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Transports

La dette de 55 milliards de la SNCF en 5 questions

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Le fardeau de la dette de la SNCF -55 milliards d'euros- pèse sur la réforme actuelle du transport ferroviaire engagée par le gouvernement. Cinq points pour comprendre comment cette dette colossale s'est accumulée.

Alors que l'endettement colossal de l'entreprise publique ferroviaire est la justification du gouvernement pour lancer la réforme du transport ferroviaire en France, il refuse pour l'instant de dévoiler son plan pour désendetter l'entreprise. Une situation qui suscite des interrogations du monde politique tout autant qu'il alimente la colère des syndicats de la SNCF.

Le gestionnaire des infrastructures ferroviaires françaises, rebaptisé SNCF Réseau en 2015, a accumulé 47 milliards d'euros de dette. Une somme à laquelle il convient d'ajouter huit milliards d'endettement de SNCF Mobilités, entité du groupe public chargée de la circulation des trains.

Avec 55 milliards de dettes, la SNCF est dans une situation financière quasi-insoutenable (même avec la garantie de l'État). Explications en cinq points d'une situation financière dégradée qui ne date pas d'hier mais dont les gouvernements passés sont en grande en partie comptable.

1.Quelle est l'origine de la dette SNCF?

L’origine de cette dette remonte avant même la création de l'entreprise en 1937. Dès la fin du 19ème siècle, les compagnies de transport ferroviaire privées ont dû investir massivement, recourant à l’emprunt pour financer les voies ferrées qui allaient quadriller le territoire.

La tendance se poursuivra après 1937. La dette augmentera régulièrement au fil des ans après guerre. Puis, l'arrivée de la grande vitesse multiplient les investissements. La SNCF s’est lourdement endettée pour la construction des LGV successivement ouvertes en 1981 (Paris-Lyon) et en 1993 (Paris-Lille). "Objets largement politiques, les LGV n’avaient été prises en charge directement par les pouvoirs publics que dans une faible mesure, ce qui explique en partie l’explosion de la dette ferroviaire au milieu des années 1990", explique la revue d'histoire des chemins de fer. Résultat: la dette a atteint l'équivalent de 31,7 milliards d’euros en 1996.

La dette étant devenue insupportable pour l'entreprise publique, l'essentiel (un peu plus de 20 milliards) est alors transféré en 1997 à la nouvelle entité Réseau ferré de France (RFF). Désignée gestionnaire des infrastructures ferroviaires françaises, elle est dotée de recettes propres (le prix des péages pour le passage des trains), afin qu'elle ne soit pas considérée comme de la dette publique au sens de Maastricht.

"La majeure partie de l’endettement s’est trouvée cantonnée dans RFF alors que le réseau périclitait et nécessitait -et nécessite encore- des efforts d’investissement considérables. Cette opération a effectivement permis à la compagnie historique de rétablir l’équilibre de ses comptes, mais n’a pas du tout résolu la question de l’endettement du système ferroviaire dans son ensemble", expliquait un rapport parlementaire d'information de 2016.

2.Pourquoi la dette s'est-elle creusée récemment?

À la fin des années 2000, la SNCF a accéléré ses investissements pour construire quatre lignes TGV demandées par l'État à l'époque: l'extension de la LGV Est vers Strasbourg, la LGV Sud Europe Atlantique vers Bordeaux, la LGV Bretagne–Pays de la Loire vers Rennes et le contournement de Nîmes et Montpellier. Or, le coût de construction de ces nouvelles infrastructures a considérablement augmenté: 4,9 millions d'euros actuels du kilomètre pour Paris-Lyon en 1981 contre 23 millions sur Tours-Bordeaux en 2015. Résultat, "la montée en charge des quatre grands programmes de la politique du tout TGV mise en oeuvre à partir du Grenelle de l'environnement en 2009, explique l'essentiel de la dette ferroviaire", souligne le rapport parlementaire d'information de 2016.

Ces investissements vont contribuer à une rapide hausse de la dette de RFF qui, en 2013, atteint 37 milliards d’euros, avec une augmentation tendancielle de 2 à 3 milliards d’euros par an. Entre-temps, en 2015, sont créées deux entités sur lesquelles repose l'endettement: SNCF Réseau (ex-RFF), qui gère les infrastructures et SNCF Mobilités, entité regroupant les activités de transport de voyageurs. Au 30 juin 2016, la dette a atteint 40,8 milliards d'euros pour ce qui concerne SNCF Réseau, soit 1,5 milliard rien que sur les six premiers mois de 2016, et 8,2 milliards pour ce qui concerne SNCF mobilités (+ 500 millions sur le premier semestre).

En 2017, la dette totale de la SNCF atteignait pour le gestionnaire des infrastructures ferroviaires françaises, 47 milliards d'euros. Une somme à laquelle il convient d'ajouter huit milliards d'endettement de SNCF Mobilités, entité du groupe public chargée de la circulation des trains. Au total, l'endettement total atteignait la somme jamais atteinte de 55 milliards d'euros.

3.L'endettement est-il stabilisé et menace t-il la SNCF?

"La dette de SNCF Réseau devrait poursuivre une augmentation mécanique d’environ 2 milliards d’Euros par an d’ici 2020, notamment via l’achèvement des grands chantiers d’infrastructure en cours et la hausse des investissements de maintenance nécessaires pour enrailler le vieillissement généralisé du réseau. En parallèle, la stagnation anticipée des prix des péages et la baisse du nombre de trains due notamment à la rationalisation de l’offre de trains Régionaux et d’Équilibre du Territoire impactera négativement les capacités de remboursement de SNCF Réseau", explique le cabinet de conseil SIA Partners.

La charge de la dette actuelle de 55 milliards d'euros, c'est-à-dire son remboursement et les intérêts annuels, dépasse actuellement un milliard et demi d'euros par an. Ce passif financier, d'un niveau colossal, "menace d'engloutir le système", avait fait valoir Édouard Philippe en lançant la réforme ferroviaire en mars 2018.

4.Pourquoi l'État renâcle-t-il à reprendre la dette?

En 2014, environ 10 milliards de la dette de la SNCF a été requalifiée en dette publique, mais il reste encore 45 milliards de dettes en jeu, actuellement supportée par l'entreprise publique. Une "simple" reprise de 10 milliards d’euros de la dette de la SNCF par l’État ferait augmenter le déficit public de 0,5 point de PIB. Si l'État reprenait intégralement cette dette, cela représenterait plus de 2 points de dette totale publique (en pourcentage du PIB) en plus, alors qu'elle atteint déjà 97%. Plus gênant, aussi le déficit public de la France remonterait, alors qu'il vient enfin de descendre sous la barre des 3% du PIB. 

Pour le gouvernement, la question de la dette est donc à la fois le problème et la solution s'il parvient à en négocier la reprise au moins partielle. Édouard Philippe s'est dit "ouvert" à la reprise d'une partie de la dette SNCF par l'État, mais avec des "contreparties" sur "le fonctionnement de la SNCF" ce qui a le don d'énerver les syndicats qui crient au chantage.

"Je ne veux pas prendre un engagement alors même qu'à ce stade, rien n'a changé dans le fonctionnement de la SNCF (...) Je ne veux pas dire aux Français qu'(ils) vont payer cette dette et la reprendre alors qu'ils n'ont aucun élément leur permettant de penser qu'à l'avenir, on ne va pas tomber dans 3 milliards (d'euros) de déficit" supplémentaire chaque année, a justifié le Premier ministre, jeudi 5 avril à l'Assemblée nationale. Quand l'exécutif pourra-t-il donner sa position sur la dette? C'est "trop tôt pour le dire (...) c'est une discussion qui est en cours", a-t-il affirmé.

5.Quelles sont les solutions pour désendetter la SNCF?

"Le traitement de la dette est nécessaire à un retour à l’équilibre du gestionnaire d’infrastructures, au même titre que le recentrage progressif du rail sur son domaine de pertinence, et les efforts de productivité qui seront réalisés", écrit le rapport Spinetta, remis en février 2018 au gouvernement. Il ne suggère pas de solutions précises mais réaffirme l'impérieuse nécessité d'allèger ce qui est devenu un énorme boulet pour l'entreprise.

Les intérêts de remboursement de la dette représentent, à eux seuls, une facture d’un milliard et demi d’euros par an. "À défaut d’une reprise à proprement parler de tout ou partie de la dette, l’État pourrait s’acquitter du règlement de ces intérêts. Ainsi, la libération de cette somme pourrait permettre à SNCF de la réattribuer à la maintenance et la rénovation du réseau existant", suggère le cabinet de conseil SIA Partners.

La CGT, parmi ses propositions de réforme publiées en mars 2018, suggère carrément la création d'une structure juridique dédiée de défaisance qui pourrait délester l'entreprise publique d'une partie substantielle de sa dette. "La création d’une CADEFE (Caisse d’Amortissement de la DEtte Ferroviaire de l’Etat) permettra de libérer le fonctionnement du système ferroviaire de ce poids et de mobiliser toutes les énergies pour la reconquête d’un service public ferroviaire efficace Voyageurs et Fret. La création de la CADEFE apporte mécaniquement près de 2 milliards d'euros tous les ans au système ferroviaire en le libérant des intérêts bancaires de la dette", écrit le syndicat.

Dans tous les cas, la réduction de la dette est une nécessité économique pour permettre le changement prévu de statut actuel d'Établissement public (EPIC) de la SNCF, en société nationale à capitaux public. "En lui imposant le strict respect d’un ratio d’endettement net sur marge opérationnelle plafond. L’entreprise serait ainsi responsabilisée sur l’ensemble des éléments de sa gestion et de son efficacité opérationnelle", explique le rapport Spinetta. Avec un statut de société nationale anonyme, la garantie apportée par l'État ne permet plus de s'endetter à l'infini, ce qui nécessite de délester SNCF Réseau d'une bonne partie de sa dette.

Frédéric Bergé