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L'épidémie de coronavirus en Chine peut-elle sonner le glas de la mondialisation?

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- - NOEL CELIS / AFP

L'épidémie met une nouvelle fois en lumière la concentration des moyens de production de l'industrie en Chine. De quoi faire réfléchir les entreprises du monde entier pour envisager des relocalisations?

L'épidémie liée au nouveau coronavirus, qui perturbe l'approvisionnement des entreprises à travers le monde, a relancé le débat sur la mondialisation des chaînes de production et le besoin de relocaliser les usines. Mais est-ce bien réaliste?

Le ministre français de l'Economie, Bruno Le Maire, a été l'un des premiers hommes politiques à lancer mardi un appel aux multinationales pour qu'elles "tirent les conséquences" de l'épidémie, qui a mis plusieurs usines à l'arrêt en Chine et compliqué l'approvisionnement dans d'autres pays.

"L'épidémie du coronavirus est un 'game changer' dans la mondialisation", un événement qui change la donne, a-t-il assuré à la presse au cours d'une visite en Grèce, soulignant "la nécessité impérative de relocaliser un certain nombre d'activités et d'être plus indépendant sur un certain nombre de chaînes de production".

La cheffe économiste de l'Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), Laurence Boone, a pour sa part rappelé le "rôle très important" de la Chine dans l'économie mondiale. "Le fait que les personnes ne puissent pas aller travailler ou qu'elles travaillent moins, que l'on ferme certaines usines ou certains services, on réduit mécaniquement la production", a-t-elle expliqué mardi sur BFM Business. 

Du côté des industriels, l'idée d'une relocalisation, bien aidée en France par les mesures de soutien au secteur, a fait son chemin. "C'est sans doute la fin d'un cycle" explique sur BFM Business Bruno Grandjean, le président du directoire du Groupe Redex, très présent en Chine. "Peut-être on va changer de modèle économique".

Vers des relocalisations? "Oui, mais..."

Alors le coronavirus est-il en train de changer la donne dans les échanges internationaux, qui se sont accélérés depuis plus d'une trentaine d'années, faisant de la Chine la plus grande usine du monde? Les opinions divergent.

Pour Jacques Aschenbroich, PDG de l'équipementier automobile Valeo, les industriels n'ont pas attendu l'épidémie pour se poser cette question. "Ce n'est pas ce phénomène-là qui nous fait nous interroger" assure-t-il sur BFM Business. Ce mouvement a débuté avec "les relations un peu difficiles entre l'Amérique du nord et la Chine". Et désormais, la question qui se pose est de savoir si l'on se dirige vers une régionalisation de la supply chain. "La réponse est oui, mais..." détaille Jacques Aschenbroich.

"On ne peut pas le faire si les coûts sont supérieurs" insiste le patron. "Aucun de nos clients, aucun de nos consommateurs n'acceptera de payer plus cher. Donc il faut qu'on trouve des solutions qui nous permettent finalement d'avoir le beurre et l'argent du beurre. C'est-à-dire quelque chose de plus régional, donc de moins risqué… mais à des coûts qui ne soient pas supérieurs."

Résultat, les relocalisations vers la France, si elles existent bien, ne sont pas encore légion. A chaque coup dur, la question revient sur la table mais force est de constater, et l'épidémie du coronavirus le démontre, que les moyens de production sont encore en grande partie en Chine. Et les coups de boutoir de Donald Trump contre Pékin depuis trois ans n'ont pas vraiment changé la donne.

"Malgré le coronavirus, toutes les raisons de fond qui expliquent la mondialisation perdurent", affirme Julien Marcilly, chef économiste de l'assureur-crédit Coface à l'AFP. "Il y aura toujours d'énormes écarts de coût du travail entre les pays et il y aura toujours des besoins d'approvisionnement en matières premières."

Une évolution qui durerait des années 

Pour Sébastien Jean, Directeur du CEPII, le virus "vient renforcer des questions qui se posaient déjà en lien avec l'incertitude géopolitique créée par les tensions de politique commerciale, en particulier depuis l'élection de Donald Trump" explique-t-il à l'AFP. "L'épidémie, dans le contexte d'incertitudes géopolitiques de plus en plus fortes, ne peut que renforcer les incitations des entreprises à en tenir compte et adapter leur stratégie pour limiter leur exposition à ces tensions", estime-t-il.

Selon lui, la réaction ne se produira toutefois pas dans l'immédiat. "On parle d'une modification des stratégies qui s'étalerait sur les années qui viennent. Il y aura une influence sur les décisions d'investissements à l'avenir", prédit-il. Face aux difficultés d'approvisionnement, les multinationales ont parfois eu recours au système D pour fournir leurs usines.

Le constructeur automobile britannique Jaguar Land Rover a, par exemple, été contraint d'importer dans des valises des pièces détachées de Chine.

Le groupe français Sanofi vient pour sa part d'annoncer son intention de regrouper en une nouvelle entreprise autonome certaines de ses activités européennes dans les principes actifs pharmaceutiques, dans le contexte de dépendance croissante des laboratoires mondiaux vis-à-vis de la production asiatique.

Quand des crues au Thaïlande provoquaient une pénurie de disque durs

L'épidémie rappelle les dangers que peut représenter la concentration de la production. En 2011, de violentes inondations en Thaïlande avaient submergé les usines de disques dur du pays, qui produisait un quart des productions mondiales. Il a fallu des mois au secteur informatique pour se remettre totalement de ces inondations.

Thomas Leroy avec AFP