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Culture loisirs

La France compte de plus en plus d'artistes (plus pauvres que jamais)

Les emplois culturels n'ont pas explosé aussi rapidement que les vocations (photo d'illustration)

Les emplois culturels n'ont pas explosé aussi rapidement que les vocations (photo d'illustration) - ARMEND NIMANI / AFP

Dans le spectacle, le nombre d'artistes a triplé -voire quadruplé- depuis les années 1980. Mais les emplois proposés ont progressé moins vite. Résultat: les artistes gagnent de moins en en moins d'argent et sont de plus en précaires. 

Le stade ultime de la civilisation est-il de permettre à toute personne qui veut être artiste de le devenir? En 1978, le businessman de Starmania avait le blues à cause de sa vocation artistique contrariée. Mais aujourd'hui, il aurait bien plus de chances d'y arriver.

Car le nombre d'artistes a explosé. Les chiffres varient selon les sources, mais toutes convergent dans le sens d'une importante progression. Ainsi, l'Insee recense 62.600 artistes de spectacles (dont une moitié de musiciens et un tiers de comédiens) en 2012, soit trois fois plus qu'en 1982. 

De son côté, à fin 2014, Pôle Emploi dénombrait 156.375 artistes intermittents du spectacle, dont la moitié de musiciens et un cinquième de comédiens. 

Enfin, la Caisse des congés spectacles comptabilisait 82.741 artistes intermittents en 2009 (*), soit quatre fois plus qu'en 1987. Sur cette période, le nombre de comédiens a doublé, les danseurs ont triplé, et les musiciens ont quadruplé. 

Portait robot

L'Insee a même dressé un portrait robot de l'artiste de spectacle: c'est à 62% un homme (50% chez les comédiens), à 59% un provincial (44% chez les comédiens), à 47% le fils ou la fille d'un cadre, et à 37% le détenteur d'un diplôme de niveau bac +3 ou plus. Par rapport à la moyenne des actifs, il est donc plus jeune, plus masculin, nettement plus diplômé, nettement plus francilien, et d'origine sociale nettement plus favorisée.

En moyenne sur la période 2005-2012, ses revenus totaux s'élèvent à 2.217 euros par mois, provenant aux deux tiers de salaires, le solde provenant essentiellement des indemnités chômage. Car les trois-quarts des artistes français vivent de contrats courts (telle que l'intermittence), une proportion qui a doublé en vingt ans.

Précarité accrue

Pôle Emploi aboutit à des chiffres comparables: un artiste intermittent percevait en 2011 un revenu moyen de 2.017 euros par mois, se répartissant à parts égales entre salaire et indemnités chômage. 

En fait, sans surprise, les emplois culturels n'ont pas explosé aussi rapidement que les vocations. Résultat: nos artistes sont plus nombreux à se partager le gâteau, et donc héritent de parts plus petites. En pratique, un intermittent travaille donc deux fois moins qu'il y a trente ans, et gagne logiquement deux fois moins... (cf. ci-dessous).

(*) interrogé, Audiens, qui a repris la Caisse de congés spectacles, a refusé de communiquer des chiffres plus récents que 2009.

Une précarisation accrue

Artistes des spectacles (source: Insee)
Effectif
1982: 22.500 dont artistes dramatiques et danseurs 6 800
1990: 36.200 dont artistes dramatiques et danseurs 11 300
2012: 66.443 dont artistes dramatiques 23 500

Artistes intermittents du spectacle (source: Caisse des congés spectacles)
Effectif
1987: 19.515
2009: 82.741

Jours travaillés par an
1987: 82,4
2009: 44

Salaire brut mensuel en euros constants
1986: 1.400
2009: 766

Durée moyenne d'un contrat en jours
1986: 17
2009: 3

Nombre moyen de contrats par an
1990: 7
2009: 15

Témoignages

Bénédicte, comédienne
"J’ai 19 ans, et je suis comédienne depuis l’âge de 17 ans. Au départ, l’idée que je devienne comédienne effrayait mes parents, mais j’ai fini par les convaincre. Je leur ai promis de passer le bac par correspondance, mais je ne l’ai pas fait… Je suis entré au cours Florent mi-2014 mais je suis parti au bout de deux ans sans faire la 3ème année. Les cours devenaient de plus en plus incompatibles avec les castings et les tournages, dont j’avais besoin pour assurer mes revenus. J’ai fini par décrocher un rôle récurrent dans un feuilleton. J’arrive à peu près à couvrir mes dépenses qui sont de 1.500 euros par mois. Mes parents m’ont aidé financièrement au début, mais maintenant je me débrouille seule. Je viens de province, mes parents sont restaurateurs, et n’avaient aucun contact dans ce métier, ni moi non plus. Mais je me suis faite mon propre réseau de contact en surmontant ma timidité, en ayant du culot, en allant vers les gens, en étant ouvert, en discutant et sympathisant avec eux… Je me suis fait violence, car sinon j’aurais stagné, et je ne le regrette pas, la vie est plus simple désormais. Dire qu’on ne peut pas rentrer dans ce milieu sans relations est une idée fausse. Le plus difficile est de ne pas se décourager quand il ne se passe rien. Mais je ne me décourage pas, car je n’ai pas le choix. Je tenterai d’être comédienne jusqu’au bout, même si je me retrouve à la rue. Je ne veux avoir ni regrets, ni remords".

Esteban, humoriste
"Je me suis lancé dans l’humour à 18 ans. J’ai suivi des cours de théâtre. Puis j’ai commencé à me produire sur scène au Sonart et SoGymnase. Aujourd’hui, j’ai 10 minutes de sketches qui fonctionnent bien, mais mon objectif est d’arriver à une demi-heure d’ici l’été. Mais mes prestations sur scènes sont rémunérées au chapeau, et donc ne permettent pas d'en vivre. Je gagne ma vie en parallèle, en tant que cadreur. L’humour est un secteur dur car très concurrentiel. Enormément de gens veulent se lancer. Il faut donc se démarquer, proposer quelque chose de nouveau. C'est ce que j'essaye de trouver, mais c'est très dur car on a l'impression que tout a déjà été fait. Faire des vidéos sur YouTube me paraît nécessaire car ça permet de se faire connaître, et donc de remplir ensuite les salles. J'ai des projets de vidéos en solo. J’en fais déjà au sein du collectif Les Loss, qui ont déjà 100.000 fans sur Facebook".

Pierre, producteur
"Après avoir fait l’école de commerce d’Angers (ESSCA), j’ai fait le master 2 'Digital, média et cinéma' de la Sorbonne. Je souhaite travailler dans la production, au départ plutôt télévisée que cinématographique, car la télévision est plus ouverte, plus facile d’accès que le cinéma. Ce secteur a une mauvaise image, celui d’un milieu bouché et sans avenir. Cela a donc été très compliqué à faire accepter à mes parents ou mes amis. Mes collègues de promo de mon école de commerce s’imaginent que je ne fais rien de mes journées… Mes profs, des amis de mes parents… m’ont mis au défi d’y arriver. Mais j’y arriverai, c’est une question de volonté et de patience. Si on me ferme la porte, j’essaie la fenêtre, même si certains ont dû me trouver trop ambitieux. Il faut ne pas avoir peur, et accepter d’être peu payé au début. Je viens de province et je ne connaissais personne dans le milieu. C’était un handicap au départ, car ce métier marche principalement par réseau. Mais je me suis constitué mon propre réseau grâce à mes études et à mes stages".

Vincent, caméraman et réalisateur
"Quand j’étais adolescent, je voulais devenir réalisateur. Puis en cinquième, j’ai découvert les logiciels d’effets spéciaux, et j’ai voulu faire des films en 3D. Mais ma conseillère d’orientation ne m’a pas pris au sérieux… Après le bac, j’ai étudié un an à l’Arfis, une école d’audiovisuel à Villeurbanne. J’ai financé cette école (6.000 euros) grâce à un prêt étudiant. Mais je n’ai pas fait le cursus complet, car je n’en trouvais pas l’utilité par rapport à ce que je voulais faire.
J’ai d’abord travaillé durant un et bénévolement pour le blog Sweetlife, puis je suis devenu auto-entrepreneur. Je viens d’atteindre le plafond maximal de revenus pour être auto-entrepreneur, donc je suis en train de créer ma propre société.
Je suis freelance, ce qui permet difficilement de prévoir l’avenir. Mais finalement, je suis arrivé à gagner ma vie au bout de deux ans, alors qu’à l’Arfis on nous avait expliqué que cela prenait plutôt cinq ans. Je gagne environ 2.500 euros nets par mois.
Je me suis spécialisé dans les aftermovies (films récapitulatifs) d’événements, soit des soirées privées d’entreprises, soit des festivals de musique. J’ai ainsi réalisé l’aftermovie du dernier Hellfest, et j’ai été cadreur lors du dernier Tomorrowland".

Jean, réalisateur
"A l’origine, je voulais devenir réalisateur de cinéma, mais cela paraissait trop précaire à mes parents. Je me suis donc orienté vers le journalisme, qui semblait plus réaliste, et j’ai fait une école de journalisme. J’ai ensuite travaillé durant deux ans comme JRI pour une société de production, où j’ai commencé à travailler sur la mode. Aujourd’hui, je suis réalisateur free lance, je réalise des films de 20 à 40 secondes pour des marques de mode et de cosmétiques, qui sont utilisés pour leur campagnes de publicité digitales.
Au départ, être free lance ne me rassurait pas, j’aurai préféré avoir un CDI. Mais finalement je gagne correctement ma vie depuis un an. J’ai appris à négocier mes tarifs.
Je ne pensais pas en arriver là tout seul, étant donné que je n’ai pas fait d’école de cinéma, et que je suis quasiment autodidacte. Tout s’est fait grâce au réseau que je me suis constitué tout seul au fil des rencontres, et aussi au culot, en envoyant des messages à des gens que je ne connaissais pas. Car à l’origine, je ne connaissais personne, et le réseau de mon école ne m’a jamais servi non plus.
Mais je ne veux pas rester dans la publicité toute ma vie, car on n’a jamais carte blanche pour faire ce qu’on veut. J’aimerai réaliser des documentaires, puis passer à la fiction. J’ai déjà réalisé un documentaire sur mes grand parents, et écrit plusieurs histoires. J’aimerai être au service d’une histoire, et plus d’un produit. Ma stratégie est de gagner suffisamment d’argent avec la pub pour financer à côté des réalisations qui ne rapportent pas. Travailler pour la pub est un compromis, mais sans cela, je serai au RSA, et je ne pourrais avoir le même train de vie".

Valentin, musicien
"J’ai toujours rêvé de travailler dans la musique, mais cela me paraissait compliqué d’en vivre. Après mon bac littéraire, je me suis inscrit en droit à Cergy pour avoir quelque chose de stable, mais j’ai tenu deux mois. Je me suis lancé dans la musique, comme DJ dans des soirées étudiantes, et comme compositeur d’instrumentaux pour des rappeurs. Je suis en train de faire l’Eanov School, une école d’ingénieur du son et de production. J’ai financé le coût de l’école (14.000 euros) via un prêt étudiant garanti par mes parents.
J’espère que j’arriverai à vivre de ma musique. Mais de toutes façons, je suis très déterminé et je ne laisserai jamais tomber, même si j doit faire des petits boulots à côté pour gagner de l’argent"

Jamal Henni