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Energie

L’autre révolution du travail

De l'organigramme à l"écosystème. Le mode de fonctionnement de l'entreprise en 2050 ?

De l'organigramme à l"écosystème. Le mode de fonctionnement de l'entreprise en 2050 ? - Pixabay

Énième conséquence de la digitalisation de la société, l’entreprise telle que nous la connaissons fait face à des pressions multiples de la part de ceux qui y travaillent. Pour trouver ou retrouver sa place dans la cité de demain, elle devra être en phase avec ce monde qui n’en finit pas de changer…

Quand on interroge divers spécialistes de la prospective, sur l’avenir du travail, les conclusions convergent. N’en déplaise à Pierre Dac, à qui on prête cette pensée célèbre: "La prévision est un art difficile, surtout lorsqu'elle concerne l'avenir", il existe un véritable consensus sur ce que serait travailler demain.

S’il faut rester prudent face à certaines d’entre elles, c’est à dire prendre en compte des signaux faibles extrapolables, sans céder à la tentation de l’utopie, deux grandes conclusions se dégagent. Celles-ci sont ressenties comme des pressions pour l’entreprise, c’est à dire la remise en cause, à terme, d’un modèle de fonctionnement tel que nous le connaissons depuis l’après-guerre.

Le modèle classique de l’entreprise, un modèle condamné ?

Philippe Durance est prospectiviste, professeur au Conservatoire National des Arts & Métiers (CNAM), titulaire de la chaire Prospective et Développement Durable. D’après lui "beaucoup se détournent de l’emploi vers le travail. La nuance est faible mais il s’agit dans ce cas de trouver un métier avec du sens pour l’individu".

"Du sens", c’est un peu le fourre-tout dans lequel chacun peut se retrouver. Le sens des uns n’étant pas forcément celui des autres… Plus précisément, il semblerait que le modèle actuel de l’entreprise soit trop souvent perçu comme: vertical, rigide, complexe et au management démultiplié, pour ne pas dire verrouillé. Ce à quoi il faut ajouter tous les à-côtés: déplacements quotidiens dans des zones urbaines toujours plus denses, temps passé hors du domicile, pression des horaires, culture du "présentéisme"… autant de facteurs qui incitent certains à envisager d’autres modèles de travail.

Philippe Canone, responsable de la prospective de la fonction Ressources Humaines à l’Association Nationale des Directeurs Ressources Humaines (ANDRH), précise "certaines fonctions sont difficilement réalisables autrement que dans l’entreprise. Je pense aux tâches de production qui seront, à terme robotisées certes, mais qui aujourd’hui ne peuvent être sorties des murs de l’entreprise. Notons que cette automatisation va aussi conduire à une disparition de 20% des métiers actuels". 

Mais en face de ce constat "en creux", c’est une autre approche du travail que recherchent bon nombre de personnes. Travailler à des horaires personnels -ou naturels-, collaborer en mode projet, concilier temps personnel et temps de travail, pouvoir être nomade, ou moins se déplacer, être évalué sur les résultats et pas sur la méthode ou sur le temps passé… la liste est longue.

Mais elle interroge l’entreprise "classique" car c’est son écosystème qui est en train de se métamorphoser.

Sans le numérique, rien n’est possible

Un fois de plus, c’est la digitalisation de la société qui révolutionne ses modes de fonctionnement. Toutes les nouvelles formes de collaboration avec l’entreprise -dira t-on encore "travail" en 2050?-, télétravail, co-working, utilisation des tiers-lieux, entrepreneuriat individuel, temps partagé… ne sont envisageables que grâce à une technologie performante: celle qui relie les personnes.

Et l’une d’elles, c’est la visio-conférence, un outil qui préserve ce lien si nécessaire, celui de se voir et se parler. Gérard Beraud-Sudreau, Vice-Président de Polycom France précise : "la visio-conférence est devenue une norme, surtout pour les plus jeunes qui en ont une pratique naturelle, presque innée. Pour autant, la qualité audio et vidéo de cet outil doit être, pour l’utilisateur, très qualitative, sinon il s’en détourne" et de rappeler que "déjà certaines entreprises, utilisent cet outil à des fins aussi importantes que le recrutement, la formation ou l’animation de leur réseau de partenaires, clients ou fournisseurs". 

L’avenir de la visio-conférence, c’est sans doute une expérience immersive. Une salle de réunion dans laquelle personnes présentes et personnes distantes se retrouvent, en taille réelle, sans se soucier de l’angle de la caméra ou de la qualité du son. Ces outils pourraient bien donner toute leur utilité aux tiers-lieux ou espaces de co-working, en les rendant très performants et hyper-connectés. Un seul bémol indiqué par Gérard Beraud-Sudreau, "le prix qui est actuellement très élevé. Mais en 2050, ce sera sans doute très démocratisé".

Tout va bien dans le meilleur des mondes ?

Pas si vite ! Si l’entreprise de 2050 aura participé à la résolution de problématiques de congestion des villes, d’heures perdues en transports, en même temps qu’elle sera devenue plus agile, plus performante et plus productive -en animant un écosystème plutôt qu’un organigramme- ; aura rendu obsolètes des sujets tels que la disparité hommes-femmes, refondu un dialogue social et bien d’autres perspectives telles qu’imaginées et décrites dans un numéro spécial de la revue de l’Agence Nationale pour l'Amélioration des Conditions de Travail (ANACT) ; elle pourra aussi accoucher de conséquences moins nobles. "Tout cela n’est pas si neutre" préviens Philippe Canone, "cette transformation n’est pas garantie 100% vertueuse et de nouvelles méthodes d’exploitation pourraient bien naitre". En entendant ces mots, on pense bien sûr à l’effacement de la frontière temps de travail-temps personnel, qui pourrait bien générer le meilleur comme le pire. Mais aussi au fait que cette transition profiterait d’abord aux professionnels "diplômés-agiles-mobiles-technophiles-urbains" plus qu’aux métiers de la production et moins cols-blancs.

L'entreprise a-t-elle le choix ?

À suivre donc. Mais, ce qui est déjà acquis, c’est que ces transformations, clairement identifiées, ébranlent déjà le modèle de l’entreprise. "C’est du rôle et de la place du travail dans la société moderne dont il va s’agir" affirme Philippe Durance. Vieux débat, s’il en est, mais la nouveauté, ce sont les échéances plus courtes. Numérique oblige. 

De quoi poser bien des challenges à ceux qui ont en charge la gestion de la ressource humaine. Top management et RH, qui, au mieux "y réfléchissent, expérimentent", au pire "sont désemparés", selon les deux experts interrogés.

Car, sur ce point, la majorité des entreprises seraient plutôt suiveuses. Tant la mise en œuvre de ce changement pose des questions de sécurité, de financement, d’identité. De culture. 

Qui a dit que changer était simple ?!

Yves Cappelaire