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Culture loisirs

Les pertes abyssales des théâtres publics

Le "Cyrano de Bergerac" de Dominique Pitoiset a coûté un demi-million d'euros

Le "Cyrano de Bergerac" de Dominique Pitoiset a coûté un demi-million d'euros - Brigitte Enguérand Odéon

A la Comédie française, à l'Odéon ou à la Colline, le billet payé par le spectateur ne couvre que 9% à 21% du coût du spectacle, selon un rapport de la Cour des comptes.

On se doutait que les théâtres publics vivaient grâce aux subventions de l'État. Mais l'ampleur précise de ce phénomène a été chiffrée par un rapport de la Cour des comptes, portant sur les théâtres nationaux: Comédie française, théâtre de l'Odéon, théâtre de la Colline et théâtre national de Strasbourg.

"L'activité est très majoritairement déficitaire", avec "une activité subventionnée à 69% toutes charges confondues", pointent les enquêteurs de la rue Cambon.

2% des spectacles rentables

En clair, le billet payé par le spectateur ne couvre qu'une infime partie (9% à 21%) du coût du spectacle. Le rapport donne au passage quelques exemples. Ainsi, l'Ecole des femmes, mise en scène par Jean-Pierre Vincent à l'Odéon en 2008, a coûté 738.000 euros, soit 12.945 euros par représentation. De même, le Cyrano de Bergerac de Dominique Pitoiset, toujours à l'Odéon, a coûté 524.000 euros, soit 12.470 euros par représentation. Et encore, ces deux exemples sont de rares cas de spectacles rentables... "Seuls 2% des spectacles présentés entre 2006 et 2014 ont pu être auto-financés", dit le rapport.

Un plein tarif peu pratiqué

Plusieurs explications sont avancées. D'abord, le prix des places ne varie pas en fonction du spectacle. Surtout, il est bien moins élevé que dans le théâtre privé: moins de 18 euros en moyenne. Mais l'on découvre que bien peu de gens payent le plein tarif: seulement 10% à la Colline, ou 4% à Strasbourg. L'immense majorité des spectateurs bénéfice de tarifs réduits, notamment en s'abonnant: 50% d'abonnés à la Colline, et 70% à Strasbourg.

En revanche, la Comédie française et l'Odéon, jugeant que leurs spectateurs étaient solvables, ont décidé d'augmenter progressivement leur plein tarif, passé de 37 à 41 euros chez l'un, et de 30 à 38 euros chez l'autre. 

Une pléthore d'invités

Mais tout ceci ne vaut que pour les places payantes. Car les théâtres publics offrent énormément de places gratuites: 75.000 par an, soit 14% des places distribuées. A la Colline, un tiers des places écoulées étaient même gratuites en 2004! La longue liste des heureux bénéficiaires donne le tournis: "journalistes, mécènes, relais dans l’enseignement, ambassades, centres culturels, collectivités territoriales, institutions nationales (ministère de la Culture, notamment), structures culturelles (bibliothèques, musées, etc.), professionnels du théâtre (artistes, metteurs en scène, compagnies, organismes professionnels)"

Dernier problème: une fois créée, une pièce est peu jouée, donc peu amortie. Une création est ainsi jouée seulement 22 fois en moyenne (et même seulement 13 fois à Strasbourg). Explication: les tournées des pièces créées dans les autres théâtres "sont très insuffisantes".

Subvention publique par fauteuil payant, en 2014, en euros (% du coût total)

Comédie française: 83 euros (81%)

Odéon: 68 euros (79%)

Colline: 124 euros (91%)

Strasbourg: 182 euros (91%)

Prix de vente moyen, en 2014, en euros

Comédie française: 24,45 euros

Odéon: 21,77 euros

Colline: 14,73 euros

Strasbourg: 10,71 euros

Source: Cour des comptes

Jamal Henni