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L'écolo slovène qui a fait plier le cimentier Lafarge

L'usine de Lafarge implantée dans une gorge du centre de la Slovénie, près de la ville de Trbovlje, est arrêtée depuis 2015.

L'usine de Lafarge implantée dans une gorge du centre de la Slovénie, près de la ville de Trbovlje, est arrêtée depuis 2015. - Jure Makovec - AFP

Après des années de lutte, un agriculteur slovène a obtenu la mise à l'arrêt d'une usine du géant Lafarge dans sa vallée, qui mettait "potentiellement en danger la santé des citoyens".

Lorsqu'il a vu nicher des hirondelles sous le toit de sa grange, Uros Macerl s'est dit que le combat contre la pollution industrielle incrustée dans sa verte vallée slovène n'avait pas été vain. Ses opposants voient en cet agriculteur de 48 ans un "éco-terroriste", ses supporters un héros écolo, couronné cette année par l'une des plus prestigieuses récompenses internationales en matière d'environnement, le prix Goldman.

Ce prix qu'il a reçu fin avril à New York distingue presque quinze années de mobilisation pour obtenir la mise à l'arrêt, intervenue en 2015, d'une usine du cimentier français Lafarge implantée dans une gorge du centre de la Slovénie, près de la ville de Trbovlje.

D'aussi loin qu'il se souvienne, Uros Macerl a toujours vu suffoquer cette vallée qui compte aussi une fabrique de verre, une usine chimique et une centrale à charbon, pourvoyeuses de centaines d'emplois. Enveloppées dans un brouillard sale, les collines alentour voyaient leur neige immaculée tourner au noir en une journée, se souvient cet homme qui a grandi dans la ferme familiale.

"Le ciment se vendait comme de l'or à l'époque"

Les choses se sont aggravées, explique-t-il, lorsque Lafarge a repris en 2002 la cimenterie locale, installée depuis plus d'un siècle: en un an, la concentration dans l'air de benzène, une substance cancérigène, a fait un bond de plus de 250%. En cause, selon l'agriculteur: une intensification de la production et un processus industriel brûlant du coke de pétrole -un résidu du raffinage-, puis des déchets -une alternative aux combustibles fossiles régulièrement présentée comme une solution de recyclage. "On a augmenté la production pour augmenter les bénéfices, le ciment se vendait comme de l'or à l'époque", affirme Uros Macerl.

En 2012, un rapport de l'OCDE constatera un "taux de cancer plus élevé" que la moyenne chez les habitants de la vallée, décrite comme un haut-lieu de pollution de l'air, dans un pays par ailleurs réputé pour sa nature préservée et qui se présente en petit paradis vert de l'Europe.

Fausses couches régulières des bêtes

Après l'arrivée de Lafarge dans la vallée, Uros Macerl, éleveur de brebis et de moutons, est confronté aux fausses couches régulières de ses bêtes. Ses interventions auprès des responsables de la cimenterie pour leur exposer "la situation intenable sur les collines" restent sans effet. Avec le collectif de défense de l'environnement Eco-Krog, l'agriculteur commence à rassembler des mesures de pollution de l'air qui révèlent également que l'usine outrepasse les volumes de production autorisés. Les autorités locales font aussi la sourde oreille car Lafarge à l'époque "fournit de l'emploi, sponsorise les clubs de sport, investit dans les hôpitaux et les infrastructures", décrit le militant.

En 2009, Uros Macerl découvre qu'il a une autre carte à jouer: la cimenterie a déposé une demande de permis d'incinérer des plastiques et des pneus, or une parcelle de ses terres tombe dans le périmètre concerné par le permis, lui ouvrant le droit d'agir en justice. S'ensuivent des années de procédures en Slovénie et à Bruxelles, jusqu'à ce que la sanction tombe en février 2015: la Commission européenne renvoie la Slovénie devant la justice de l'UE car l'usine fonctionne dans des conditions qui "mettent potentiellement en danger la santé des citoyens". Dans la foulée, le gouvernement slovène ordonne en mars 2015 à Lafarge de cesser la production de ciment à Trbovlje.

"Il n'y avait jamais eu d'hirondelles ici"

Le cimentier français, qui a fusionné en 2015 avec le géant suisse Holcim, affirme avoir toujours appliqué les règles environnementales "les plus rigoureuses", en conformité avec la législation européenne. L'entreprise estime que le jugement de la Commission est contraire "aux décisions des experts" prises par l'Agence slovène pour l'environnement et par le gouvernement. À Trbovlje, Edi, un retraité, constate que "les gens n'ont plus de travail", même si "d'un point de vue santé, c'est plus sage". Pour Mojca, une commerçante qui ne comprend pas trop l'entêtement de l'agriculteur, l'arrêt de la production "n'a rien changé aux conditions" environnementales dans la vallée. En 2016, la centrale à charbon a également cessé son activité.

Uros Macerl, qui a provisoirement rangé ses kilos de paperasse judiciaire, savoure le changement: "Il n'y avait jamais eu d'hirondelles ici mais depuis que Lafarge a arrêté sa production, elles ont fait leur apparition. Nous avons 16 ou 17 nids dans notre grange".

N.G. avec AFP