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Le Qatar met la pression sur Lagardère

Arnaud Lagardère, géant du groupe qui porte son nom.

Arnaud Lagardère, géant du groupe qui porte son nom. - ERIC PIERMONT / AFP

Un nouvel administrateur débarque cette semaine au conseil de surveillance du groupe. Jamal Benormar est le représentant officieux du Qatar. Le premier actionnaire de Lagardère prépare sa sortie.

Le Qatar passe à l’action chez Lagardère. Son fonds souverain (Qatar Investment Authority) détient 13% du capital et 19,5% des droits de vote du groupe familial. Silencieux depuis son arrivée en 2006, il semble aujourd’hui être décidé à se faire entendre. Mercredi 12 décembre, le conseil de surveillance de Lagardère accueille discrètement un nouveau membre. Jamal Benomar, britannico-marocain de 61 ans, est inconnu au sein du groupe. Lagardère met en avant sa carrière diplomatique et notamment son ancien poste de secrétaire général adjoint de l’Onu, lorsque Ban Ki-Moon la dirigeait. Derrière sa biographie officielle plane un CV caché qui ne plaît pas à de nombreux dirigeants de Lagardère. Selon les médias américains, Jamal Benomar est un conseiller du Qatar. Il a notamment été accusé par Elliott Broidy, ancien collecteur de fonds de Donald Trump, d’avoir piraté des mails de plusieurs dirigeants politiques et cadres de l’administration américaine, tel l’ancien patron de la CIA. Avant d’être débarqué de son poste à l’Onu…

Chez Lagardère, sa nomination dérange car son rôle ne fait pas mystère. Jamal Benomar est bel et bien le représentant du Qatar. « Tout le monde sait qu’il est le faux nez du Qatar, personne n’est dupe » ironise un haut dirigeant. Le groupe ne précise d’ailleurs pas qu’il soit administrateur indépendant… La question a été posée par plusieurs administrateurs à Arnaud Lagardère lui-même. L’intéressé aurait répondu que Jamal Benomar « ne représentait que lui-même même s’il connaît bien le Qatar ». Contactée, la direction de Lagardère n’a pas souhaité commenter. Celle de QIA n’a pu être jointe.

Poursuivre le démantèlement du groupe

Pourquoi autant de discrétion alors que le Qatar est le premier actionnaire ? « Le Qatar n’a pas intérêt à bouleverser l’establishment français » ajoute un autre cadre du groupe. L’époque pendant laquelle il était bien vu par le pouvoir, sous Nicolas Sarkozy, est lointaine. L’arrivée de Jamal Benomar illustre l’influence désormais incontestable du Qatar chez Lagardère. Depuis son irruption, en 2006, le puissant actionnaire était resté plutôt silencieux. Il avait déjà réclamé un siège au conseil de surveillance de Lagardère, en 2012 et 2017, ce que lui avait refusé son gérant, Arnaud Lagardère. Depuis, il s’impatiente de voir le cours de bourse remonter. Lors de son entrée, il valait 60 euros… Il oscille depuis cinq ans autour de 25 euros…

Que veut faire le Qatar chez Lagardère ? « Officiellement, il ne demande rien, assure un proche du groupe. Mais ils soutiennent la stratégie de démantèlement soutenue par Amber ». Le fonds activiste Amber Capital, qui détient 4% du groupe, a largement poussé Arnaud Lagardère à se séparer des branches sport et médias. Jamal Benomar, faux-nez du Qatar, sera un soutien de poids au fonds activiste. « Amber fait le sale boulot à la place du Qatar, note un administrateur. En tout cas, le Qatar ne s’oppose pas à eux ». La vente des médias et du sport a été un acte fort du groupe Lagardère avant l’été.

Racheter la branche distribution ?

Et Amber Capital ne s’arrêtera pas là. En mai prochain, deux administrateurs du groupe, Georges Chodron de Courcel et François Roussely partiront. Un troisième, François David, pourrait aussi quitter son poste prématurément. L’occasion pour Amber de placer des hommes qui pousseront sa stratégie. Avec Jamal Benomar et d’éventuels administrateurs proches d’Amber, Arnaud Lagardère n’aurait plus les mains libres dans le groupe qui porte son nom.

D’autant que ses deux actionnaires poussent dans le même sens. Le groupe Lagardère conserve l’édition, avec Hachette, et la distribution dans les gares et aéroports, le « travel retail ». « Ces deux métiers n’ont aucune synergie et le groupe Lagardère n’a plus de raison d’exister, ajoute cette source. La question de la scission va rapidement se poser ». Chacune des deux branches a ses envies propres. Le patron d’Hachette, Arnaud Noury, rêve depuis longtemps d’une introduction en bourse pour gagner son indépendance. De son côté, le « travel retail » pose un vrai problème à Lagardère : il nécessite beaucoup d’investissements, la moitié de ceux du groupe. A l’avenir, ce métier devra passer par des alliances avec des aéroports internationaux pour assurer son développement.

Sortir du capital

C’est là que le Qatar pourrait y trouver son intérêt. « Leur compagnie (Qatar Airways) est un vecteur de développement et c’est intéressant pour eux d’avoir toute la chaîne de valeur avec le commerce dans les aéroports », explique un proche de Lagardère. Une stratégie qu’emprunte les Chinois dans beaucoup de secteurs. Le conglomérat HNA avait d’ailleurs proposé d’investir dans la branche « travel retail » l’an passé. Quoi qu’il en soit, le Qatar est décidé à rentabiliser son investissement dans Lagardère. Plusieurs sources internes estiment qu’il souhaite même vendre ses parts et sortir du capital. Au terme du démantèlement total de Lagardère, il vise un cours de bourse à 35 euros. Un niveau qui lui permet, après les versements de dividendes, de revenir tout juste à l’équilibre.