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Le curieux rapport des Français avec l'argent liquide

Les Allemands restent très attachés au cash

Les Allemands restent très attachés au cash - Moerschy - Flickr - CC

Les Français ne retirent plus que 2000 euros en moyenne par an dans les DAB. Bien moins que Italiens, les Britanniques et les Allemands. Mais pourtant, à la différence des Scandinaves qui comme eux, paient le plus souvent par carte, ils ne veulent pas la mort des espèces.

C'est le paradoxe français. Selon un sondage IFOP de 2016 pour la banque Brinks, 85% des consommateurs ne souhaitent pas, à terme, que le cash disparaissent aux profits des moyens de paiements dématérialisés. Mais dans les faits, ils utilisent de moins en moins des billets pour régler leurs achats ou payer des services.

C'est ce que montrent les dernières statistiques de la Banque centrale européenne sur les moyens de paiements en Europe. Ainsi l'an dernier, les Français ont retiré pour 140,2 milliards d'euros dans les distributeurs de billets, (DAB), bien moins donc que les Britanniques (229,7 milliards), les Italiens (193,6 milliard). Et surtout que les Allemands (373,2 milliards). Si l'on rapporte au nombre d'habitants, les Français ont retiré en un an l'équivalent de 2096 euros par personne, un niveau très largement inférieur à la moyenne européenne (2946 euros).

De fait, au regard des Italiens (3194 euros), des Britanniques (3501 euros) mais surtout des Belges (3654 euros) des Allemands (4523 euros, voir encadré) et des Autrichiens (5609 euros), les Français délaissent clairement les espèces même s'ils y restent attachés.

Croisade suédoise

Les Suédois ont, eux, passé la vitesse supérieure. Selon les statistiques de la BCE, en 2016, ils ont retiré l'équivalent de 1151 euros par personne, trois fois moins que la moyenne européenne. Mais surtout le montant total de cash retiré dans les DAB par les Suédois a été divisé par deux entre 2013 et 2016 alors qu'il a progressé de 8,6% dans l'ensemble de l'Europe.

Autre preuve que les Suédois délaissent le cash: le nombre de DAB par habitant. Dans la patrie de Zlatan Ibrahimovic, on comptait, en 2016, 287 DAB par million d'habitant. Un niveau sans équivalent en Europe. Depuis 2012, ce ratio a baissé de 20% (-2% en France). La tendance est également très nette au Danemark (-17,1%) ou encore en Finlande (-16,3%).

Les autorités suédoises ont littéralement déclaré la guerre à l'argent liquide, alors qu'elle fut le premier pays a introduire le billet de banque en Europe en 1661. Ce n'est pas tant le gouvernement, qui est resté en retrait, que les banques qui en sont à l'origine, y voyant un moyen de lutter contre le travail au noir et le crime organisée, souligne le Monde. Elles ont ainsi offert une large gamme de moyens de paiements digitaux à leurs clients.

Le "coût du cash"

Ainsi, comme le rapportait le Guardian en juin 2016, près de 900 agences bancaires sur 1600 n'ont pas d'argent liquide dans leur coffre. Niklas Arvidsson, un professeur de finance spécialisé dans les moyens de paiement, confiait ainsi au journal britannique que la Suède devrait devenir "un pays sans cash dans cinq ans". À l'heure actuelle selon la Riskbank, la banque centrale suédoise, moins de 20% des paiements dans les magasins sont effectués en espèces.

Mais la Suède n'est pas la seule à partir en croisade contre le cash. Son voisin danois s'arme lui aussi. Le gouvernement a récemment autorisé les commerçant à refuser les paiements en espèces la nuit. La banque centrale du pays a arrêté d'imprimer des billets dès la fin 2016 tandis que la production de pièces a été délocalisée en Finlande, rapportait Bloomberg. Selon le conseil danois des paiements, alors que le cash représentait jusqu'à 65% des paiements dans le commerce au milieu des années 90, le chiffre est tombé à un peu plus de 20% en 2015.

Les Finlandais, eux, sont plus attachés à l'argent liquide que leurs deux voisins. Mais l'usage des espèces se raréfie petit à petit. La Banque centrale du pays a ainsi calculé que l'argent liquide pourrait disparaître d'ici à 2029. En Norvège, la plus grande banque du pays, DnB NOR a, elle, appelé à la fin du cash, affirmant que 60% de l'argent liquide était utilisé pour faire du blanchiment d'activités illégales. Le parti conservateur norvégien (Hoyre) a même un plan pour éradiquer le cash dans le pays d'ici à 2030.

Il faut croire que ces initiatives sont profitables car "le cash a un coût", comme le soulignait le prestigieux cabinet McKinsey dans un rapport en 2013. Notamment parce qu'une profusion de billets et d'espèces dans un pays signifie davantage d'économie souterraine, de nombreuses études ayant montré une "corrélation claire" entre les deux phénomènes. Le cabinet avait alors calculé "un coût du cash" par ménage dans plusieurs pays. Et, comme par hasard, ce coût était le plus bas dans deux pays: la Finlande (110 dollars) et la Suède (210 dollars).

L'inoxydable goût des peuples germaniques pour le cash

L'appétence germanique pour le cash n'est guère surprenante. Dans une étude publiée en 2013, la Réserve fédérale américaine (Fed) avait étudié les préférences des consommateurs de sept pays pour différents achats. Pour absolument n'importe laquelle de ces dépenses, les Autrichiens étaient ceux qui préféraient payer en liquide, suivis de près par les Allemands. Avec des différences impressionnantes: neuf Autrichiens et huit Allemands sur dix préféraient payer le restaurant en espèces, contre moins de deux Français sur dix. Idem pour le paiement des courses (sept Allemands sur dix contre moins de trois Français sur dix).

Comment explique-t-on cette passion germanique pour le cash? Une étude de la BCE de 2011 ouvrait comme piste potentielle la sécurité. Selon cette étude, les consommateurs accros au cash jugeraient que l'argent liquide est finalement le moyen le plus simple et le moins coûteux de contrôler ses dépenses. "Le cash a pour caractéristique d'avoir une 'mémoire': le montant dépensé et le budget restant peuvent facilement être observés par un coup d'œil au porte-monnaie", notaient les auteurs dans la conclusion de leur papier. Cette hypothèse a d'ailleurs été partiellement vérifiée dans un sondage de la banque ING publiée cette année.

77% des Allemands (et 71% des Autrichiens) déclaraient que la sécurité du paiement en espèce était "élevée" ou "très élevée". Il s'agissait du pays avec le taux le plus important. En France, le chiffre n'était ainsi que de 49%. A contrario, moins d'un Allemand sur deux jugeait les autres moyens de paiements sécurisés (48%).

Julien Marion