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Le "grand" retour des cassettes ne doit rien aux ex-fans du walkman

L'industriel de la cassette leader en Europe, Tapeline LTD, constate une hausse de 50% de ses ventes sur un an en janvier 2017.

L'industriel de la cassette leader en Europe, Tapeline LTD, constate une hausse de 50% de ses ventes sur un an en janvier 2017. - Lori - Flickr - CC

Les ventes de cassettes ont redécollé aux États-Unis ces derniers mois, et une tendance similaire est palpable en Europe. Qui les achète? Des clients au profil très éloigné du quadragénaire nostalgique.

Cette vidéo donne immanquablement un coup de vieux à tous ceux qui sont nés au XXème siècle. En 2014, deux Youtubeurs star font découvrir à des enfants âgés de 6 à 13 ans… un walkman! Aucun d'eux ne sait ce qu'est cette petite machine que Sony a commercialisée pour la première fois en 1979. On leur donne alors une cassette. "Oh c'est comme ce qu'on voit dans les films!" s'exclame une petite fille.

Quand on leur explique qu'il faut chercher à l'aveugle les chansons, avec les boutons "avance rapide" et "rembobiner", leurs yeux s'agrandissent comme des soucoupes. "C'est vraiment compliqué", déplore l'un d'eux. Et pourtant… Et pourtant ce sont bien eux, ou leurs aînés de quelques petites années, nés bien après l'avènement du CD, qui achètent des cassettes audios chez le disquaire en 2017.

Dans la boutique parisienne La Fabrique des Balades Sonores, qui dispose du plus grand rayon de cassettes de Paris, ces antiquités représentent seulement 3-4% des ventes, pour 90% de vinyles et 6 à 7% de CD. Un marché de niche qui a pour clients "des jeunes qui n'ont connu que le numérique", affirme Thomas Changeur, le fondateur du label/magasin/groupe d'activisme musical. Et d'ajouter comme une évidence "ceux qui ont connu la cassette n'en rachèteraient pour rien au monde!"

Mais qu'est-ce qui attire alors vers nos vieilles cassettes à bande magnétique cette génération habituée à écouter des sons d'une pureté absolue, à les trouver en un clic, et à zapper encore plus vite? "Le coût", affirme Thomas Changeur. "Une cassette ne coûte pas plus de 2 ou 3 euros. Souvent moins cher qu'un titre sur iTunes", souligne-t-il. Cet argument du prix convainc d'ailleurs aussi bien les consommateurs que les vendeurs. Les labels indépendants et leurs artistes n'ont jamais cessé de produire des cassettes, rappelle-t-il.

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- © La façade du disquaire parisien La Fabrique des Balades Sonores

Et puis il y a "l'intérêt ludique, nostalgique", avance Thomas Changeur. Ce qui expliquerait leur goût prononcé aussi pour le vinyle, largement en retour de hype ces dernières années, et dont 34% des acheteurs ont moins de 24 ans selon Nielsen. En 2015, une ado expliquait déjà à France Télé "on achète encore des cassettes car on trouve que c'est un objet qui fait authentique"!

Ces jeunes sont justement les cibles principales de ceux qui, ces dernières années, font revivre la cassette. Comme Urban Outfitter, le concept store qui s'est mis à vendre des cassettes audio il y a un an. Ce sont eux les destinataires des opérations promotion de rappeurs, comme La Fouine, qui lancent des mixtapes sur cassette. Ce sont eux les fans de Justin Bieber ou de The Weeknd, qui ont sorti leurs derniers albums sur des cassettes audios dont les boîtes comportaient un numéro qui permettait de télécharger l'album. Ce sont ces générations qui fréquentent les festivals où les labels organisent des distributions de cassettes. 

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- © Urban Outfitters vend des cassettes depuis 2015 dans certaines boutiques et sur son e-shop.

Résultat, aux États-Unis, les ventes ont fortement redémarré: +74% en 2016, après une croissance de 30% en 2015 selon Nielsen. Les niveaux restent toutefois anecdotiques: 130.000 cassettes vendues en 2016, contre 13 millions de vinyles la même année. En France, il est plus difficile de juger d'une reprise: le syndicat national de l'édition phonographique, le SNEP, qui comptabilise les ventes de CD et de vinyles en France, ne compile pas celles des cassettes audio. "Le marché est trop marginal", explique son directeur général, Guillaume Legrand. La Fnac n'en vend que des vierges, et n'a pas l'intention d'installer un corner "cassettes enregistrées" à côté de son rayon vinyles.

Chez Balades Sonores toutefois, "ça progresse à mesure que des Pixies ou Bon Iver sortent leurs nouvelles chansons sur cassettes". Des sorties opérées par des "micro-labels qui n'éditent qu'une dizaine de cassettes maximum", souligne le fondateur Thomas Changeur. C'est sans doute ce qui explique la mutation des ventes constatée chez Tapeline LTD. Chez le fabricant de cassettes et principal fournisseur des labels européens, "au lieu de 10 clients qui nous commandent chacun 1.000 cassettes comme ce fût le cas à la grande époque, nous sommes passés à 1.000 clients qui nous commandent chacun 10 cassettes", explique le directeur, Alan Williams.

Quant au rythme accéléré des commandes, le Britannique constate bien "une augmentation constante des ventes ces dernières années, encore accrue fin 2016". Si bien que janvier a été leur "mois le plus rempli depuis de nombreuses années, avec une hausse des ventes de 50% par rapport au même mois de 2016". Le groupe qui produit entre 15.000 et 20.000 cassettes par semaine prévoit, si cette "tendance folle et imprévisible continue", de recruter, d'acheter du nouveau matériel et d'agrandir ses locaux. Mais Alan Williams n'y croit pas trop. À la différence de son homologue américain, le patron de la dernière fabrique de cassette du pays, National Audio Company.

Steve Stepp, qui reçoit dernièrement des commandes de Sony, Disney ou Universal assure travailler plus qu'en 1969. Il pense même que le revival de la K7 va durer. Et s'amplifier. Il s'inquiète du coup parce que les machines à fabriquer des cassettes ne sont plus produites, donc réparer leur matériel est compliqué. Et aussi parce que ses techniciens sont âgés, et que jusqu'à présent, ils peinent à trouver des petits jeunes à qui transmettre leur savoir-faire. Peut-être trouveront-ils des candidats dans le cheptel des néo-consommateurs de cassettes.

Nina Godart
https://twitter.com/ninagodart Nina Godart Journaliste BFM Éco