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Le rapport du GIEC, et après?

Le rapport du GIEC recommande de tourner rapidement le dos aux énergies fossiles

Le rapport du GIEC recommande de tourner rapidement le dos aux énergies fossiles - Pixabay

Le rapport alarmiste du GIEC pose des ultimatums sérieux à la communauté internationale. Bettina Laville, fondatrice du Comité 21, a répondu à nos questions et donne des pistes compatibles avec les objectifs de relance économique.

Le GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) recommande de tourner le dos aux énergies fossiles pour passer aux renouvelables. Est-ce réaliste ? Et à quel terme ?

Bettina Laville: Ce rapport ne laisse pas la place à l’alternative. Dans le passé, le GIEC a toujours fait plusieurs scenarii, cette fois-ci, il est clairement dit qu’un seul permettrait de maintenir à 2°C le réchauffement pour le 21e siècle. En outre, le taux de certitude sur l’origine anthropique du réchauffement est de 95%.

À partir de là, deux mots sont à retenir dans le rapport: mesures radicales et réchauffement contrôlé. En d’autres termes, pas de transition lente et des mesures contraignantes. Ce qui pose d’ailleurs la question de savoir qui contrôle les engagements.

Au niveau économique, le GIEC précise, et c’est important, que la mise en œuvre de cette transition est possible sans "massacre" de la croissance : -0,06 point de croissance par an.

Il y aura donc de plus grands risques financiers à ne rien faire, catastrophes et adaptations dans l’urgence, qu’à conduire dès à présent une réorientation de l’économie mondiale.

Donc pas d’arrêt de la croissance, mais changement de modèle complet ?

B. L.: Les investissements annuels sur le pétrole et le charbon doivent décroître de 30 milliards de dollars par an pendant 20 ans. En même temps, 80 milliards de dollars par an doivent être investis dans les énergies renouvelables. C’est un changement de modèle !

Si le rapport n’est pas pessimiste, il pointe bien le fait que la lueur d’espoir reste conditionnée à la volonté politique des gouvernements à travailler tous ensembles. Et cette volonté, on a du mal à la voir en ce moment.

Mais, j'observe qu’aujourd’hui, industriels et financiers montrent de l’engagement pour financer une économie décarbonée. Ce n’était pas le cas il y a encore 10 ans

Les investissements se réorientent par quel moteur ? D'avantage de prise de conscience ou de contrainte ?

B. L.: La contrainte fiscale est extrêmement importante. Tant qu’on n’aura pas admis ce que certains disent depuis 20 ans, c'est à dire faire une fiscalité qui, d’un côté, favorise les énergies sans effet de serre et, de l’autre côté, alléger les charges qui augmentent le coût du travail, rien ne sera possible. C’est la clé.

Mais le problème de la fiscalité écologique dans beaucoup de pays, et particulièrement le notre, c’est qu’on rajoute cette fiscalité à d’autres. L’opinion publique peut comprendre une modification de l'impôt, mais comme on lui ajoute de la fiscalité écologique à d’autres, elle bloque.

N’oublions pas un autre moteur important, les conséquences sanitaires. Cela se voit déjà en Chine, les crises sanitaires dues à une trop faible prise en compte de l’environnement favorisent la prise de mesures par différents pays émergents.

Les populations vont montrer de plus en plus d’exigences, n’en doutons pas.

En combien de temps change t-on d’économie ? Les temps du GIEC et ceux de la réalité économique sont-ils compatibles ?

B. L.: C’est l’éternel problème. Celui de la prise en compte du moyen et long terme dans nos économies. S’agissant de climat, on raisonne à horizon 2030-50 et après, quand les études actuelles commandées par les gouvernements se projettent au mieux à 2025. 

Il y a un véritable phasage à faire, une sorte de "clan mondial global", qui doit englober l’acceptabilité humaine de ces changements. Car le nouveau modèle économique est en toujours laboratoire aujourd’hui !

Au moment où le prix du pétrole baisse, vous croyez à la fiscalité unique mondiale du carbone ?

B. L.: J’y crois oui, mais, -je lance un chiffre !-, à horizon 10 ans. Car les risques encourus seront tels que cela s’imposera. Un prix du carbone significatif, est le meilleur instrument de régulation économique.

Et le nucléaire ? 

B. L.: Le rapport est très prudent et c’est nouveau, car les précédents étaient plus nuancés. Mais Fukushima est passé par là et, même si cette source d’énergie est citée comme décarbonée, le rapport souligne les autres risques associés et prône le renouvelable principalement.

En conclusion ?

B. L.: En aparté, beaucoup d’acteurs du GIEC vous confient qu’ils ne croient déjà plus aux 2°C. Il y a donc une forme d’urgence et les décisions importantes doivent se prendre maintenant. Pas dans dix ans. Les entreprises s’engagent, la finance semble bouger, la société civile pose des exigences, mais il doit y avoir alliance avec les états. 

Des états qui soient capables de s’entendre entre eux et qui assument le respect de l’intérêt général, notamment celui de la vie sur terre. Les prochaines échéances, dont la COP21 à Paris nous diront si nous prenons cette voie.

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Bettina Laville est conseiller d’État, directrice de recherches à l'IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques), et membre de la section française du Club de Rome. 

Elle a été directrice de cabinet de Brice Lalonde, puis conseillère sur les questions d’environnement auprès de deux Premiers ministres, Pierre Bérégovoy puis Lionel Jospin, et du président de la République François Mitterrand et, à ce titre, responsable de la préparation des conférences de Rio, Kyoto et Johannesburg. 

Elle a représenté la France à l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) de 1996 à 2001.

Responsable du débat public du Grenelle Environnement en 2008, elle a également été chargée d’un rapport sur le statut juridique des réfugiés climatiques. 

Elle a fondé le Comité 21 en 1995, et y a lancé la revue Vraiment durable en tant que directrice de la rédaction. 

Elle a été cinq ans avocate associée en charge du développement durable dans un cabinet d’avocats international.

Chargée de plusieurs rapports sur l’environnement et auteur de nombreux articles, elle est coauteur de Villette Amazone (Actes Sud, 1996), a publié, en 2002, La Machine ronde et a cosigné, en 2010, Développement durable – Aspects stratégiques et opérationnels (PWC, éditions Francis Lefebvre).

Yves Cappelaire