants du Net "sont saisissables par leurs consommateurs, mais aussi par la territorialisation des réseaux", a ainsi plaidé Frédérique Bredin, présidente du CNC (Centre national du cinéma).

"Il y a un risque de préemption de la bande passante que nous devons réguler", a abondé Olivier Schrameck, président du CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel).

Rodolphe Belmer, directeur général de Canal Plus, a enfoncé le clou: "ces acteurs ne sont pas insaisissables. La diffusion internet est physique, car elle passe par les réseaux des fournisseurs d'accès. Netflix a construit une tête de réseau à Paris (chez Telehouse) boulevard Voltaire. Il suffit de s'adresser non pas à son adresse postale (aux Pays-Bas), mais à sa tête de réseau". 

Pas d'atteinte à la neutralité du net

Cette piste, qui avait été développée dès 2011 par le rapport sur la télévision connectée, présente moult avantages. D'abord, elle apparaît plus praticable que les autres pistes étudiées: taxe sur la publicité, refonte de l'impôt sur les bénéfices... Ensuite, elle est soutenue par les fournisseurs d'accès eux-mêmes. Free, par la voix de son directeur général Maxime Lombardini, a soutenu l'idée: "il faut qu'on ait la possibilité de facturer la bande passante aux gros acteurs. Il y a un consensus pour faire payer les gros consommateurs de bande passante". Il a rappelé que "Free était en pointe", avec ses tentatives de faire payer YouTube. 

Mais cette piste se heurte aussi à plusieurs obstacles. D'abord, est-ce une atteinte à la neutralité de l'internet? Non, à en croire les professionnels de la profession. Pour Olivier Schrameck, "la neutralité du net ne doit pas faire obstacle à la rémunération des fournisseurs d'accès, dès lors qu'ils mobilisent une grande part de leur bande passante" pour acheminer le trafic de Netflix et consorts... Maxime Lombardini abonde: "cela ne remet pas en cause la neutralité du net, qui ne peut pas se transformer en autoroute gratuite" pour les géants du web. Seul Canal Plus plaide clairement pour une discrimination du service reçu par l'internaute.

La question qui fâche

Autre problème: comment instaurer ce péage en pratique? Instaurer un rapport de force marche avec Orange, qui a réussi à faire payer Google, mais pas avec Free, qui a échoué. Maxime Lombardini appelle donc à l'aide les pouvoirs publics: "on n'a pas encore trouvé de moyen juridique de forcer Google à payer. Un début de réglementation serait une bonne chose". Quant au gendarme des médias, il renvoie la balle au gendarme des télécoms: "cela relève principalement de l'Arcep, et pourrait donc être un terrain de coopération entre nos deux autorités", a plaidé Olivier Schrameck. 

Mais les professionnels de la profession, soucieux de ne pas écorner cette belle unanimité, n'ont pas abordé la question qui fâche: une fois ce péage instauré, où ira l'argent? Restera-t-il dans la poche des fournisseurs d'accès, ou bien sera-t-il reversé en partie à l'audiovisuel?

Sans surprise, la seule voix discordante est venue de... Netflix: "nous voulons garder un internet ouvert. Nous ne sommes pas pour une autoroute plus rapide pour certains", a expliqué Janneke Slöetjes, directrice des politiques publiques pour l'Europe. 

Netflix: Free dénonce les collabos

A Dijon, le directeur général de Free Maxime Lombardini a pointé du doigt tous ceux qui ont fait affaire avec Netflix. "La résistance nationale est tombée assez vite. Nos concurrents ont rendu les armes en quelques semaines", en acceptant "de gagner beaucoup moins d'argent qu'avec Canal Plus".

Côté producteurs français, "les détenteurs de droits font aussi la queue chez Netflix", alors que "les producteurs français n'avaient rien voulu vendre à Free Home Vidéo", le service de vidéo-à-la-demande par abonnement de Free. "Et le politique a été très absent, avec un discours faible".

Maxime Lombardini s'est donc interrogé: "soit l'on veut préserver le modèle actuel, soit la priorité est le profit rapide".

Il a regretté d'autant plus cette "résistance assez faible" que "nous avions une forte capacité à maîtriser notre futur", grâce à la présence importante des box en France. "Sans les box, les services over-the-top auront des difficultés à aller chez les gens".

Toutefois, le seul fournisseur qui n'a pas signé avec Netflix n'a pas voulu injurier l'avenir: "Free signera aussi si demain nous avons un bon contrat..."

Jamal Henni à Dijon