BFM Business
Entreprises

La crise du coronavirus, un stress-test pour la communication des patrons du CAC 40

Stéphane Richard arrive en tête du classement des dirigeants du CAC établi par le cabinet Apco

Stéphane Richard arrive en tête du classement des dirigeants du CAC établi par le cabinet Apco - AFP

Prime à l'authenticité, droit de ne pas savoir, rôle accru des réseaux sociaux, le cabinet de conseil Apco a établi la recette d’une communication de dirigeant réussie en période de crise sanitaire. Parmi les grands patrons français, Stéphane Richard (Orange) et Sébastien Bazin (Accor) ont été jugés particulièrement à la hauteur de l'enjeu.

Un stress-test grandeur nature pour la communication des dirigeants du CAC 40. C'est ce qu'a provoqué la crise liée à la pandémie de coronavirus, avec 32 dirigeants de ces grands groupes qui ont pris la parole depuis fin janvier. Et pour une communication à la hauteur des enjeux de la crise, l'antidote tient en trois mots selon le cabinet de conseil en communication stratégique Apco: pédagogie, humilité et leadership.

"À l’heure de la raison d’être et de l’entreprise à mission, les actions pour s’inscrire dans la vie de la cité constituent un prérequis incontournable du positionnement du dirigeant dans les médias et sur les réseaux sociaux" affirment d'emblée les auteurs de l'étude Fabrice Pelosi et Cody LeBlanc. Jamais au cours de ces dernières années, les grands patrons n’ont autant engagé leurs entreprises au service de causes environnementales, sociales ou sociétales et "la période inédite que nous traversons ne fait pas exception à cette tendance".

"Mais si les premières annonces ont fait l’objet d’une couverture médiatique, la multiplication des initiatives des dirigeants français a très rapidement fait grimper le "ticket d’entrée" pour faire partie du cercle des dirigeants les plus engagés" soulignent-ils.

Des actes d'abord, des paroles après

Afin d'éviter toute accusation de "Covid washing" -une variante du célèbre "greenwashing", procédé marketing ou de relations publiques utilisé par une société dans le but de se donner une image de responsabilité écologique trompeuse- "seules les démarches authentiques, crédibles et légitimes ont une chance d’émerger dans le contexte actuel" estiment les auteurs. Ces derniers relèvent en outre que "cet enjeu d'authenticité semble si important que les dirigeants des trois géants du luxe français (LVMH, Hermès et Kering) n’ont pas pris directement la parole dans les médias malgré des actions massives pour aider les autorités et les soignants avec une réorientation de la production et des dons aux hôpitaux" notamment.

"Il est vrai que peu de PDG comme Sébastien Bazin (Accor) sont capables d’aller voir leurs principaux actionnaires pour leur demander de renoncer à leur dividende et d’en reverser 25% au profit d’un fonds d’aide aux salariés..." concèdent les auteurs.

La générosité et l'engagement des groupes se veulent autrement plutôt discrets et incarnés uniquement par les marques. "Ainsi, bien que Bernard Arnaud ne se soit pas exprimé directement, les articles qui ont dévoilé les coulisses des opérations de soutien de LVMH précisent bien que le PDG le plus riche de France est à la manœuvre" note le cabinet de conseil. Celui-ci souligne d'ailleurs que d'autres dirigeants ont fait le choix du silence. 

C'est notamment le cas d'Alexandre Ricard, PDG du groupe de spiritueux qui porte son nom, alors que ce dernier est à la pointe de l’action avec le don de 70.000 litres d’alcool pour la production de gel hydroalcoolique. Parmi les dirigeants les plus discrets, Fabrice Pelosi et Cody LeBlanc mettent également en avant ceux d'EssilorLuxxottica, Leonardio Del Vecchio et Hubert Sagnières. Le géant de l'optique a en effet annoncé la création d'un fonds de 100 millions d'euros pour soutenir les employés et leurs familles dans le besoin, le fonds le mieux doté à ce jour" relèvent-ils. Leonardo Del Vecchio a par ailleurs renoncé à 100% de son salaire.

L'ultra-connecté Stéphane Richard se distingue

À cet exercice périlleux de la communication en temps de crise sanitaire, certains grands patrons ont su tirer leur épingle du jeu. En analysant l’ensemble des prises de parole du 23 janvier au 24 avril, la stratégie des moyens dans le plan de communication, les engagements pris au nom de l’entreprise pour adresser la crise ou encore la capacité à imposer un leadership sur les décisions de solidarité, Apco propose un classement des dirigeants du CAC 40. S'ils saluent la gestion de la crise d'Emmanuel Faber (Danone, 4e) et de Frédéric Oudéa (Société Générale, 5e), le podium se compose de Stéphane Richard (Orange), suivi de Sébastien Bazin (Accor) et d'Antoine Frérot (Veolia).

Au sommet du palmarès trône donc Stéphane Richard, "le champion des matinales" et celui qui a "certainement eu la stratégie de communication la plus puissante et la plus innovante (TV, radio, presse écrite en PQN (presse quotidienne nationale, NDLR) comme en PQR (presse quotidienne régionale, NDLR) à travers des interviews mais aussi avec deux tribunes dans Le Monde et Les Echos, sans oublier la participation à une interview sur YouTube)". Les auteurs de l'étude louent notamment sa capacité à savoir faire de la pédagogie, son activité et son expertise des réseaux sociaux, le PDG d'Orange (qui fait partie des 10 entreprises félicitées par Bercy pour la réduction des délais de paiement auprès de ses fournisseurs) arrivant en première position à la fois en influence et en popularité sur Twitter.

Stéphane Richard avait des messages à faire passer et "s'est montré au rendez-vous pour répondre aux préoccupations de la population quant à la gestion de la crise par les opérateurs télécoms. Ainsi, afin de défendre l'étude réalisée par Orange sur les déplacements des Français pendant le confinement, le dirigeant s'est fendu de déclarations remarquées comme "la France n'est pas la Chine". Pas de langue de bois, chez cet agile communicant, souligne Apco. "Avec l’annulation du Mobile World Congress, celui qui est aussi le président du GSMA (association qui représente près de 800 opérateurs et constructeurs de téléphonie mobile, NDLR), a été l’un des premiers à prendre des mesures fortes" relèvent enfin les auteurs.

Sébastien Bazin et Antoine Frérot sur le front

Si le PDG d'Orange confirme son statut, "Sébastien Bazin est sans conteste la révélation de ce début d’année". Alors que son groupe, Accor, est en première ligne face à la crise, le PDG a multiplié les prises de parole (télé, radio, presse, vidéos) pour s’adresser à l’ensemble de ses cibles et plus particulièrement ses salariés. Il est apparu, aux yeux des auteurs de l'étude, comme un dirigeant "très humain et engagé". Sébastien Bazin, c'est donc une "excellente maîtrise de l'exercice médiatique"; "un style unique et authentique qui fonctionne très bien", une absence assumée des réseaux sociaux et... des punchlines, comme celle-ci: "Il nous faut 3 choses pour vivre : la libre circulation des personnes, le développement des voyages d’affaires et l’essor du tourisme" répétée dans plusieurs interventions. 

C'est enfin "le droit de ne pas savoir". "Dans une période où l'incertitude règne, les dirigeants qui assument le manque d'information et de visibilité bénéficient d'une prime d’honnêteté et de transparence" assure Apco. Il est donc admis par l’opinion qu’un dirigeant ne puisse pas avoir toutes les réponses. "Surtout lorsqu'il s'agit de réagir très vite pour mettre à disposition des hôtels pour soulager les hôpitaux. À la question de savoir comment cette opération sera financée, Sébastien Bazin a tout simplement répondu sur France Inter: "Ma chère Léa Salamé, je n’en sais fichtre rien" avant de préciser que l’important était d’agir vite. "Efficace" jugent Fabrice Pelosi et Cody LeBlanc.

Sur la troisième marche du podium, on retrouve donc le PDG de Veolia Antoine Frérot. Le patron a fait parler de lui en proposant de tester les 50.000 salariés de son groupe dans le cadre de la stratégie de déconfinement, "une première en France" indique l'étude. "Celui qui a décidé de devancer la loi Pacte en proposant une "raison d’être" (à savoir "contribuer au progrès humain, en s’inscrivant résolument dans les objectifs de développement durable définis par l’ONU, afin de parvenir à un avenir meilleur et plus durable pour tous") en assemblée générale il y a un an, a-t-il été à la hauteur de ses engagements déclaratifs? Probablement, lorsqu’il indique être en contact avec les services de l’Etat pour récupérer des masques qui ont été réquisitionnés, puis annonce au 20 Heures de TF1 qu’une prime de 1.000 euros sera versée à ses salariés" observent les auteurs.

D'autres dirigeants, encore, ont su faire entendre leur voix. Comme Frédéric Oudéa, qui a joué le pompier et rassuré la profession en déclarant, quelques jours après le début du confinement et alors que les marchés étaient dans la tourmente: "Pas de panique, tout le monde sera sauvé".

Enfin, le patron de Danone a adopté "un positionnement visionnaire sur l'économie de demain", et cela fonctionne. Le dirigeant qui est "l’un des leaders du "corporate activism" au sein du CAC 40 avec de nombreuses décisions marquantes et saluées" a par ailleurs rapidement annoncé la création d’un dispositif de soutien de 250 millions d’euros (porté à 300 millions d’euros par la suite) pour les 15.000 entreprises qui gravitent autour de Danone. "En étant l’invité de l’émission #Etaprès sur France 2 le 16 avril dernier, Emmanuel Faber s'est également donné "une vraie stature internationale puisqu’il était aux côtés d’Ursula Von Der Leyen (présidente de la Commission européenne, NDLR) en prime time et représentait ainsi "le chef d’entreprise de demain"" selon Apco.

Des interventions concentrées chez BFM Business et Les Echos

On notera que les grands patrons ont choisi également de s'exprimer davantage dans les médias spécialisés dans l'économie. "Un média apparaît comme le média des dirigeants du CAC 40 pour leurs prises de parole pendant cette crise : BFM Business a ainsi “reçu” une vingtaine de PDG du CAC 40 depuis le début de la crise, très loin devant tous les autres médias tous supports confondus", notent les auteurs de l'étude. Ainsi, sur les 32 interventions recensées à la télévision de patrons du CAC 40 sur la période, 16 ont eu lieu sur BFM Business. Viennent ensuite France Info (4), BFMTV (3) et LCI (3).

Dans la presse quotidienne nationale, ce sont Les Echos qui tirent leur épingle du jeu, avec 10 interviews et 4 tribunes, devant Le Figaro (9 interventions) et Le Monde (3). 

Quentin Soubranne