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Le festival de Cannes promet d'accorder plus de place aux femmes

Le festival a écarté de sa sélection cette année toute personne accusée de harcèlement

Le festival a écarté de sa sélection cette année toute personne accusée de harcèlement - BFM Business

Le festival, critiqué pour le peu de place faite aux femmes, promet de s'amender, mais refuse d'instaurer des quotas dans sa sélection.

En matière d'égalité entre hommes et femmes, le festival de Cannes a beaucoup de retard. La Palme d'or est allé seulement une fois à une femme: Jane Campion en 1993 pour La leçon de piano. Seuls 5% des 1727 films sélectionnés en compétition officielle ont été réalisés par des femmes, selon des statistiques compilées par le mouvement 50/50 en 2020 et reprises par l'actrice Cate Blanchett lors d'un discours sur les marches samedi 12 mai. "Les festivals de Berlin et de Venise programment davantage de films de réalisatrices, et leurs accordent plus de récompenses", pointe le mouvement. Le jury a été présidé par des femmes seulement 12 fois. Il a fallu attendre 1957 pour qu'une femme fasse partie du jury (l'actrice Dolores del Rio), 1965 pour qu'une femme le préside (l'actrice Olivia de Havilland), et 1998 pour qu'un jury soit paritaire.

"Le festival de Cannes est notoirement sexiste, de l'obligation de porter des talons hauts pour entrer, aux déclarations de son délégué général Thierry Fremaux disant ne pas être responsable du manque de films réalisés par des femmes", accuse la réalisatrice australienne Sarah Doyle.

"Le festival d'Harvey"

Sans doute par diplomatie, Cate Blanchett n'a pas évoqué dans son discours le rôle important joué à Cannes par des hommes aujourd'hui emporté par l'ouragan MeToo, comme les réalisateurs Woody Allen et Roman Polanski (des habitués de la sélection officielle), et bien sûr Harvey Weinstein (qui avait remporté des palmes d'or avec Pulp fiction, La leçon de piano, Fahrenheit 9/11 et Sexe mensonges et vidéo). Trois femmes (Asia Argento, Zoe Brock et Kadian Noble) accusent même l'ancien pape du cinéma indépendant américain de les avoir agressées durant le festival.

Harvey Weinstein était aussi la cheville ouvrière du prestigieux gala de la fondation de recherche sur le Sida Amfar, qui réunit le gratin d'Hollywood en parallèle du festival. "Les gens disaient des choses du genre: 'le festival de Cannes est le festival d'Harvey'. Cela reflétait son talent pour manipuler les médias en faveur des films qu'il promouvait. Mais les gens vont être agréablement surpris de voir que nous poursuivons sans lui le gala le plus glamour et le plus recherché de tout le festival", a déclaré le patron de l'Amfar Kevin Frost.

Beaucoup d'efforts

Le festival a donc fait beaucoup d'efforts cette année pour tenter de rattraper tout cela. Le jury est majoritairement féminin: il comprend une victime d'Harvey Weinstein (l'actrice Léa Seydoux) et est présidé par Cate Blanchett, une des initiatrices de la fondation Time's up destinée à aider les victimes de harcèlement sexuel. Trois films réalisés par des femmes (Eva Husson, Nadine Labaki et Alice Rohrwacher) ont été retenus en sélection officielle. Le film d'Eva Husson a même eu droit au meilleur créneau -le samedi soir-, mais a malheureusement été massacré par la critique française comme étrangère. Sa projection a été précédé d'une manifestation de 82 femmes lors de la montée des marches. Le festival a aussi accueilli plusieurs débats sur la question, débats dont l'assistance était toutefois quasi-exclusivement féminine... Il a aussi mis en place une hotline à appeler en cas d'agression, et distribué 40.000 prospectus avec le numéro de cette hotline. Il a signé une charte promettant d'atteindre la parité dans les "instances dirigeantes" du festival.

Enfin et non des moindres, Thierry Frémaux s'est bien gardé de sélectionner toute personne touchée de près ou de loin par l'ouragan MeToo. Même s'il assure que c'est un pur hasard: "Personne n’est cloué au pilori. Il faut juger au cas par cas et la question ne s’est pas posée. Woody Allen, par exemple, vient de terminer un film, mais il ne nous l’a pas montré. Sans doute a-t-il senti que ce n’était pas le bon moment", a-t-il déclaré à Madame Figaro.

"Trop peu et trop tard"

Mais pour certain(e)s, cela reste insuffisant, comme pour Sarah Doyle. "Cette hotline, c'est trop peu et trop tard. Si j'avais été agressée à Cannes, je n'aurai sans doute pas appelé une hotline. Le choc à digérer est tel que la dernière chose que je voulais faire était d'en parler immédiatement. [...] Une hotline ne résoudra pas le problème des femmes objets dans les films et chez les réalisateurs que Cannes soutient historiquement. Au festival du film de Toronto, l'équipe de programmation est composée de 13 femmes et de 9 hommes, ce qui est un pas dans la bonne direction". Une parité que le patron du festival de Toronto, Cameron Bailey, est venue vanter lors d'un colloque organisé dimanche 13 mai, sans doute ravi de pouvoir faire la leçon à son grand rival français...

Une telle parité n'existe pas actuellement dans les comités de sélection de Cannes. La proportion exacte de femmes dans ces comités est même inconnue. Le festival, interrogé plusieurs fois sur la question, n'a jamais répondu... "On veille à rééquilibrer les comités de sélection qui n'étaient pas équilibrés", a juste dit Thierry Fremaux.

Pas de quotas dans la sélection

Surtout, Thierry Fremaux refuse mordicus l'instauration de la parité -ou même de quotas- dans les films sélectionnés, comme il l'a encore répété le 12 avril:

"le jugement se fait sur les films uniquement. Agnès Varda ou Andrea Arnold nous ont dit espérer avoir été sélectionnées non pas parce qu'elles étaient des femmes, mais des artistes. Il n'y aura jamais de discrimination positive dans la sélection. La question des quotas ne concerne en aucun cas la sélection artistique. Toutes les femmes cinéastes nous disent que le processus de sélection n est pas concerné".

Interrogé sur le sujet sur France Inter le 8 mai, il ajoutait:

"Les femmes elles-mêmes ne veulent pas cela, elles ne veulent pas être sélectionnées parce qu'elles sont des femmes, elles veulent être sélectionnées parce qu'elle sont des artistes... Il y a plus de femmes à Cannes qu'il n'y en a globalement dans le cinéma. On dit que la proportion dans le monde c'est 7%, et nous à Cannes on est toujours autour de 20% de présence de femmes metteurs en scène... Cette statistique n'est pas insupportable qu'à Cannes, elle l'est en général. Cannes n'est que le reflet, la conséquence, d'une longue chaîne qui veut qu'il y a, ou pas, un nombre équivalent de cinéastes femmes et hommes. Ce n'est pas le cas, et depuis très longtemps... L'année ou il n'y avait aucune femme en sélection on a été surpris d'être attaqués, pour nous ce n'était pas un sujet... Quant à Cate Blanchett, on ne l'a pas choisie pour autre chose que sa légitimité propre".
Jamal Henni à Cannes