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Les banques européennes vont-elles devoir fusionner pour survivre?

Alors que le directeur général de la Société Générale, Frédéric Oudéa, est prêt à réaliser un mariage de raison avec une autre institution bancaire européenne, il est loin d'être le seul.

S'unir ou s'enliser dans les difficultés financières? Depuis la crise de 2008, les banques européennes sont confrontées à au moins deux enjeux majeurs. Elles doivent, d'un côté, composer avec un environnement de taux bas qui met mécaniquement à mal leur rentabilité, de l'autre, maintenir un juste niveau de ratios de solvabilité (ces indicateurs qui mesurent leur solidité financière face à certains risques) pour continuer à croître et à attirer les investisseurs.

Et depuis plus de dix ans, le secteur bancaire européen peine à tenir ses comptes et ses engagements. Au point d'envisager de s'allier pour mieux résister.

Bâle, meilleur ennemi des banques

En cause: Bâle. Le Comité de Bâle plus précisément. Lequel réunit en son sein les superviseurs de 27 pays dont la mission consiste à renforcer la solidité du système financier mondial. Le 7 décembre 2017, les superviseurs en question sont parvenus à un accord pour finaliser l’édifice réglementaire construit au lendemain de la crise financière en 2009.

Le problème, c'est que les règles prudentielles qui encadrent l’activité des banques à travers le monde dans le cadre de l'accord "Bâle III" (acté pour renforcer la maîtrise des risques liés aux activités bancaires), la directive européenne CRD4, ainsi que le règlement européen CRR (qui traduisent en droit européen lesdites règles) se révèlent particulièrement contraignants pour les banques de la zone euro.

Les instances européennes et japonaises ont dernièrement été contraintes d'accepter l’instauration d’une limite à l’utilisation de modèles internes qui leur permettent de calculer elles-mêmes les risques qu’elles prennent. Le but: qu'il soit plus simple pour les autorités qui les régulent de comparer leur solidité financière à l'échelle mondiale. Sauf que cet engagement implique que les banques européennes et japonaises augmentent progressivement d'ici 2027 leur capital. Selon un rapport rendu public en juillet 2019 par l’Autorité bancaire européenne (ABE), l’application de ces nouvelles règles de solvabilité devrait engendrer une hausse de 24,4% des exigences en fonds propres des banques de l'UE, soit plus 135 milliards d’euros d’ici à 2027.

Un obstacle aux fusions?

Or, ce manque de fonds propres a des conséquences contradictoires en matière de consolidation. D'un côté, il pourrait inciter les banques européennes à fusionner pour mieux subsister. De l'autre, les freiner d'autant plus dans cette ambition, faute de moyens financiers suffisants.

On se souvient encore de l'échec de la fusion entre Deutsche Bank et Commerzbank survenu en avril dernier. Lesquelles, après un examen respectif de leur situation mutuelle, ont finalement choisi de jeter l'éponge. Les risques et les coûts en jeu étant, a priori, supérieurs aux gains escomptés.

Pour ce qui est des fusions transfrontalières, les obstacles sont encore plus nombreux parce qu'ils sont, entre autres, liés à l'hétérogénéité des législations ainsi qu'aux risques macroéconomiques. Depuis 2017, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, ne cesse pourtant de rappeler qu'il convient d'assouplir les règles européennes afin de permettre aux banques de mieux diversifier leurs risques et d'orienter plus efficacement l'épargne vers un investissement productif.

Un vieux serpent de mer

Le 2 octobre dernier, le patron de la Banque de France revenait à la charge quant à la nécessité pour le secteur financier européen de se concentrer. Il "est aujourd'hui beaucoup trop éclaté" et "reste trop à l'intérieur de ses frontières nationales", concédait-il à l'occasion d'une conférence organisée par l'Autorité de la concurrence. Et de préciser: "Si je prends les cinq premières banques commerciales américaines, elles ont aujourd'hui une part de marché de plus de 40% sur le marché américain. Si je prends les cinq premières banques européennes, alors même que nous avons la monnaie unique, que nous avons fait l'union bancaire, que nous avons le marché unique, elles font moins de 20% de part de marché (en Europe) et restent largement domestiques".

Début janvier, le patron de la Société Générale, Frédéric Oudéa, n'a pas hésité à relancer l'idée d'un mariage de raison dans la presse britannique dans le cas où la consolidation du secteur deviendrait une nécessité.

"C'est assez étonnant de voir la Société Générale communiquer au travers de Frédéric Oudéa sur ce sujet de la consolidation", concède François Chaulet, directeur général au sein de Montségur Finance. "Le sujet de la consolidation est un vieux serpent de mer depuis 2008. Or, il n'y a jamais eu d'opérations majeures allant dans ce sens depuis la crise. Il est vrai que le secteur bancaire européen souffre beaucoup des taux négatifs et des obligations de ratios de solvabilité bien supérieures à ce qu'il peut supporter", pointe le spécialiste.

Les banques européennes très loin du poids des banques américaines 

"En outre, il faut rappeler que la taille des banques européennes s'avère tout simplement lilliputienne face aux banques américaines. Donc présenter la Société Générale comme un prédateur, c'est un peu particulier. Or, avec seulement 26 milliards d'euros de capitalisation boursière, je ne vois pas comment elle pourrait parvenir à consolider", argumente François Chaulet. A titre de comparaison, la première banque américaine, JP Morgan, affiche une capitalisation boursière de 429 milliards de dollars (environ 384 milliards d'euros). La plus grosse banque européenne, HSBC, ne pèse de son côté que 156 milliards de dollars, tandis que BNP Paribas, la première banque française, vaut seulement 63 milliards d'euros en Bourse. 

Selon François Chaulet, il reste, par ailleurs, encore beaucoup de défiance de la part des banques européennes qui redoutent de créer des synergies.

Dans tous les cas, estime François Chaulet, "Frédéric Oudéa ouvre de nouveau la porte à une vague de consolidations possibles. Je n'imagine pas cependant la Société Générale se lancer dans une augmentation de capital pour acheter une autre banque. Et dans l'absolu, ce n'est pas en s'alliant à un canard boiteux que l'on parvient à faire un champion", conclut l'expert.

Un problème de business model

Tout le monde n'est pas cependant convaincu par les arguments en faveur d'une consolidation du secteur. Déjà, certains experts pointent du doigt les problèmes de business model des banques européennes et des offres devenues obsolètes. Les établissements financiers sont beaucoup plus rentables outre-Atlantique, du fait des commissions engrangées, comme l'expliquait sur BFM Business Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor. 

D'autres, à l'instar de Jézabel Couppey-Soubeyran, économiste spécialisée dans les banques et maître de conférences à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, estime que le caractère "inévitable" de la consolidation bancaire est avant tout un argument des banques pour limiter la régulation. 

Julie Cohen-Heurton