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La folle idée du patron de Ryanair pour vendre des billets à 0 euro

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- - Getty Image - AFP

Selon Michael O'Leary, les aéroports deviennent des centres commerciaux si rentables qu'ils pourront d'ici 5 à 10 ans supprimer les taxes imposées aux compagnies aériennes. Celles qui leur apporteront le plus de "clients" pourraient même exiger de l'argent. Et Ryanair pourra ainsi proposer des billets gratuits.

Est-ce une nouvelle provocation du fondateur de Ryanair ou une prévision crédible? En marge de la présentation des (bons) résultats semestriels de sa compagnie, Michael O'Leary s'est livré à une confidence: d'ici 5 à 10 ans, Ryanair pourra proposer des billets d'avion gratuits à ses clients. Oui gratuits, zéro euro pour un Paris-Barcelone par exemple.

Mais sur quoi se base cette folle prévision? Sur l'explosion du trafic aérien et ses conséquences sur l'activité des aéroports. À titre d'exemple, Ryanair qui devrait transporter 119 millions de passagers sur son exercice 2016-2017 prévoit de faire passer ce chiffre à 200 millions d'ici 2024. Or, selon les calculs du patron de Ryanair, ces centaines de millions de passagers devraient assurer aux aéroports de quoi largement financer leur fonctionnement et même leurs investissements.

Son explication repose sur un postulat simple. "Le challenge pour nous dans le futur est de faire baisser les taxes d'aéroport. J'ai la vision que d'ici 5 à 10 ans, ces taxes seront égales à zéro pour Ryanair. Et dans ce cas, tous nos vols seront pleins et nous gagnerons de l'argent en partageant les revenus des aéroports, ceux générés par l'afflux de gens dans les aéroports et qui consomment dans les commerces. Au lieu d'avoir des billets promotionnels à 5 ou 9 livres, ils seront gratuits."

Des billets d'avion toujours moins chers

Le patron de Ryanair décrit ainsi un cercle vertueux dans lequel des prix plus bas entraînent un plus grand nombre de passagers, donc plus de trafic et de consommation dans les aéroports, donc plus de revenus pour ces derniers qui pourraient les partager avec les compagnies à l'origine de la hausse du trafic. Du gagnant-gagnant qui n'est pas sans rappeler ce qui a fait le succès de Ryanair, à savoir son installation dans des aéroports peu fréquentés en échange de subventions publiques, plus ou moins déguisées. Michael O'Leary ayant toujours pris soin de mettre en avant le fait que les augmentations de trafic générées par sa compagnie avaient des retombées économiques importantes pour les régions où elle s'implantait, justifiant que celles-ci se montrent reconnaissantes.

Mais ce modèle ne fonctionne plus aussi bien que par le passé. D'abord parce que les aéroports concernés refusent d'être toujours plus ponctionnés. Ensuite parce que Bruxelles a décidé d'y mettre le holà. Le gendarme européen de la concurrence juge ces aides illégales. C'est pourquoi Ryanair prend désormais position dans les grands aéroports. Avec, donc, en tête, l'idée de les "taxer".

"Je pense que ça va arriver, et pas seulement à Heathrow et dans les gros hubs européens. La plupart des aéroports qui cherchent à faire progresser leur trafic ont déjà commencé à baisser leurs taxes pour attirer des compagnies qui génèrent un fort trafic."

Si l'on en juge l'évolution du prix moyen des billets sur Ryanair, la prévision peut sembler crédible. En 2016, les passagers de la compagnie ont payé 46 euros en moyenne contre 66 euros il y a encore deux ans. Et pour l'année prochaine, la baisse atteindra, selon ses estimations, entre 10 et 15%. À ce rythme-là, la gratuité semble atteignable.

Les revenus du commerce encore trop faibles

Mais la réalité économique est peut-être un peu plus complexe. D'abord parce que les aéroports tirent aujourd'hui l'essentiel de leurs revenus des taxes que leur versent les compagnies aériennes. Pour Aéroports de Paris (ADP) par exemple, les activités aéronautiques ont généré 1,3 milliard d'euros sur les 9 premiers mois de l'année, soit 60% de son chiffre d'affaires sur la période. Les activités annexes (commerces, parking...) n'ont, elles, représenté que 680 millions d'euros, soit à peine plus de la moitié des taxes d'aéroport. La gâteau est loin d'être assez gros pour être partagé avec les compagnies. Chaque passager a en effet rapporté 6 euros à ADP en activité annexe. 

Même chez les anglo-saxons, où le processus de transformation des aéroports est plus avancé, les revenus tirés des magasins qui y sont présents sont encore très loin de ceux générés par les taxes. À Londres, par exemple, les activités commerciales pèsent pour 20% dans le chiffre d'affaires global, soit 568 millions de livres. En forte hausse certes (+8,6%), mais encore loin de représenter la première source d'activité. Chaque passager qui passe par l'aéroport londonien rapporte 7,58 livres (8,80 euros) à Heathrow. Selon une étude de Verdict Retail, l'activité commerciale devrait croître de 73% d'ici à 2019 au niveau mondial. Ce qui sera loin d'être suffisant pour rendre crédible la prévision de Michael O'Leary.

"C'est encore une grosse provocation du patron de Ryanair, estime Pierre Bergeron, analyste transport à la Société Générale. Les taxes d'aéroport sont la principale source de revenus des aéroports. Et si ce n'est plus le cas, les compagnies réussiront-elles à négocier avec les aéroports un partage des revenus? Air France a déjà essayé avec ADP et elle n'a jusqu'à présent jamais réussi."

Néanmoins, selon cet expert, les prix vont continuer de baisser dans l'aérien. "Cela va être de plus en plus difficile de faire remonter les prix des billets, le pétrole ne devrait pas remonter de sitôt et le low-cost se développe à grande vitesse sur le long-courrier. Les prix vont continuer à baisser, mais de là à atteindre zéro..." 

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco