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Livres en streaming: "Amazon a l’avantage sur les startups françaises"

Pour Juan Pirlot de Corbion, fondateur et PDG de YouScribe, "le combat est de replacer le livre en bonne place par rapport à l’industrie du jeu, de la vidéo et de la musique."

Pour Juan Pirlot de Corbion, fondateur et PDG de YouScribe, "le combat est de replacer le livre en bonne place par rapport à l’industrie du jeu, de la vidéo et de la musique." - -

Les forfaits de livres en streaming sont-ils hors la loi en France ? Pour Juan Pirlot de Corbion, fondateur et PDG de YouScribe, le rapport commandé par Fleur Pellerin invite tous les acteurs, français compris, à trouver rapidement une offre régulée.

Le lancement en décembre dernier du service Kindle Unlimited a provoqué des réactions chez les éditeurs du monde entier, même aux Etats-Unis. En France, ce marché est régulé par loi sur le prix unique du livre qui date de 1981 et remaniée en 2011.

Depuis la remise du rapport commandé par Fleur Pellerin, ministre de la Culture, à la médiatrice du livre, Laurence Engel, les réactions sont nombreuses.

Après Hélène Mérillon, fondatrice et présidente de YouBoox, c’est au tour de Juan Pirlot de Corbion, fondateur et PDG de YouScribe, de réagir. Nous lui avons posé les mêmes questions et sa perception est un peu différente.

BFM Business - Le rapport Engel vient de tomber et met hors la loi le streaming de livres. Que pensez-vous de cet avis ?

Juan Pirlot de Corbion – Fouillé, dense, brillant souvent, le rapport de la médiatrice met un point d’arrêt aux souhaits de certains acteurs de la filière du livre qui auraient sans doute préféré la fermeture rapide, pure et simple des bibliothèques digitales comme la nôtre. Ce rapport clarifie le débat et donne des pistes et des échéances pour que les acteurs se décident d'ici trois mois.

Car il y a urgence pour répondre à la croissance du piratage et à la décroissance des revenus en papier. Urgence pour les auteurs qui souhaitent plus de transparence dans la répartition des revenus et que leurs œuvres soient mieux diffusées.

Allez-vous continuer à proposer votre offre d’abonnement dans les mêmes conditions qu’actuellement ?

JPC. – Pour l’instant oui. Il faut noter que le rapport Engel est un "Avis". Des discussions riches vont être engagées avec les éditeurs, les associations d’auteurs, des libraires et d’autres acteurs. Je ne doute pas que quelques semaines vont permettre de créer les conditions d’émergence rapide d’un champion français. Ce sont les lecteurs qui l’attendent. L'industrie doit écouter attentivement ses lecteurs. Ils sont prêts à rémunérer la filière comme ils le font pour les livres en format traditionnel. L’abonnement illimité gratuit, c’est le piratage et ce sont les ennuis qui comment pour toute la profession.

Vous pensez que le tarif d’abonnement pourra rester à 10 euros par mois ?

JPC. – Je n’en sais rien. Ce sera le résultat des échanges dans les prochaines semaines. Un prix, une offre, c’est le plus simple. Moins de 10 euros, c’est un prix accepté et généralisé pour les modèles d’abonnement. Il n’est pas impossible d’envisager des services et des montants supplémentaires comme par exemple : une option de téléchargement ou d’impression, un accès au livre audio, des nouveautés en avant-première, des inédits. Le lecteur pourrait accepter des paliers supplémentaires pour une boulimie de lecture ou des accès privilégiés. Ce qui est important c’est la compréhension claire du système de prix. Il faut se rappeler que c’est le lecteur qui finance la plus grande partie de la filière de l’édition.

Amazon est-il le seul a être pénalisé par le rapport Engel ?

JPC. – Non. Toute la profession est pénalisée par le retard dans le domaine du numérique, y compris les auteurs et les éditeurs. Quand la répartition de la valeur sera mieux comprise et acceptée par tous, les conditions de l’élan seront réunies et le rapport présente des pistes intéressantes. Les startups en général, Amazon comprise, vivent dans la rapidité d’action et sont très sensibles aux attentes des lecteurs. Les acteurs traditionnels de la profession du livre ont plus de temps et semblent dans l’inquiétude. Mais Amazon a plus de temps que les startups françaises. Il serait dommage que l’attentisme fasse le succès d’un seul acteur.

Et vous ?

JPC. – Nous voyons un très grand usage se développer autour de YouScribe : ce sont maintenant plus de 4 millions d’utilisateurs qui lisent chaque mois, publient, partagent des textes écrits. C’est plus de 2 fois plus que l’an dernier et le chiffre d’affaires 2014 aura été multiplié par 5. Des milliers de blogs et de sites de presse utilisent notre système de publication et de diffusion. Notre grande promesse utilisateur et notre ambition c’est le développement de l’abonnement illimité. Illimité, ce n’est qu’un mot que l’on pourrait remplacer aussi bien par liberté. Nous n’avons malheureusement qu’un temps limité de lecture. Nous ne pourrons jamais lire tous les livres.

Selon vous, Amazon va devoir changer de modèle économique ?

JPC. – Je ne pense pas. Il y a une nécessaire adaptation pour la mise en conformité à la loi sur le prix unique mais il s’agit plutôt d’un réglage sur les modalités de rémunération de la filière. Je ne vois pas la nécessité de modifier profondément un modèle. En soi, et le rapport le souligne, un abonnement est un abonnement, il n’y a rien de révolutionnaire. La révolution c’est le bonheur et la liberté d’avoir accès à une bibliothèque à la maison et dans ses voyages, partout et sur tous les supports.

Donc pour vous, ce rapport est une bonne chose ?

JPC. – C’est une excellente nouvelle et pour tous les opérateurs. Il pose les bonnes questions et il propose des réponses. Nous en avons d’autres à proposer aussi. Ce rapport est un déclencheur. Il encourage les énergies. Le modèle des bibliothèques digitales est une voie d’accès supplémentaire à la lecture et complémentaire à d’autres canaux. Le combat pour les auteurs et les éditeurs est de replacer le livre en bonne place par rapport à l’industrie du jeu, de la vidéo et de la musique.

Propos recueillis par Pascal Samama