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La télévision par la TNT est-elle condamnée à disparaître?

L'émetteur TDF du mont Ventoux

L'émetteur TDF du mont Ventoux - TDF

Le président de l'Arcep juge "inéluctable" la fin de la diffusion terrestre de la télévision, et veut récupérer ces fréquences pour les opérateurs télécoms.

"Il est inéluctable que les fréquences TNT basculent du côté des télécoms". Le gendarme des télécoms affiche clairement la couleur. Dans une interview aux Echos, le président de l'Arcep Sébastien Soriano affirme que la diffusion terrestre de la télévision est condamnée. Il demande à ré-allouer aux opérateurs mobiles la bande des 600 mégahertz, aujourd'hui utilisée pour diffuser la télévision numérique terrestre (TNT).

Un quart des Français n'ont que la TNT

A l'appui de cette revendication, le gendarme des télécoms avance plusieurs arguments. D'abord,

"la TNT est en train de s’éroder au profit de modes de diffusion alternatifs comme le satellite, l'ADSL, et bientôt par la fibre. Cette bascule est majeure. Depuis quelques trimestres, la TNT n’est plus le mode privilégié de réception de la télévision".

En effet, selon l'observatoire du CSA, les foyers recevant la télévision via la TNT sont passés de 67% à 50,8% entre 2010 et 2017, Et parmi eux, la moitié dispose en parallèle d'un second mode de réception: ADSL, fibre, satellite... Toutefois, l'autre moitié (23,6% des foyers) reçoit encore la télévision uniquement par la TNT, ce qu'omet de préciser le gendarme des télécoms...

Le prix et la couverture

Autre argument du gendarme des télécoms: "à certains endroits, notamment les zones rurales, on pourrait, par exemple, permettre aux chaînes de passer plus rapidement par le satellite". Et ailleurs, les Français pourront utiliser l'ADSL et progressivement la fibre optique. Mais Sébastien Soriano passe sous silence le problème du prix: l'abonnement à l'ADSL ou à la fibre optique est payant, alors que la réception de la TNT est gratuite.

Autre problème: la couverture de la population. Aujourd'hui, la TNT est reçue par 97% de la population. Certes, l'objectif fixé sous la présidence Hollande est que tous les foyers disposent d'ici à 2022 d'un accès à très haut débit, que ce soit en fibre ou par satellite. Mais à fin mars, seuls 18 millions de foyers peuvent accéder au très haut débit, dont 11 millions en fibre et 9 millions en câble, selon l'Arcep. Et il est à craindre que l'objectif de 100% des foyers en 2022 ne soit pas tenu, comme les précédents objectifs fixés en la matière.

Faire rentrer de l'argent

Sébastien Soriano avance ensuite des considérations financières:

"L’Etat s’est engagé à dépenser 3,3 milliards pour apporter l’Internet très rapide aux Français. Peut-on se payer le luxe d’avoir cette politique très forte d’un côté, et de continuer à alimenter de l’autre côté une plate-forme, la TNT, dont l’intérêt est de plus en plus faible? Aujourd’hui, on paye deux réseaux: la TNT et les télécoms. On pourrait éviter cette double dépense".

Toutefois, le gendarme des télécoms oublie ici que la diffusion de la TNT est entièrement financée par les chaînes de télévision, et ne coûte rien à l'Etat. Autre omission: les fréquences sont octroyées gratuitement aux chaînes de télévision, mais sont vendues aux opérateurs télécoms, par exemple via des enchères. Dès lors, ré-allouer les fréquences TNT aux télécoms permettrait de faire rentrer beaucoup d'argent dans les caisses de l'Etat...

La gloutonnerie des télécoms

Enfin, le président de l'Arcep assure que les télécoms auront besoin un jour de mettre la main sur les fréquences de la télévision. Pas pour la 5G, qui dispose déjà de ses fréquences. Mais,

"dans un deuxième temps, la 5G aura besoin de bandes [de fréquences] supplémentaires. Les fréquences de la TNT sont immobilisées alors que la demande sociale pour les réseaux mobiles explose. On a un quasi-doublement des volumes de données tous les ans".

Là encore, Sébastien Soriano oublie de rappeler que, ces dernières années, les télécoms ont déjà récupéré les bandes 700 et 800 mégahertz, soit plus de 40% des fréquences initialement dévolues à la TNT, ce qu'on appelle le dividende numérique.

Pas avant 2030

Toutefois, le gendarme des télécoms est bien conscient que ce projet pose plusieurs problèmes. D'abord, la loi stipule que ces fréquences resteront utilisées par la télévision jusqu'à fin 2030: "la bande de fréquences des 600 mégahertz reste affectée, au moins jusqu'au 31 décembre 2030, pour la diffusion de services de télévision par voie hertzienne terrestre". Toutefois, la loi prévoit un point d'étape en 2025: "Cinq ans au moins avant le 31 décembre 2030, le gouvernement remet un rapport au parlement relatif aux perspectives de diffusion et de distribution des services de télévision". Ce calendrier est directement inspiré du rapport commandé en 2014 par Bruxelles à Pascal Lamy.

Et Sébastien Soriano de presser le pas:

"si un jour les télécoms doivent reprendre les fréquences de la TNT, c’est une décision qui doit être prise au niveau européen. Cette question va se poser en 2019. J’observe qu’aux Etats-Unis, on a déjà choisi de réattribuer les fréquences de la TNT aux opérateurs mobiles. Cela met de fait la pression à l’Europe".

Toutefois, aux Etats-Unis, c'est seulement la bande des 600 mégahertz qui a été mise aux enchères en 2016-2017 au profit des opérateurs télécoms. La bande des 500 mégahertz reste consacrée à la télévision. Et de toutes façons, les Américains utilisent très peu le réseau terrestre pour regarder la télévision (moins de 15% des foyers).

Le document publié par l'Arcep prédit déjà que Canal Plus pourrait, lors du renouvellement de sa fréquence TNT en 2020, "reconsidérer l'utilité" de sa diffusion terrestre. En clair, rendre sa fréquence hertzienne, qui lui coûte 20 millions d'euros par an pour moins de 600.000 abonnés.

Qui va financer la création?

Autre problème: les chaînes TNT, en échange de leurs fréquences, s'engagent à investir dans la création française: films, fictions, documentaires, etc. Et les chaînes sans fréquences TNT ont des obligations beaucoup plus légères.

Ce à quoi le gendarme des télécoms répond: "La TNT est une peau de chagrin, elle ne pourra pas durablement contribuer à la financer comme elle le fait aujourd’hui. Il faut regarder cette réalité en face". Mais la future directive européenne sur l'audiovisuel apporte "une première réponse: tous les acteurs audiovisuels non classiques, type Netflix, vont participer à l’effort de création". Toutefois, le projet de directive ne fixe aucune obligation chiffrée d'investissement dans la création, laissant cela aux Etats.

Les propos du gendarme des télécoms suscitent déjà des protestations du milieu culturel, notamment celle de Pascal Rogard, directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques: 

"L’ogre des télécoms veut clairement dévorer la télévision, mais il sort trop tôt de sa tanière. Alors qu’on vient de demander aux Français de passer à la TNT puis au MPEG 4, comment va-t-on leur expliquer que tout cela n’a servi à rien? La polémique actuelle sur la fin de la diffusion terrestre de France 4 montre bien qu’un basculement d’une chaîne du hertzien vers le numérique pose moult problèmes et réduit l’audience. Surtout, il serait dangereux de quitter un univers hertzien régulé et dominé par des acteurs français, pour l’univers de la diffusion ‘over-the-top’ dominé par des Américains et dont la régulation n’est pas encore stabilisée. Ce serait lâcher la proie pour l’ombre."
Jamal Henni