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La volte-face de Bercy sur le mariage Renault-Fiat

Le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire.

Le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire. - Eric Piermont - AFP

L’échec de la fusion entre les deux constructeurs automobiles reste incompréhensible alors que tous les obstacles avaient été levés. Les arguments du gouvernement se heurtent à la réalité des faits.

Il est 15 heures, mercredi 5 juin, quand Xavier Bertrand prend la parole au Sénat. Le président Les Républicains de la région des Hauts-de-France intervient dans le cadre d’une mission d’information sur l’avenir de la filière sidérurgique. Mais c’est sur le brûlant dossier Renault que l’ancien ministre du Travail va tirer à boulets rouges.

Trois heures avant la tenue d’un conseil d’administration décisif du constructeur, il lance une violente charge contre le mariage avec Fiat. Il en appelle à Emmanuel Macron et critique la « précipitation » du gouvernement sur une opération dans laquelle Renault sera lésé. Sa sortie, trois jours après la démission de Laurent Wauquiez de la présidence des Républicains, sonne comme un avertissement politique. D’autant que deux heures plus tard, c’est Valérie Pécresse qui claque la porte des Républicains. La recomposition de la droite est en marche. Et le ministre de l’Economie Bruno Le Maire sait que c’est un enjeu clé pour le gouvernement. L’ambiance est déjà électrique depuis le début de la semaine. Les 1.045 suppressions de postes de General Electric à Belfort suscitent la polémique dans les rangs de l’Assemblée nationale. Le dossier Renault-Fiat risque d’aggraver encore les tensions. « L’Elysée a commencé à reculer dès lundi » assure un bon connaisseur du pouvoir.

Alors mercredi matin, le ministre de l’Economie, réitère sur BFMTV son soutien à l’opération mais martèle qu’il ne faut pas de « précipitation ». Son bras droit, Agnès Pannier-Runacher, nous assure, à la sortie des studios de BFM Business qu’elle est confiante dans le vote des « grandes lignes d’un accord » tout en soulignant qu’il ne faut pas, là encore, « se précipiter ». Des mots qui résonnent comme un « gimmick » faisant écho à l’autre enjeu politique.

Tous les obstacles étaient levés

Deux heures plus tard, pourtant, tous les voyants sont au vert au siège de Renault à Boulogne-Billancourt. « On pense que le conseil va aller vite et votera pour le mariage avec Fiat » nous assurait mercredi un proche de la direction du constructeur. Le conseil d’administration du groupe commence à 18 heures dans une ambiance plutôt « détendue ». Les directions de Renault et Fiat ont prévu d’organiser une conférence de presse commune jeudi en fin de journée à l’Automobile Club de France. Les communiqués de presse aussi sont prêts à être envoyés dans toutes les rédactions vers 20h30. Le conseil dure mais progresse. Les derniers points de désaccords sont même levés. « On avait trouvé un compromis sur les sujets de valorisation » assure un proche de Bruno Le Maire.

Pourtant, le représentant de l’Etat au conseil d’administration de Renault, Martin Vial, demande une suspension de séance vers 22 heures pour s’entretenir avec le ministre de l’Economie et l’informer des dernières avancées. « C’était hallucinant, il n’arrivait pas à joindre Bruno Le Maire » s’étonne encore un proche du conseil. Pourtant, son directeur de cabinet, lui, est disponible. Emmanuel Moulin commente au même moment sur Twitter des déclarations de… Xavier Bertrand, l’un des grands rivaux politiques de Bruno Le Maire. L’interruption dure jusque 23 heures. Un flottement s’installe et l’ambiance commence à se tendre. « On ne savait vraiment plus ce qui allait se passer » raconte cette source.

Nissan comme bouc émissaire

Le conseil commence alors à voter pour le projet qui est désormais ficelé. Le vote des administrateurs a bien lieu alors que Bercy a assuré le contraire jeudi matin. Sauf qu’il n’a pas été complet et clos. Les administrateurs indépendants entament le tour de table et vote pour. Idem pour ceux des salariés à l’exception de la CGT qui s’y oppose, comme prévu. Vient ensuite le vote des deux administrateurs de Nissan qui s’abstiennent, comme attendu depuis une semaine. Ils réservent leur feu vert lors de la finalisation de la fusion, prévue en octobre prochain. Le président de Renault a bien reçu leur message depuis une semaine lorsqu’il s’est rendu au Japon.

« La position de Nissan n’est pas une surprise, s’étonne un proche de Renault. Elle est connue de tous, de Renault, de Fiat et de l’Etat français ». Et tous les administrateurs s’attendaient à valider la fusion avec Fiat malgré l’abstention de Nissan. Malgré tout, le président de Renault, Jean-Dominique Senard, demande à ce que la position officielle de Nissan soit inscrite dans le procès-verbal du conseil d'administration, comme preuve.

L’Etat actionnaire est le seul à devoir encore voter. Son représentant, Martin Vial, crée alors la stupeur en demandant le report du vote de cinq jours après le voyage, prévu de longue date, de Bruno Le Maire au Japon. « Le ministre voulait aller chercher un soutien explicite de Nissan » justifie un de ses conseillers. « L’Etat voulait éviter une opposition de Nissan, rétorque un proche de la direction de Renault. Mais son abstention n’a jamais été un problème, tout le monde le savait ». Et quand Nissan n'est pas d'accord, il le dit. Renault l'a bien vu lorsque son partenaire a refusé son projet de fusion.

Après le second conseil d’administration de Renault sans décision, Fiat décide de claquer la porte. « Nous aussi nous avons pris contact avec la direction de Nissan et nous n’avons jamais eu de mauvais retours, ajoute un proche de Fiat. Prétexter qu’il fallait leur accord alors que tout le monde savait qu’on ne l’aurait qu’à la fin est un leurre ».

Comme Orange-Bouygues en 2016

Le « blitzkrieg » de Fiat sur Renault échoue alors que les critiques commençaient à fuser dans les rangs politiques et syndicaux en France. Pourtant, le gouvernement n’a pas découvert le projet de mariage Renault-Fiat lors de sa publication au lendemain des élections européennes, fin mai. Le ministère de l’Economie était mis au courant de chaque fait et geste du président de Renault. « Bercy était au courant de ces discussions depuis deux mois » assure un ami de Jean-Dominique Senard. Les pourparlers avaient d’ailleurs déjà été évoqués par BFM Business, mi-avril. L’argument de la précipitation de tient pas alors que tout avait été balisé en amont.

Le gouvernement redoutait-il que Renault ne se retrouve objet d’un bras de fer politique ? Comme Arnaud Montebourg s’était servi du rachat d’Alstom par General Electric pour s’opposer à François Hollande, Emmanuel Macron et Bruno Le Maire ont peut-être craint que Xavier Bertrand ne s’oppose à eux à travers le mariage entre Renault et Fiat. A l’heure de la recomposition de la droite et de la majorité, la « précipitation » sur le dossier Renault risquait-il aussi de brusquer les rapports de force entre les deux partis politiques ?

La volte-face de l’Etat actionnaire s’apparente à un étrange refus d’obstacle d’un cheval lancé au galop. Un scénario qui ressemble au rachat avorté de Bouygues Telecom par Orange en 2016. Après trois mois de négociations intenses entre Orange, Bouygues, SFR et Free, Bercy avait changé son fusil d’épaule et poussé Martin Bouygues à accepter l’inacceptable et donc à jeter l’éponge. Les opérateurs télécoms ont toujours pensé que le refus était venu du ministre de l’Economie… Emmanuel Macron. Le mariage entre Orange et Bouygues risquait d’aggraver son image de politique proche des grands patrons et d’handicaper son ambition présidentielle naissante.