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"L'or bleu" de Cocagne où la renaissance d'une industrie française

Le pastel du teinturier est une plante verte aux fleurs jaunes dont on extrait un pigment naturel bleu.

Le pastel du teinturier est une plante verte aux fleurs jaunes dont on extrait un pigment naturel bleu. - Pethan - Wikimedia - CC

Deux entreprises du sud-ouest de la France font revivre le pastel, un pigment bleu tombé en désuétude, aujourd'hui très prisé de la mode et de l'industrie en raison de sa couleur unique et de ses vertus thérapeutiques.

Dans le Sud-Ouest, deux entreprises font revivre "l'or bleu" qui fit la richesse du pays de Cocagne au XVe siècle, avec l'ambition de redonner au pastel, prisé pour son bleu unique et ses vertus thérapeutiques, une "aura internationale". "Nous avons remis le pastel à la mode", explique fièrement Denise Siméon-Lambert, qui dirige l'entreprise familiale Bleu de Lectoure. C'est pourtant par hasard que cette énergique Américaine de 60 ans a découvert ce pigment naturel tombé en désuétude.

En 1994, elle s'installe à Lectoure, un village de 3.700 habitants en plein Gers, dans une ancienne tannerie du XVe siècle. Intriguée par la couleur des volets, elle mène des recherches sur le pastel, qui "devient une véritable passion".

"Nous voulons donner au pastel une aura internationale", poursuit celle qui travaille pour de prestigieuses maisons comme Dior ou Chanel et souhaite ouvrir une deuxième teinturerie aux Etats-Unis. Son entreprise traite chaque année 600 kilos de pigments mais elle "compte atteindre 2,5 tonnes" car il y a "une forte demande pour ce colorant non-polluant et inaltérable dans la haute couture et l'industrie".

Un marché de niche en forte croissance

Outre son bleu lumineux, le pastel est aussi connu "depuis le Moyen Âge pour ses vertus thérapeutiques", explique de son côté Carole Garcia, qui travaillait dans l'industrie pharmacologique avant de créer, avec son associée, l'entreprise Graine de Pastel en 2003 à Toulouse. "On a fait revivre le coté médicinal de cette plante en élaborant des produits cosmétiques", dit-elle. Mais, contrairement à la teinturerie qui utilise les feuilles du pastel, "nous utilisons ses graines pour extraire une huile dont la composition permet une nutrition intense".

Ce marché de niche est aussi en forte croissance en France et à l'étranger. "Nous réalisons 25% de notre chiffre d'affaires à l'export, principalement en Asie", souligne Carole Garcia, qui veut ouvrir huit nouvelles boutiques dans l'Hexagone en 2016.

L'or bleu détrôné par l'indigo

Originaire d'Anatolie, Isatis Tinctoria - plus connu sous son nom occitan de pastel - "a toujours exercé une grande fascination: la plante est verte, la fleur jaune, et elle produit un colorant bleu", s'enthousiasme Denise Siméon-Lambert. Entre 1450 et 1600, "l'or bleu" extrait de cette plante d'apparence anodine fit la richesse des pasteliers du "triangle d'or", une zone comprise entre Toulouse, Albi et Carcassonne.

Il restait toutefois peu de traces des méthodes d'extraction de ce colorant, détrôné au XVIIe siècle par l'indigo plus concentré et moins onéreux. A force de patience et de tâtonnements, Mme Siméon-Lambert et son époux mettent au point une méthode d'extraction différente de celle utilisée à la Renaissance, où les feuilles étaient transformées en Cocagnes, sorte de boules de ciment végétal séchées.

Un colorant inaltérable

"Notre méthode se rapproche de celle créée au XIXe siècle pour teindre les uniformes des soldats de Napoléon Ier, le dernier à avoir fait brièvement renaître le pastel", précise Mme Siméon-Lambert. Une fois coupées, les feuilles du pastel, appelées rosettes, macèrent dans une cuve d'eau pendant 24 heures pour permettre la libération du pigment. Le liquide incolore obtenu est ensuite plongé dans une grande cuve à oxydation et au contact de l'air la structure du colorant se modifie jusqu'à former des cristaux solides bleu sombre.

Mais cet "or bleu" est insoluble et doit être encore travaillé. "C'est un bleu capricieux!", reconnaît Mme Siméon-Lambert. "Mais il a des qualités extraordinaires: il ennoblit chaque fibre du tissu et il est inaltérable". Après une longue préparation, le colorant est enfin prêt. "Regardez la magie de cette alchimie!" s'exclame Mme Siméon-Lambert lorsque une employée extrait de la cuve une serviette qui, au contact de l'air, passe en quelques seconde du jaune au vert avant de prendre sa teinte bleue définitive.

N.G. avec AFP