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Lever des fonds en temps de crise, un parcours du combattant pour les start-up?

"Les gens doivent se rendre compte que la visibilité économique est nulle", nuance François Véron. "On n'a jamais vu un coup de frein aussi brutal dans le capitalisme!".

"Les gens doivent se rendre compte que la visibilité économique est nulle", nuance François Véron. "On n'a jamais vu un coup de frein aussi brutal dans le capitalisme!". - Pixabay

Depuis que le coronavirus a grippé l'économie mondiale, les entreprises avancent au pas (quand elles ne sont pas à l'arrêt) et les start-up, qui ont besoin de lever des fonds pour se développer, font face à des investisseurs soudainement pris de "frilosité".

L'écosystème start-up est en émoi. Face aux tumultes conjoncturels liés à la crise sanitaire, les jeunes poussent rencontrent de plus en plus de difficultés pour anticiper, gérer leur trésorerie et trouver des investisseurs.

En cette période d'assèchement des liquidités, la start-up Boks fait preuve d'originalité: elle s'apprête à communiquer sur la clôture d'une levée de fonds! Elle a été finalisée "juste avant le confinement", explique à l'AFP son co-fondateur Olivier de Rodellec. "C'est sûr que sur le timing, on a eu de la chance, même si les investisseurs croient en nous".

Malgré tout, le plan de vol de l'entreprise d'une dizaine de salariés, qui veut faciliter la réception des colis à domicile, est bousculé. "On avait effectué cette levée pour couvrir nos besoins sur les 24 prochains mois, mais évidemment le calcul de ce besoin est fonction de l'action commerciale", explique-t-il.

Idem pour l'entreprise de scooters électriques partagés Cityscoot, qui a vu son activité diminuer "de 90%" depuis le début du confinement, et a clos une levée de 30 millions d'euros fin février. "Nous avons suffisamment de trésorerie pour tenir, mais notre plan d'investissements est en suspens, et nous pourrions enregistrer un exercice en perte, contrairement à notre objectif de rentabilité", explique un porte-parole de l'entreprise à l'AFP.

Jouer la sécurité

Un acteur du capital-risque de la place parisienne estime même, sous couvert d'anonymat, qu'"à peu près 10%" des entreprises de son portefeuille font face "à un risque létal".

Dans ce contexte, la priorité pour les capital-risqueurs n'est pas de miser sur de nouvelles pousses, mais de sécuriser les entreprises qu'ils ont déjà dans leurs portefeuilles.

"On a cette responsabilité de soutenir nos entreprises", explique à l'AFP Antoine Papiernik, du fonds Sofinnova, spécialisé dans les biotechs. S'il se trouve lui "dans une industrie où on s'habitue à se dire qu'on va gagner de l'argent à l'échelle de 10 ans", il comprend que certains investisseurs se montrent prudents, "une réaction humaine" dans ce contexte.

Le secrétaire d'Etat au Numérique Cédric O s'attend lui aussi à une forme de "frilosité" de la part des fonds de capital-risque, à qui il a demandé jeudi d'assumer "leur part de soutien aux start-up".

"Test à l'acide"

Celles-ci en ont besoin. "Une crise économique est une sorte de test à l'acide des 'business models', et il y a souvent des échecs pour celles qui n'ont pas de capacité à se mettre en auto-financement ou à constituer des réserves aux premiers signes avant-coureurs de la crise", observe Matthieu Lattes.

Le coprésident de la commission "venture & growth" de France Invest, l'association française du capital-investissement, craint pour les très jeunes entreprises qui n'ont pas encore trouvé leur modèle, ou pour celles qui "avaient déjà beaucoup grossi et réussi à lever beaucoup de financement" sans rentabilité.

Quant au fond dont il est associé, Whitestar Capital, il investit dans des start-up déjà au stade de l'internationalisation. Elles sont moins à risque, mais il leur a été recommandé "d'adopter des mesures financières pour avoir 12 à 18 mois de cash" en cas de crise prolongée.

Rester sélectif

"C'est une crise qui va faire des dégâts considérables, il n'y a aucune raison pour que les start-up soient épargnées", estime François Véron, un des dirigeants du fonds d'investissement Newfund. Mais il rappelle que les jeunes pousses ont l'"avantage de l'adaptabilité et l'habitude de fonctionner en environnement incertain".

En outre, "on nous reprochait à nous, Européens, que le capital risque ait été dans les 15 ou 20 dernières années financé en partie par des fonds d'obédience publique", comme Bpifrance ou KFW en Allemagne, glisse Antoine Papiernik. "Aujourd'hui, c'est plus une force qu'une faiblesse".

Cédric O a annoncé jeudi que l'Etat maintiendrait, à travers Bpifrance, son soutien aux entreprises innovantes, comme les années précédentes. Et présenté un plan d'aide censé aider les start-up à survivre à la crise.

"Visibilité économique est nulle"

De quoi réchauffer les capital-risqueurs frileux? "Pour répondre à l'appel de Cédric O, on sera là et bien là, pour financer les meilleures start-up dans les prochains mois, avec la même empathie et le même degré de sélectivité qu'en temps ordinaire", répond Matthieu Lattes. D'autant que les investissements "en bas de cycle sont souvent les meilleurs".

"Les gens doivent se rendre compte que la visibilité économique est nulle", nuance François Véron. "On n'a jamais vu un coup de frein aussi brutal dans le capitalisme!".

"Quand vous montez une start-up, vous êtes toujours dans une zone de risque importante", rappelle quant à lui Olivier de Rodellec. Et de conclure: "Quand vous êtes entrepreneurs, vous êtes forcément optimiste. Et persévérant". Même par gros temps.

JCH avec AFP