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L'ex-dauphin de Maurice Levy perd son procès contre Publicis

Jean-Yves Naouri voulait succéder à Maurice Levy au poste de président du directoire

Jean-Yves Naouri voulait succéder à Maurice Levy au poste de président du directoire - Eric Feferberg AFP

"L'ancien numéro 2 de Publicis, révoqué en 2014, réclame 20 millions d'euros à son ancien employeur devant les prud'hommes et le tribunal de commerce, qui l'a débouté."

Depuis qu'il est à la tête de Publicis, Maurice Levy a épuisé nombre de dauphins potentiels. Parmi eux, Jean-Yves Naouri, qui n'est jamais devenu calife à la place du calife. Au contraire, il a été révoqué en septembre 2014, après 21 ans chez Publicis.

À cette occasion, Jean-Yves Naouri a touché 507.778 euros d'indemnités de licenciement, correspondant, selon son ancien employeur, à la somme prévue par la convention collective de la publicité.

Une somme jugée insuffisante par Jean-Yves Naouri, qui a porté plainte contre son ancien employeur devant les prud'hommes et le tribunal de commerce de Paris, réclamant au total la somme colossale de 20 millions d'euros!

La procédure devant les prud'hommes est toujours en cours. Mais le tribunal de commerce a d'ores et déjà rendu son verdict, en déboutant intégralement Jean-Yves Naouri.

"Demandes exorbitantes"

Devant les juges consulaires, l'ancien dauphin de Maurice Levy réclamait 10,6 millions d'euros: 1,6 million pour son golden parachute, 6 millions pour son préjudice moral, 2 millions pour son préjudice de carrière, et un million pour son préjudice d'image et de réputation. Il demandait aussi à conserver ses droits sur les stock options et actions gratuites attribuées lorsqu'il était en poste. Précisément, l'ancien membre du directoire détenait à son départ 69.301 stock options non exercées, et devait aussi toucher 44.858 actions gratuites s'il était resté en poste.

Lors de la procédure, Publicis a qualifié ces demandes d'"exorbitantes". L'agence de publicité a souligné qu'elles dépassaient largement le golden parachute maximal fixé par le code Afep/Medef, qui s'élève à deux ans de salaire (bonus variable inclus), soit en l'espèce 3,2 millions d'euros. "Ce sont les prétentions exorbitantes de M. Naouri qui ont rendu impossible la conclusion d'un accord [amiable] et contraint Publicis à passer par une révocation", a affirmé l'agence. 

Pour enfoncer le clou, Publicis a notamment communiqué au tribunal les prétentions "déraisonnables" formulées par Jean-Yves Naouri mi-2013, à la veille de la fusion avec Omnicom: "Un salaire porté immédiatement à 5 millions d'euros, une indemnité de 6 millions d'euros pour atteinte à son image, et, pour la suite, un vrai rôle de numéro 2 du nouvel ensemble, avec un contrat ferme de 8 ans, et une rémunération minimum de 15 millions de dollars".

Procès stalinien

Quant au golden parachute, Jean-Yves Naouri y avait droit seulement s'il était remercié "sans juste motif". C'est donc sur ce point qu'ont tourné les débats. Sans surprise, Publicis a accablé son ancien dirigeant, qui s'est vu reprocher ses "mauvais résultats", une "attitude négative", des "divergences de vue sur la stratégie", et une "hostilité sourde au rapprochement avec Omnicom, même s'il la dissimulait sous des votes pouvant faire penser le contraire" (sic).

Autre crime: Jean-Yves Naouri s'était "désintéressé de son travail, travaillant de moins en moins, et consacrant l'essentiel de son temps à la négociation de ses conditions de départ". Le dauphin déchu s'est vu aussi reprocher "de ne pas savoir garder la confidentialité, et de se répandre sur des questions qui n'auraient pas dû sortir de Publicis".

Mais ces accusations n'étant pas étayées de preuves, le tribunal les a donc écartées. Mieux: Jean-Yves Naouri a exhibé un message de Maurice Levy qui, trois mois avant de le révoquer, lui assurait: "Je n'ai pas de reproche à vous faire ni sur votre comportement, ni sur votre façon de mener vos missions". 

Révocation justifiée

Toutefois, le tribunal a jugé que le golden parachute n'était pas dû, car la révocation reposait sur un "juste motif". Pour les juges, "M. Naouri accusait M. Levy de l'avoir trompé et trahi. Le directoire, en comprenant à la fois MM. Levy et Naouri, ne pouvait donc fonctionner de façon harmonieuse. Le conflit latent entre MM. Levy et Naouri ne pouvait manquer de nuire à l'intérêt social de Publicis. Dès lors, la perte de confiance en M. Naouri justifiait sa révocation".

Jean-Yves Naouri accusait aussi son ex-employeur de l'avoir révoqué de manière "abusive, vexatoire, et brutale". Mais le tribunal ne l'a pas suivi sur ce point.

Calife à la place du calife

Mais son principal grief était de ne pas avoir succédé à Maurice Levy à la présidence du directoire, alors que le poste lui avait été promis. Le jugement confirme qu'une telle promesse lui a bien été faite: "Il apparaît que M. Levy avait déclaré à M. Naouri qu'il ferait tout son possible pour persuader le conseil de surveillance de l'adopter, position qu'il a réitérée à de multiples reprises dans ses échanges avec M. Naouri. M. Naouri avait, à plusieurs reprises, menacé de partir, et n'avait été retenu que parce que M. Levy lui faisait valoir que cette succession restait accessible, voire quasi-acquise".

Selon Jean-Yves Naouri, le poste lui avait même été promis par la présidente du conseil de surveillance elle-même, Elisabeth Badinter, le 27 mai 2013. Mais Publicis a rétorqué que seule lui avait été promise "une nomination au poste de vice-président du directoire, avec évolution prévue vers la présidence, mais sans qu'aucun terme ne soit fixé". Quant au conseil de surveillance, il a bien qualifié en mars 2013 Jean-Yves Naouri de "principal candidat" pour le magistère suprême, mais il n'a finalement jamais formellement choisi un successeur. 

Toujours pas de successeur désigné

Comme on le sait, Jean-Yves Naouri ne deviendra jamais calife à la place du calife. En 2013, lorsque Publicis annonce sa fusion avec Omnicom, il est décidé que Maurice Levy sera remplacé à son départ par John Wren, le patron de l'agence américaine. Puis, en 2014, lorsque la fusion échoue, Maurice Levy décide de jouer les prolongations jusqu'au printemps 2017... Et aujourd'hui, à 74 ans, le gourou de la publicité française n'a toujours désigné celui qui lui succédera dans un an...

Toutefois, Jean-Yves Naouri n'est pas vraiment sur la paille. Avant de partir, il a vendu la majorité de ses actions Publicis (pour l'essentiel quatre jours avant la fin de ses fonctions), récoltant ainsi 8,4 millions d'euros. Après son départ, il a ouvert un cabinet de conseil, JYN Consulting.

Contactés, ni Jean-Yves Naouri, ni ses avocats n'ont répondu. 

Salaire en hausse de 38% pour Maurice Levy

Publicis va verser à Maurice Levy un salaire de 3,9 millions d'euros bruts au titre de 2015. C'est plus qu'en 2014 (2,8 millions d'euros), mais moins qu'en 2013 (4,5 millions d'euros).

Rappelons que, depuis 2012, le président du directoire ne touche plus de salaire fixe, mais uniquement un salaire variable, en fonction des performances de l'agence de publicité et plafonné à 5 millions d'euros.  Auparavant, il touchait un salaire fixe plus un bonus variable, et le cumul des deux était plafonné à 3,6 millions d'euros....

Jamal Henni