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Le prochain directeur général de Renault ne sera pas forcément français

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- - BORIS HORVAT / AFP

Dans une interview à Reuters, la secrétaire d'Etat Agnès Pannier-Runacher a indiqué que le prochain directeur général de Renault ne sera pas forcément français. Après la nomination de Ben Smith à la tête d'Air France – KLM, ce serait un petit séisme dans la culture d'entreprise française.

Sorti avec fracas de Renault, Thierry Bolloré a laissé vacante la place de directeur général de la marque au losange. Dans cette vénérable entreprise centenaire, le nombre de patrons se compte encore sur les doigts des deux mains, même après l'arrivée de Jean-Dominique Senard comme président, au début de l'année, officiellement le 10ème patron du groupe.

Avec une différence notable, vis-à-vis de ses prédécesseurs (Georges Besse, Louis Schweitzer…): l'ancien de Michelin est délesté de la direction générale, une façon de clore le chapitre hégémonique de Carlos Ghosn. Le poste est alors confié à Thierry Bolloré. Pour Renault, c'était une première révolution, impulsée par l'Etat français, soucieux d'aplanir les tensions avec le japonais Nissan.

A la recherche du "meilleur profil"

Une autre révolution est aussi peut-être à l'œuvre, dans les arcanes de Bercy. Dans une interview à Reuters, la secrétaire d'Etat Agnès Pannier-Runacher a brisé un tabou en expliquant que le remplaçant de Thierry Bolloré ne sera pas forcément français. "C'est le meilleur profil (qui compte), qui est capable de porter Renault et de jouer son rôle dans l'alliance à un moment de transformation majeure", a-t-elle expliqué.

Et s'il s'agissait d'un patron étranger ? L'information ferait presque frémir dans un pays où 90% des grands PDG sont français, comme le soulignait déjà une étude de 2016 réalisée par DHR International. Total? Patrick Pouyanné. LVMH? Bernard Arnault. Vinci? Xavier Huillard. De même pour Danone, Carrefour ou encore BNP Paribas: tous ont des patrons français. C'est d'autant plus vrai dans les groupes où l'Etat a encore une participation. EDF est dirigé par Jean-Bernard Lévy, Orange par Stéphane Richard. Même Carlos Tavares, le patron de PSA, qui est de nationalité portugaise, conserve un profil très proche de l'Hexagone, où il est arrivé à 17 ans.

Pourquoi un tel "chauvinisme"? Les grandes entreprises françaises sont souvent de véritables pans de l'histoire française, auxquels la population se rattache volontiers. Difficile alors d'accepter une dilution dans la mondialisation, quand la nationalité du chef d'entreprise de ces multinationales reste souvent le dernier repère de leur identité. Le contexte social est aussi parfois sujet à l'incompréhension des étrangers, à commencer par les anglo-saxons. Le salaire des grands patrons en France peut aussi être un frein.

Dernier point: le rôle traditionnellement interventionniste de l'Etat dans les entreprises publiques ou privées. "Dans les entreprises françaises, il existe d’autres compétences plus ou moins recherchées. Par exemple, le gouvernement français cherche à exercer plus d'influence sur les entreprises en France qu'au Royaume-Uni", souligne DHR International dans son étude de 2016. "Les PDG en France devront donc peut-être être plus aptes à communiquer et à traiter avec le gouvernement que leurs homologues britanniques". Et de souligner les statistiques de l'époque: 90% des patrons du CAC 40 étaient nés en France, contre 60% pour le FTSE 100 britannique.

La jurisprudence Ben Smith

Mais un virage important a été amorcé, avec l'arrivée au pouvoir d'Emmanuel Macron. Le 16 août 2018, le conseil d’administration d'Air France-KLM désigne le Canadien Benjamin Smith comme nouveau dirigeant de la compagnie aérienne, dans laquelle l'Etat français est toujours le principal actionnaire avec 14,3% du capital.

Et malgré les doutes des syndicats, la greffe a pris. L'ex-patron d'Air Canada a su ramener la paix sociale au sein de l'entreprise, y compris en résistant aux pressions du patriotisme économique. C'est par exemple le cas de la compagnie XL Airways que Ben Smith a refusé de reprendre, malgré les appels répétés de son patron qui invoquait le "pavillon français" comme meilleur argument.

"Notre priorité est de maintenir la stabilité sociale que nous avons réussi à ramener" expliquait-il le mois dernier. "Hors de question de remettre cette solidité en question par une reprise d'actifs ou de salariés qui soulèveraient des questions sociales et contractuelles". Fermez le ban.

L'exécutif puni pour son interventionnisme

Le changement, c'est aussi que le gouvernement français n'a pas mis la pression sur Air France – KLM pour sauver les emplois menacés. Il faut dire que l'exécutif a été puni par deux fois de son interventionnisme. D'abord sur Air France – KLM, lorsque l'Etat néerlandais a réalisé un véritable raid boursier pour s'aligner sur le capital français. Une façon de remettre Bercy à sa place. Ensuite en étant directement pointé du doigt comme responsable de l'échec du mariage entre Renault et Fiat-Chrysler. Si Bruno Le Maire a toujours rappelé que l'alliance avec Nissan devait primer, l'incident a laissé des traces et le gouvernement pourrait être davantage prompt à laisser plus de marges de manœuvres aux entreprises françaises.

Chez Renault, un directeur général venu de l'étranger serait ainsi un signal fort d'un changement majeur du rôle de l'Etat en France sur ses fleurons. A condition, évidemment, que l'exécutif résiste à la tentation d'intervenir à nouveau dans la marche de l'entreprise... 

Les (rares) patrons étrangers du CAC 40

PSA : Carlos Tavares (Portugais)
Axa : Thomas Buberl (Allemand)
Technip FMC : Doug Pferdehirt (Américain)
ArcelorMittal : Lakshmi Mittal (Indien)

Thomas Leroy