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Le site populiste pro-Trump Breitbart attaqué au portefeuille

Les Sleeping Giants revendiquent 7.000 membres en Europe, dont 700 en France.

Les Sleeping Giants revendiquent 7.000 membres en Europe, dont 700 en France. - Sleeping Giants

Une association d'internautes a fait réaliser à de grandes marques comme HP, Ikea, Nestlé ou Guerlain, qu'ils sponsorisaient à leur insu ce site d'extrême-droite. Ces annonceurs et plus de 1.000 autres ont ainsi mis fin en quelques clics à leur soutien involontaire.

Ils s'appellent les "Sleepings Giants", en référence à ces forces en sommeil qui, quand on les réveille, deviennent colossales et inarrêtables. L'élection de Donald Trump les a sortis de leur léthargie. Pour ce groupe d'activistes, la victoire du multimilliardaire doit beaucoup aux médias colportant des "fake news", de l'information manipulée. Tout particulièrement le plus puissant d'entre eux, dont l'ex-patron, Steve Bannon, a été nommé bras droit de Donald Trump: Breitbart News.

Les "Sleepings Giants", des citoyens venus de tous milieux, de tous pays, de toutes classes d'âge, l'ont donc naturellement choisi comme cible. Avec deux outils diablement efficaces: l'anonymat, pour se protéger "du cyber-harcèlement organisé par l'extrême droite, dont nous avons déjà fait l'expérience de la puissance, du degré d'agressivité et de menace", explique une porte-parole du mouvement. Et surtout, en empêchant Breitbart News de profiter de revenus publicitaires sans le consentement explicite des annonceurs.

Ikea ou Nestlé y font de la pub à leur insu

Aussi surprenant que cela puisse paraître, des pubs pour HP, Ikea, Nestlé, ADP, SFR, Cdiscount et de centaines d'autres marques, grandes ou petites, apparaissaient sur les pages de Breitbart. Pas du tout parce que ces annonceurs soutenaient ce média misogyne, xénophobe et homophobe. En majorité, ces groupes ne savaient même pas que leurs annonces finançaient le site.

La faute à la façon la plus courante de communiquer sur internet: la publicité programmatique, un système qui automatise le placement des campagnes grâce à des algorithmes. Ce modèle séduit les entreprises, à la fois parce qu'il promet de rendre visible leur pub à la bonne personne, au bon moment, et qu'il est très peu coûteux. Aujourd'hui plus de la moitié des bannières publicitaires présentes sur les sites sont placées automatiquement sans contrôle humain. 53% exactement selon l'Observatoire de l'e-Pub.

Le problème, c'est qu'en définitive, l'annonceur ne sait pas où va apparaître sa publicité. Le principal opérateur de la pub programmatique, Google Adwords, garantit que jamais leur nom n'apparaîtra sur un site pornographique ou de jeux en ligne. En revanche, pour les sites de "fake news", c'est plus compliqué. Les Sleeping Giants disent être en discussion avec la filiale de Google sur ce sujet. Une clause de ses conditions générales bannit les sites qui promeuvent la haine et la violence, mais Breitbart n'est visiblement pas (encore) considéré comme tel. Et les annonceurs qui lui ont confié leur budget marketing, eux, se sentent "déresponsabilisés", regrette la porte-parole du collectif.

Des annonceurs extrêmement choqués

En attendant, donc, les Sleeping Giants se servent des réseaux sociaux pour interpeller les marques qui communiquent, le plus souvent à leur insu, sur Breitbart. Sur Twitter, les Géants adressent un message à l'annonceur, accompagné d'une capture d'écran du site montrant son annonce. La manière de l'interpeller est toujours polie, du type "votre pub apparaît sur ce site haineux, êtes-vous au courant? Nous pouvons vous aider à ne plus le financer".

"La plupart des annonceurs nous répondent qu'ils sont extrêmement choqués et qu'ils n'avaient aucune idée que leur pub se trouvait là", explique la porte-parole. D'autant que la pub programmatique attribue les encarts notamment en fonction de mots-clés présents dans l'article. Ce qui provoque des associations ahurissantes: une pub pour des layettes à côté d'un article prônant l'eugénisme, ou pour une marque turque à côté d'un papier titré "les Turcs envahissent l'Allemagne".

En tout cas la méthode des Géants fait ses preuves: selon le décompte des Sleepings Giants, plus de 1.500 annonceurs ont procédé aux 30 minutes de procédure nécessaires pour exclure définitivement Breitbart des sites sur lesquels leur pub est susceptible d'apparaître. Parmi eux, de grands noms comme Citroën, IBM, Avis, BASF, etc.

Breitbart voit s'envoler des millions de dollars 

Un petit tiers ne répond pas immédiatement aux interpellations des Géants. Mais ils sont de plus en plus réactifs car, comme l'explique la porte-parole, "moins il y a d'annonceurs sur le site, plus ceux qui y sont encore apparaissent partout, de sorte qu'ils ont vraiment l'air de sponsoriser activement le site d'ultra-droite".

Pour Breitbart, ce sont "des millions de dollars de financement qui disparaissent", affirme l'association. Pas de quoi tuer le site, qui dispose "d'autres ressources, notamment privées", reconnaît la membre des Géants. Mais peut-être suffisamment pour freiner ses ambitions internationales. Le média qui s'est déjà exporté à Londres et Jérusalem avait annoncé en juillet son arrivée à Paris, en amont de la campagne présidentielle.

À ce jour, son débarquement n'est toujours pas intervenu, et la direction du site ne l'envisage plus avant plusieurs mois, pour des raisons qui n'ont pas été communiquées. On sait seulement que quelques journalistes français auraient été approchés, sans suite, ìndique Le Monde. Et The Verge rapporte qu'un étudiant anti-Trump a acheté le nom de domaine Breitbart.fr et deux variantes, sans intention de les céder.

À l'inverse, les Sleepings Giants, qui revendiquent plus de 67.000 membres aux États-Unis, se déploient partout dans le monde. Leur mouvement a essaimé en Europe, où ils comptent déjà plus de 7.000 Géants, dont 700 en France. Et aussi en Norvège, en Finlande, au Canada, en Nouvelle-Zélande. Ils comptent bien généraliser leur action, au-delà de Breitbart, à tous les sites de "fake news".

Nina Godart
https://twitter.com/ninagodart Nina Godart Journaliste BFM Éco