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La France, cette imbattable championne du monde des machines à vendanger

Inventées dans les années 1970, les machines à vendanger sont devenues une spécificité de la France qui en assure l'essentiel de la production mondiale. Elles ont permis de réaliser des gains de productivité énorme dans le secteur viticole.

Si cela fait trois ans maintenant que la France a perdu sa couronne de premier producteur mondial de vin, il en est une que le pays n'est pas prêt de perdre, celle des machines à vendanger. Au fil des années, ces gros engins agricoles qui ressemblent à des moissonneuses-batteuses pour la vigne sont devenus une spécificité française. L'Hexagone produit la quasi-totalité de ces machines dans le monde et assure 99% des exportations au niveau mondial. L'Espagne, les Etats-Unis, l'Italie et même maintenant l'Allemagne et l'Australie se convertissent aux machines à vendanger made in France.

Evidemment, il s'agit de petits volumes puisqu'on parle de 1.100 machines produites en 2016. Mais avec un prix moyen de vente très élevé (entre 150.000 et 200.000 euros environ), c'est un secteur méconnu qui génère tout de même plus de 200 millions d'euros de chiffre d'affaires. Comment la France qui est loin d'être le plus gros producteur de machines agricoles au monde (en Europe, elle est distancée par l'Allemagne et l'Italie) est devenue archi-dominant dans la vendange?

Les Français plus forts que les Américains

Parce le pays a été des années durant le premier producteur mondial de vin mais pas seulement comme l'explique Alain Savary, le directeur général d'Axema, l’association française des acteurs de la filière des agroéquipements: "Ce succès c'est surtout celui de trois sociétés que sont Pellenc à Pertuis (84), Gregoire à Cognac (16) et Braud à Coëx (85) dont les fondateurs ont compris dès les années 1970 que les métiers du vin allaient eux aussi être mécanisés comme l'ont été les autres secteurs agricoles, analyse-t-il. Et si au départ il y a eu d'autres acteurs comme des Américains, ce sont les Français qui ont demeuré." 

Mais comment fonctionnent ces énormes machines qui passent à travers les vignes? Très simplement, les engins enjambent les plantations et les secouent en passant. Les raisins tombent sur une noria (une sorte de tapis cranté) qui les reverse dans une remorque. Un système en apparence simple qui s'est grandement affiné avec le temps. "Le secouage a été amélioré avec le temps, pour qu'il soit ni trop fort, ni trop faible, des logiciels adaptent la machine à la vigne, explique Alain Savary. Le système de tri s'est aussi amélioré pour enlever les bois et les feuilles de la récolte." A une moyenne de 5 km/h, il faut aujourd'hui moins d'une heure pour vendanger un hectare. 

Trois personnes pour vendanger 200 hectares

Résultat les producteurs français sont de plus en plus nombreux à se convertir. Alors qu'il se vendait aux alentours de 400 machines dans l'Hexagone dans les années 2000, les ventes ont grimpé à 580 en 2016. Aujourd'hui, ce sont les deux tiers du vignoble français qui sont ainsi vendangés mécaniquement. Car les machines permettent de réaliser d'énormes gains de productivité. "J'étais récemment dans le vignoble de Mas-Thibert dans les Bouches du Rhône où ils utilisent ces machines, raconte Alain Savary. Ils ne sont que trois personnes pour vendanger 200 hectares de vignes en quelques jours. S'ils le faisaient à la main il faudrait des centaines de personnes! On peut vendanger la nuit, amener la récolte directement au pressoir, bref c'est bien plus efficace!"

Mais n'est-ce pas la fin de la vendange à l'ancienne réalisée à la main par des saisonniers et des étudiants désireux de se faire un peu d'argent avant la rentrée? En partie sans doute, mais la vendange n'a rien de romantique à en croire Alain Savary. "C'est un métier difficile que de moins en moins de gens veulent faire, c'est ça la réalité. Les viticulteurs qui vendangent à la main ont de plus en plus de mal à trouver de la main d'oeuvre et sont obligés de faire appel à des étrangers (notamment des Polonais) pour faire le boulot."

La CGT Champagne bloque le test de Moët & Chandon

Si la machine permet de réaliser des copieux gains de productivité, qu'en est-il de la qualité? Une étude réalisée dans les années 2000 par l'Institut Français de la vigne et du vin est venu trancher le débat entre pro et anti-mécanisation. "A ses débuts décriée comme facteur de perte de qualité, la machine à vendanger prouve dans de nombreuses situations qu'elle permet aujourd'hui de fournir une qualité de récolte satisfaisante. C'est ce que montrent les études récentes au travers desquelles nous avons comparé vendanges manuelle et mécanique", peut-on lire dans le rapport. 

Et si tous les vignerons ne s'y sont pas convertis c'est que la machine à vendanger n'est pas un très bon argument marketing. "Ce n'est pas bon en terme de communication de dire qu'on vendange à la machine au pays de du terroir et du vignoble de tradition" reconnait Alain Savary. D'autant que souvent les cahiers des charges des AOC les interdisent. Comme celui du Champagne notamment qui précise bien que "tout moyen ne permettant pas la récolte des grappes de raisin entières est interdit." En 2016 pourtant, la prestigieuse maison Moët & Chandon (groupe LVMH) avait envisagé de tester une de ces machines sur une parcelle hors appellation Champagne. Elle y a renoncé officiellement pour "des problèmes de sécurité". Mais officieusement, c'est une mobilisation de la CGT Champagne qui a eu raison de l'expérimentation. Tracts, tenue d'un comité extraordinaire du CHSCT, lettre adressée à Bernard Arnault en personne... Craignant que l'affaire prenne de l'ampleur médiatiquement et nuise à l'image de Moët, la maison champenoise a tout annulé la veille de l'essai. La mécanisation du grand vignoble français attendra.

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco