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Le cloud privé n'est qu'une étape dans la transformation des entreprises

Avec des budgets en hausse, les entreprises s'intéressent aujourd'hui principalement au cloud privé, mais lorgnent de plus en plus vers des initiatives en cloud public.

Avec des budgets en hausse, les entreprises s'intéressent aujourd'hui principalement au cloud privé, mais lorgnent de plus en plus vers des initiatives en cloud public. - Accenture

Les investissements numériques qui progressent, engendrent une évolution des pratiques des DSI. Le développement d’applications par itération a ainsi de beaux jours devant lui, de même que le cloud public, estime dans cette interview Yves Bernaert, directeur exécutif d'Accenture Technology pour l'Europe.

BFM Business : Accenture vient de publier son 7ème baromètre des investissements numériques en France. On note qu’en matière d’hébergement, "la mise en place de clouds privés est une priorité pour 45% des entreprises". Mais pourquoi les DSI sont-ils nombreux à s’en tenir au cloud privé ? Pensent ils bénéficier de tous les avantages du cloud lorsqu’ils prennent l'option du privé ? Ont ils l'impression de se simplifier la vie ?

Yves Bernaert : Les DSI font aujourd'hui principalement le choix du cloud privé, mais on observe de plus en plus d’initiatives en cloud public. Je le vois plus comme un processus qui avance par étape. Partis du privé, ils seront de plus en plus nombreux à migrer vers des solutions publiques. Cela étant dit, les avantages du cloud privé ne sont pas aussi évidents quant au critère de partage des coûts, où les amortissements sont moins répartis. Cela apporte visuellement plus de sécurisation des données mais opérationnellement il est tout à fait possible de les gérer via le cloud public. Le choix est davantage lié à la perception que les DSI se font de la sécurité et de la confidentialité.

Avoir des serveurs physiquement proches de soi paraît moins risqué. Mais ce n’est qu’une étape. Et cet état d’esprit est probablement lié à la culture européenne, dans laquelle les réflexions sont structurées par la préoccupation de protection des données vis-à-vis des clients, des fournisseurs, des individus. C’est un élément de réponse de notre relatif retard par rapport aux Etats-Unis.

Y a-t-il aussi la crainte d’une réduction des effectifs. En choisissant le cloud public, un DSI redoute-t-il en effet de voir son équipe composée de moins d’administrateurs réseau par exemple ?

Certes, ce risque social peut représenter une crainte pour certains DSI. Reste que leur problématique est de maintenir les projets existants et d’en financer de nouveaux, tout en disposant d’un budget identique.

Pour mener à bien leurs investissements digitaux, les entreprises ne sont qu’une minorité à privilégier la méthode DevOps (11% en 2015, bien que 24% disent vouloir l’appliquer d’ici 2 ou 3 ans). Le terme "DevOps" est de plus en plus entendu. Pouvez-vous rappeler en quoi consiste cette méthode ?

L’expression "DevOps" désigne une méthode agile pour concevoir des systèmes dans un mode très itératif, avec un échange perpétuel entre les équipes de développement et les utilisateurs. On y défini des étapes de design avec un premier prototype mis en production, puis s’ensuivent d’autres étapes aboutissant à chaque fois à un nouveau prototype, en allant à chaque fois jusqu’à la mise en production.

Cette mise en production de l’application intervient beaucoup plus rapidement que dans un processus classique. Cela nécessite des compétences très différentes avec beaucoup plus d’automatisation dans le développement et dans les tests d’applications.

Pourquoi cette méthode est-elle encore peu utilisée ? Est-elle vouée à se développer ?

C’est une méthode nouvelle, elle nécessite un changement d’habitudes au sein des équipes IT, MOA (maîtrise d’ouvrage, ndlr) ou relation utilisateurs, qui avaient l’habitude de travailler dans un modèle tunnel avec un processus linéaire long de plusieurs mois : design puis test puis mise en production.

Le "DevOps" va s’accroître. La nouvelle façon de faire de l’IT consiste à rendre les applications "future ready", c’est-à-dire capables d’avoir des fonctionnalités nouvelles rapidement, sans changer le cœur. Elles doivent pouvoir être actualisées grâce à des API, être beaucoup plus malléables, intelligentes, connectées pour dialoguer avec des applications de fournisseurs/client. Les services Saas répondent à ce besoin.

Yves Bernaert, directeur exécutif d’Accenture Technology pour l’Europe, l’Afrique et l’Amérique latine,
Yves Bernaert, directeur exécutif d’Accenture Technology pour l’Europe, l’Afrique et l’Amérique latine, © Accenture Technology

79% des entreprises collaborent ou prévoient de le faire avec des partenaires externes pour développer leur stratégie numérique, mais seule la moitié disent avoir une bonne connaissance des différents types de partenaires possibles. Pourquoi une telle méconnaissance ? Comment la corriger ?

Il y a un schisme des acteurs, une augmentation du nombre d’acteurs digitaux. Auparavant, les services numériques étaient principalement commercialisés par des agences alors qu’aujourd’hui tous les grands acteurs se sont positionnés sur ce segment. C’est notre travail de faire connaître ces offres ! Cette méconnaissance est liée à la démultiplication des offres et au caractère extrêmement changeant du marché. Les innovations, notamment celles apportées par des start-ups, sont extrêmement mouvantes, les annonces sont fréquentes alors qu’avant une marque ne faisait une annonce que tous les 2 à 3 ans. Cela s’est accéléré.

55% des budgets digitaux ne sont pas entièrement ou directement gérés par la DSI. C’est particulièrement vrai pour les applications de marketing (67%). Comment gérer le shadow IT ?

Ce phénomène n’est pas grave, il est souvent lié à la gouvernance des entreprises telle qu’elle fonctionne. Les budgets peuvent être répartis. Mais lorsque l’intégration de l’application comporte un risque opérationnel pour l’entreprise, il est vital qu’elle s’intègre correctement dans le système d’information. Le DSI retrouve alors sa fonction de fédérateur des initiatives. C’est à lui de contrôler les risques, de s’assurer que les solution mises en œuvres sont maintenables, "scalable" (…). Tout DSI a la responsabilité de définir des normes et des standards mais au-delà de cela, il faut qu’il s’assure que les applications sont bien interfacées, qu’elles sont hébergées dans le bon cloud, etc.

Dans un contexte de profonde transformation des entreprises et d’adoption de nouveaux services informatiques, les relations entre direction générale, directions métiers et directions des systèmes d’information évoluent. D’après ce 7ème baromètre, 60% des DSI jugent la gouvernance "très importante" dans la réussite de la stratégie numérique de leur entreprise. Comment faire pour qu’un dialogue fluide se mette en place entre les différentes directions? Quel est le rôle du directeur des systèmes d’information ?

Sans entrer dans des cas particuliers, je pense que plus on avance dans la transformation digitale d’une activité, plus on se doit d’écouter les experts digitaux de l’entreprise. La digitalisation impose de suivre les nouvelles technologies arrivants sur le marché. C’est donc d’une part au directeur général d’écouter sa DSI et à la DSI et de savoir prodiguer les bons conseils, pour la sélection des technologies, leur intégration. Les DSI doivent impérativement contribuer à anticiper ces évolutions en se tenant au courant de ce qui se fait dans d’autres pays ou dans d’autres secteurs d’activité. Le digital casse les barrières. Le DSI se positionne comme fédérateur des idées technologiques.

"Réussir à quantifier le ROI des investissements digitaux est le défi principal pour 52% des DSI" 

Quelle(s) solution(s) pour y parvenir et donc faire valoir des investissements auprès de la direction générale ?

La question peut être prise dans l’autre sens : quel est le risque de ne pas le faire ? Dans tous les secteurs d’activités, il y a de nouveaux entrants, avec des solutions 100% digitales. Ils bousculent le marché avec de nouveaux modèles économiques, agiles. Face à cela, beaucoup de grands opérateurs ont créé des filiales "digital natives".

La réalisation d’une véritable stratégie digitale pour l’ensemble de l’entreprise est aujourd’hui essentielle. Il s’agit de faire évoluer les process de relation client mais aussi de production, afin d’améliorer l’entreprise. En 2014, les DSI étaient une immense majorité à déclarer travailler sur cette stratégie digitale. Au moment de sa définition, le ROI a forcément été quantifié. Maintenant on n’a pas encore le retour d’expérience pour démontrer l’efficacité de ce qui a été mise en place. Pour l’instant, on dispose seulement de retours ponctuels qui démontrent cette efficacité, mais il faudra attendre quelques années pour avoir des analyses plus statistiques.

Adeline Raynal