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Les incroyables privilèges des théâtres publics

Les personnels de la Comédie française se partagent 2 millions d'euros de bénéfices par an

Les personnels de la Comédie française se partagent 2 millions d'euros de bénéfices par an - Daderot Wikimedia commons cc

La Cour des comptes publie un rapport sévère sur les théâtres nationaux: Comédie-Française, théâtre de l'Odéon, théâtre de la Colline et théâtre national de Strasbourg sont pointés du doigt.

La Comédie-Française, le théâtre de l'Odéon, le théâtre de la Colline et le théâtre national de Strasbourg sont les théâtres nationaux financés par le budget de l'État. La Cour des comptes, après avoir passé leur gestion au crible, publie ce mercredi 10 février un rapport sévère, qui pointe de multiples dérives. 

Comme à leur habitude, les limiers de la rue Cambon ont déniché moult privilèges surprenants. Ainsi, les primes dont bénéficient les salariés, dont "certaines présentent une justification fort limitée". À Strasbourg, "la prime de spectacle est un complément de salaire attribué toute l’année, indépendamment de l’exploitation effective d’un spectacle, comme de la présence du salarié". À la Comédie-Française, on recense pas moins de 48 primes: indemnités de blouses pour les personnels administratifs, d’espadrilles pour les coiffeurs, de charentaises pour les décorateurs... 

Des voyages en première

D'autant que la productivité des décorateurs du Français est médiocre: "Les décors produits sont 50% plus chers que le plus onéreux des décors produits pour le Théâtre des Champs-Élysées, deux fois plus chers qu’à l’Odéon, et deux à trois fois plus chers qu’un décor produit par un atelier privé".

Mais ce n'est pas tout. La durée du travail des salariés est légèrement inférieure à 35 heures par semaine. On découvre qu'à l'Odéon, des fonds publics étaient "versés sur les comptes personnels des régisseurs". On apprend enfin que lors des tournées, "les déplacements des techniciens s’effectuent, sauf accord exprès des syndicats, en train en 1ère classe". Cela rend ces déplacements si coûteux que la Comédie-Française préfère recourir à un tourneur privé.

Le jackpot des comédiens du Français

Mais le privilège le plus juteux est celui dont bénéficient les personnels de la Comédie-Française, à commencer par les comédiens, appelés "sociétaires". En effet, les bénéfices de l'exploitation sont "répartis quasi-intégralement au profit des sociétaires et plus marginalement du personnel". Ceux-ci se sont ainsi partagés 2 millions d'euros en 2013. 

Mieux: ce partage des bénéfices, "présenté comme une rémunération variable, est en réalité peu dépendante des performances". En effet, une provision est passée chaque année pour "garantir la stabilité" du partage, ce qui "constitue une entorse évidente au principe de sincérité des comptes". Pour la Cour, un tel régime "n’est manifestement plus adapté pour un établissement subventionné à près de 70% de ses charges par l’État."

Des avantages d'être directeur

La Cour des comptes ne s'attaque pas qu'au petit personnel, mais aussi aux directeurs des théâtres nationaux, nommés par le ministre de la Culture.

Ceux-ci touchent, "sans véritable contrôle", 33.000 euros par an pour leurs "travaux de mise en scène", même s'ils ne mettent rien en scène. Ainsi, à la Colline, "une indemnité a pu être versée à un directeur, alors qu’il n’avait réalisé aucune création au cours d’une année civile entière". Les directeurs peuvent aussi avoir des activités extérieures à leur théâtre: cela a par exemple accaparé deux mois durant un directeur de la Colline. 

Juste avant son départ, un directeur a aussi programmé -"sans que la tutelle en ait été préalablement informée"- deux représentations d'une de ses créations, ce qui a coûté 55.000 euros.

Surtout, la tradition veut que, lors du départ d'un directeur, sa compagnie reçoive une subvention, qui peut aller jusqu'à 900.000 euros sur trois ans. "Cette pratique déroge aux règles de droit commun appliquées à l’octroi de subventions", pointe le rapport. 

Un État absent

Enfin, et non des moindres, le rapport déplore que les théâtres nationaux fonctionnent en roue libre, en étant "peu encadrés par le ministère de la Culture", sans "orientations claires ni objectifs précis". Ainsi, la plupart n'ont pas de contrat de performance, et certains directeurs n'ont même pas de lettres de mission. À la Comédie française, l'État est "absent dans les instances délibérantes, alors qu’il assure pourtant près de 70% du financement". 

Inversement, le théâtre de l’Odéon, qui "n’avait pas été associé à la rédaction du cahier des charges et aux travaux de rénovation", a donc dû refaire la sonorisation un an et demi après la fin des travaux.

Jamal Henni