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Les questions posées par l'alliance anti-Netflix de TF1, M6 et France Télévisions

Les patrons de TF1 et M6 Gilles Pélisson et Nicolas de Tavernost

Les patrons de TF1 et M6 Gilles Pélisson et Nicolas de Tavernost - Satellifax Serge Surpin

L'alliance des trois poids lourds de l'audiovisuel français devrait être autorisée par les gendarmes de la concurrence car elle porte sur un service payant, marché dont ils sont quasi-absents aujourd'hui.

En 1996, TF1, M6 et France Télévisions lançaient TPS, un bouquet payant de télévision par satellite, pour rivaliser avec celui de Canal Plus. Fin 2005, ils jetaient l'éponge et vendaient TPS à Canal Plus...

Vingt-deux ans plus tard, une nouvelle union sacrée réunit les mêmes protagonistes. Les trois groupes ont annoncé vendredi 15 juin une alliance pour lancer un service de vidéo-à-la-demande par abonnement, baptisé Salto. Cette fois, l'ennemi est différent: il s'agit de contrer l'américain Netflix.

Plus riche que l'offre gratuite

En pratique, Salto proposera tous les programmes des trois groupes, mais aussi des programmes inédits non diffusés à l'antenne. 

Selon le Monde, deux offres seront proposées: 

-une offre de 2 à 5 euros par mois comprenant le visionnage des chaînes en direct, le retour au début du programme (start over), les programmes en rattrapage sur plus de sept jours (replay), les épisodes précédents d’une série en cours, des avant-premières… En résumé, une version enrichie des services de rattrapage gratuits des trois groupes (myTF1, 6play, france.tv)

-une offre à 7 ou 8 euros par mois comprenant des séries, des films, des documentaires, des dessins animés, de l’information, du divertissement. 

Position dominante

"Une société autonome, détenue à parts égales par les trois groupes, sera créée pour opérer cette plateforme, à l’issue de l’examen par les autorités compétentes", indiquent le communiqué commun.

En particulier, le projet devra obtenir le feu vert des gendarmes de la concurrence, ce qui n'est pas gagné d'avance. En effet, en 2017, les trois groupes détenaient 72% du marché brut de la publicité télévisuelle, selon Kantar. A lui seul, TF1 détient 42% du marché en brut (et 45% en net), et est considéré en position dominante sur ce marché par l'Autorité de la concurrence. Et à l'étranger, des alliances similaires ont été bloquées par l'anti-trust (cf encadré ci-dessous).

Toutefois, TF1 comme M6 assurent que Salto sera uniquement payant, ce qui devrait faciliter son acceptation par l'antitrust, estime l'avocat Jean-Paul Tran Thiet:

"Sur la base des informations disponibles, Salto serait donc actif uniquement sur le marché des services payants de télévision, et même plus précisément sur le marché des services de vidéo-à-la-demande payants. Or sur ce marché, les positions de TF1, M6 et France Télévisions sont marginales par rapport à Canal Plus ou Netflix. L'approbation de Salto ne devrait donc pas être trop problématique. En revanche, cela aurait été plus problématique si TF1, M6 et France Télévisions s'étaient alliés pour un service gratuit. Attention à ce que, en marge de ce service payant, il n’y ait pas de coordination des comportements de TF1, M6 et France Télévisions sur d’autres marchés, tel celui de la TV gratuite, notamment les offres de rattrapage (replay). Les gendarmes de la concurrence pourrait alors y trouver à redire".

Si le service sera payant, il y a aura toutefois de la publicité dans l'offre la moins chère, précisément dans les chaînes en direct et dans le replay. Mais cela ne devrait pas poser de problème vis-à-vis des gendarmes de la concurrence, assure un des actionnaires: "chaque partenaire gardera sa régie et gérera la commercialisation de la publicité dans ses programmes". 

Obtenir le feu vert de Bruxelles

Toutefois, les trois alliés devront quand même demander le feu vert de l'anti-trust, estime Jean-Paul Tran Thiet:

"Cette entreprise commune lancerait son propre service, distinct de celui de ses actionnaires. Elle aura donc un impact sur le marché. En droit des concentrations, cela s'appelle une entreprise de plein exercice, et sa création doit donc être approuvée par les gendarmes de la concurrence".

En pratique, cette alliance devra sans doute être notifiée à Bruxelles, étant donné que les maison-mères de TF1 (Bouygues) et M6 (Bertelsmann) ne réalisent pas les deux tiers de leur chiffre d'affaires en France. Toutefois, la Commission européenne pourra renvoyer l'examen du dossier à l'Autorité de la concurrence française.

Les précédents en Europe

Grande Bretagne
Kangaroo (BBC, ITV, Channel 4): ce projet de service payant a été bloqué par la Competion commission en 2009

Canvas devenu YouView (BT, TalkTalk, Arqiva, BBC, ITV, Channel 4, Channel 5): ce service combinant gratuit et payant a été autorisé par l'Office of fair trading en 2010

Allemagne
Projet de RTL et Pro7 pour un service gratuit de rattrapage: bloqué en 2011 par l'Office des cartels

7TV (Pro7 et Discovery): service gratuit lancé en 2017

Pays-Bas
NLZiet (RTL, SBS et NPO): service payant lancé en 2014

Jamal Henni