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Le PDG de Vivarte et ses prédécesseurs à couteaux tirés

Marc Lelandais, l'ex-PDG de Vivarte, sur BFM Business en avril 2014.

Marc Lelandais, l'ex-PDG de Vivarte, sur BFM Business en avril 2014. - BFM Business

L'actuel patron, Patrick Puy, se paie Marc Lelandais. L'ex-PDG du groupe, lui, torpille son prédécesseur, Georges Plassat, aujourd'hui PDG de Carrefour, et les fonds qui détiennent le groupe. Le tout par médias interposés, à base de révélations et de phrases chocs.

Chez Vivarte, on ne lave pas son linge sale en famille. La maison-mère d'André, Minelli, La Halle, Kookaï, Caroll, etc. vient d'officialiser une énième restructuration: vente d'André et de Naf Naf, suppressions de postes et fermetures de magasins chez La Halle. Pendant ce temps-là, le PDG du groupe et ses prédécesseurs se renvoient la balle, par médias interposés. 

La charge du nouveau PDG, Patrick Puy, ce mercredi sur RTL, donne le ton. Celui qui a restructuré Moulinex et Arc International s'en prend à l'un de ses prédécesseurs, Marc Lelandais, qui a dirigé Vivarte de 2012 à 2014. "Il est parti du groupe dans des conditions qu'on connaît, après des erreurs stratégiques majeures en empochant une très grosse somme. La décence voudrait qu'il ne morde pas la main qui le nourrit au caviar et à la truffe". Ambiance. 

"Faux" et "diversions"

Les insinuations formulées par Patrick Puy répondent aux accusations que Marc Lelandais martèle partout ces derniers jours. Sur France Info, dans le Journal du Dimanche et Les Échos, sur Linkedin ou dans les boîtes mail des journalistes, l'ex-PDG donne sa version des faits. À ceux qui l'accusent d'avoir précipité la déroute de La Halle avec sa montée en gamme, il répond que la hausse des prix avait commencé avant lui. À ceux qui condamnent ses 3 millions d'euros d'indemnités de départ, il répond que c'était moins de 2 millions, que les documents internes envoyés à la presse à ce sujet étaient des faux. Et surtout avaient permis de faire diversion: le même jour d'avril 2015, Vivarte annonçait 1.600 suppressions de postes et 200 fermetures de magasin. Mais l'ex-patron qui se lance en politique -il est candidat aux législative en Indre-et-Loire- ne s'arrête pas là.

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Il torpille ensuite Georges Plassat, dirigeant du groupe de 2001 à 2012. Comme dans ces emails envoyés en 2012, juste après sa prise de fonction, qu'il nous a transféré. Des mails adressés à Lionel Giacomotto, dirigeant du fonds Chaterhouse, principal actionnaire de Vivarte à l'époque. Il y fustige le "système Plassat", une organisation qui "tenait plus à une distribution de prébendes et d'adoubements de cour", écrit-il.

"Une 'jolie' secrétaire" pilote le sourcing en Asie

"Les retards accumulés sont abyssaux depuis 2007", écrit-il. La délocalisation de la production en Asie engagée par Plassat? Un dossier "dirigé par une 'jolie' secrétaire (qui) demande un audit urgent" souligne Lelandais. Le doublement de taille en 3 à 5 ans lancée par l'aujourd'hui PDG de Carrefour? "De la cavalerie financière pure et simple!" assure Lelandais. À son arrivée en 2012 dans le groupe qui ne publie pas ses comptes, il dit trouver un résultat "négatif, uniquement compensé par une fuite en avant et des ouvertures de magasins de moins en moins rentables".

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- © Georges Plassat en 2000, au moment de sa nomination chez Vivarte. Philippe Desmazes - AFP

Après Plassat, au tour de ses lieutenants. Untel manque de "transparence et d'esprit constructif", pose des "peaux de banane". Un autre est "peu compétent et gère son entreprise en affectif faisant des impasses dangereuses pour l’équilibre économique". Seuls quelques directeurs de marques trouvent grâce à ses yeux. Mais dans l'ensemble, c'est la "déroute humaine", écrit encore Marc Lelandais. "Les PDG et managers des enseignes n’ont qu’une idée en tête: fuir ce navire au plus vite, prendre des indemnités et allumer la nouvelle direction pour éviter d’avoir à assumer leur bilan".

Vivarte, proie idéale des vautours

Voilà pour ceux chargés de mettre en œuvre la stratégie. Mais les vrais responsables du démantèlement de Vivarte, selon son ancien dirigeant, ce sont les fonds "vautours". En l'ocurrence Oaktree, Babson, Alcentra et Golden Tree (qui a retiré ses billes depuis), actionnaires de contrôle du groupe depuis 2014. Des fonds dont l'activité "consiste à dégoûter les autres fonds de dettes de rester dans le tour de table, à racheter leur dette à vil prix, à se refaire en cédant les actifs à la casse", selon les mots d'un dirigeant américain de fonds cité par Marc Lelandais.

Vivarte, qui a multiplié les acquisitions et ouvertures de magasins dans les années 2000, via des montages financiers à base d'endettement, était une proie idéale. Quand la crise fait exploser les intérêts, et met un coup d'arrêt aux dépenses en habillement et chaussures, le groupe est pris en étau. C'est alors la spirale infernale: fermetures de magasins et suppressions de postes se succèdent, tout comme les PDG. Quatre en quatre ans depuis le limogeage de Lelandais. 

Marc Lelandais fustige les pratiques de ces fonds: "Ils composent des conseils d’administration dévoués dont la docilité des administrateurs est proportionnelle au montant des jetons de présence". Ou orchestrent des campagnes à base de "communiqués de presse bidons, truffades de pages Google & Wikipédia, pressions téléphoniques, courriers anonymes" s'emporte l'ex-PDG. "Tout est bon pour mettre l’entreprise à genoux, la plonger dans une situation de détresse et l’acquérir à vil prix". Le dirigeant, selon Marc Lelandais, n'a alors que deux options: "plier et se compromettre dans une fuite en avant vouée à l’échec" ou "lutter et s’opposer, au prix de sa carrière et de sa réputation".

Justement, les fonds en question ont pris le contrôle de Vivarte pendant le mandat de Marc Lelandais, en 2014. Lui se félicite d'avoir fait passer à cette occasion la dette de Vivarte de 2,8 milliards à 800 millions. Ces 2 milliards effacés, en réalité, ont été convertis en participation dans l'entreprise, rendant ces fonds maîtres à bord. Aujourd'hui, ils détiennent 6 des 9 sièges d'administrateurs au conseil. Et récupèrent automatiquement les trois quarts du produit de chaque cession engagée par Vivarte, confirme Marc Lelandais. "J'avais négocié qu'il ne puissent rien céder pendant deux ans", nuance-t-il aujourd'hui. Désormais, il fait campagne pour que les pouvoirs publics régulent davantage le marché de la dette des entreprises.

Nina Godart
https://twitter.com/ninagodart Nina Godart Journaliste BFM Éco