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Les perdants et gagnants de l'union ratée entre Orange et Bouygues

L'échec des négociations entre Orange et Bouygues pour le rachat par l'opérateur historique de la filiale télécoms du groupe industriel pourrait laisser des traces dans un secteur en quête de consolidation, alors que l'accord était présenté comme favorable à l'ensemble des acteurs

L'échec des négociations entre Orange et Bouygues pour le rachat par l'opérateur historique de la filiale télécoms du groupe industriel pourrait laisser des traces dans un secteur en quête de consolidation, alors que l'accord était présenté comme favorable à l'ensemble des acteurs - Philippe Huguen-AFP

"L'échec du rachat de Bouygues Telecom par Orange ne sert ni les intérêts de l'État ni ceux du groupe de BTP. Mais le consommateur en général et les millions de clients de la filiale de Bouygues s'en sortent bien, pour l'instant."

La recomposition du paysage des opérateurs télécoms en France n'aura pas lieu mais laisse un goût amer à certains tandis que d'autres poussent un ouf de soulagement. L'échec des négociations entre Orange et Bouygues pour le rachat de la filiale télécoms du groupe de BTP pourrait laisser des traces dans un secteur en quête de consolidation en Europe, alors que l'accord était présenté comme favorable à l'ensemble des acteurs.

Quels sont les gagnants et les perdants d'un chambardement avorté dont la complexité s'est avérée trop élevée, menant à l'impasse au terme de trois mois de négociations pourtant intenses?

Les perdants

  • Bouygues échoue pour la quatrième fois à marier sa filiale télécoms, qui a souffert le plus de l'arrivée de Free en janvier 2012 sur le marché de la téléphonie avec sa stratégie de forfaits à prix cassés. Sa filiale va devoir rebondir sur un marché à quatre opérateurs en remotivant ses 7.500 salariés. Ayant subi un plan social drastique en 2014, ils sont ballotés depuis deux ans par les rumeurs ou les tentatives avortées et successives de rapprochement avec Free, SFR et Orange. En poursuivant son activité en solo, Bouygues Telecom reste un animateur important de la concurrence dans le mobile et le fixe, avec ses offres et ses promotions agressives. Mais, sa filiale télécoms doit garder sa capacité d'investir en préservant ses marges. Son équation économique à terme restera délicate à résoudre sur un marché à quatre opérateurs.
  • L'État pouvait espérer à moyen terme d'un rapprochement la consolidation d'un marché qui aurait assuré la pérennité de trois opérateurs, en capacité de générer des résultats financiers conséquents, générateurs d'impôts sur les sociétés. Actionnaire d'Orange, il pouvait aussi espérer une valorisation en hausse et des dividendes supplémentaires dans son escarcelle. Enfin, l'État ne pourra pas se prévaloir d'avoir contribué à stabiliser le marché des télécoms. Cela aurait permis aux trois opérateurs restants, moins soumis à une guerre des prix incessante, d'améliorer la couverture 3G et 4G des Français et d'accélérer le déploiement de la fibre sur tout le territoire, qui fait partie des promesses de François Hollande.
  • En cas d'accord, SFR escomptait récupérer une grande partie de la clientèle grand public de Bouygues dans le mobile et le fixe. Selon certaines informations, l'opérateur aurait été prêt à récupérer à la fois des abonnés ADSL et/ou fibre optique et des clients de la marque low cost BandYou. Ces reprises de clientèle auraient définitivement assis sa position de numéro deux des télécoms après avoir perdu sur l'ensemble de 2015 près d'un million d'abonnés mobiles (surtout en offre prépayée). Il peut aussi dire adieu à la reprise d'une partie de la clientèle professionnelle de Bouygues Telecom Entreprise, même si cela aurait fait tiquer l'Autorité de la concurrence, compte tenu de la position dominante qu'occupent Orange et SFR sur ce marché.

Les gagnants

  • Le consommateur a tout intérêt au statu quo actuel qui voit les quatre opérateurs français maintenir leurs politiques de promotions tarifaires pour gagner de nouveaux clients. Dans le mobile, dès qu'un opérateur dégaine une nouvelle offre agressive en prix, au moins l'un de ses concurrents le suit pour s'aligner, leur but étant de faire changer d'opérateur l'abonné surtout lorsqu'il n'est pas lié par un contrat. Depuis quelques semaines, les offres de forfait mobiles sans engagement se multiplient à 3,99 euros par mois pendant un an, émanant de SFR et Bouygues. Le consommateur reste le grand bénéficiaire de cette guerre commerciale.

  • Les 11 millions de clients mobiles et les 2,8 millions de clients fixes de Bouygues Telecom ont dû pousser un ouf de soulagement en apprenant l'échec du rachat de leur opérateur par Orange. Compte tenu du partage d'actifs envisagés, certains se serait retrouvés chez Orange, d'autres chez SFR ou chez Free. Si l'affaire avait été conclue, elle aurait fait peser une incertitude, chez tous les clients de Bouygues, sur l'opérateur qui les "récupérera" et sur les conditions qui leur seraient faites au moment du changement. Sans parler des aléas liés au processus de migration (sur le plan technique et commercial) d'une base d'abonnés aussi importante, répartie entre plusieurs autres opérateurs : changement de réseau, de box, d'abonnement, de contrat, etc...

  • Free, impliqué dans la reprise d'une partie des fréquences et du réseau mobiles de Bouygues Telecom, n'a mis que quelques heures pour réagir à l'échec des négociations en cours alors que SFR est resté silencieux. La direction de l'opérateur, qui n'exprime aucun regret, a déclaré "poursuivre son développement avec notamment une accélération du déploiement de ses réseaux très haut débit fixe et mobile". En fait, il semble que, même si la reprise des fréquences mobiles et des antennes lui aurait fait gagner du temps pour renforcer la couverture de son réseau 3G et 4G, Free a surtout besoin des points hauts sur les toits ou les châteaux d'eau pour poser ses antennes. En outre, il est train de récupérer des fréquences 3G et 4G dans le cadre du rééquilibrage que l'Arcep opère en sa faveur puisqu'il dispose de moins de fréquences que ses rivaux pour des raisons historiques. Enfin, en cas d'accord avec ses rivaux sur les partages d'actifs, Free se retrouvait plus ou moins "contraint" de récupérer tout ou partie des 550 points de ventes physiques de Bouygues avec entre 1.000 et 2.000 salariés à intégrer. Or il n'a que 50 boutiques en propre actuellement en France, ce qui correspond à son modèle économique. Il n'est pas sûr que l'opérateur aurait repris de gaité de coeur tous ces magasins et leurs employés.

Frédéric Bergé
https://twitter.com/BergeFrederic Frédéric Bergé Journaliste BFM Éco