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Logistique urbaine: vers un renouveau du transport fluvial

Utiliser les fleuves pour la logistique urbaine, permet de franchir la zone dense, coûteuse et polluante.

Utiliser les fleuves pour la logistique urbaine, permet de franchir la zone dense, coûteuse et polluante. - Line

Le fleuve. Ce moyen de transport qu’on aurait pu croire, à tort, passé de mode, recèle des trésors de solutions innovantes, disruptives et pérennes en matière de logistique urbaine. C’est aussi une des alternatives efficaces aux problèmes environnementaux des grandes villes.

Ce très cher dernier kilomètre

Que ce soit pour des marchandises destinées aux professionnels ou aux particuliers, le dernier kilomètre, c’est à dire la distance entrepôt-client, est celui qui coûte le plus. Sur tous les plans

En terme de prix, il peut représenter jusqu’à 20% du montant du transport d’une marchandise. Cela tient principalement au fait que le temps homme-machine, nécessaire à l’acheminement au client final, ne bénéficie plus des économies d’échelles générées par le regroupage en amont.

Au niveau environnemental, c’est un tiers des émissions de gaz à effet de serre et de polluants (particules, NOx,…) en zone urbaine qui sont imputables à cette seule activité.

C’est surtout une cause supplémentaire de congestion des villes. En Europe en 2013, l’activité du colis vers les particuliers -BtoC- représentait plus de 3,7 milliards de d’unités*, en progression de 16,1%. 

Avec le boom des achats en ligne, 264 millions d’acheteurs et plus de 645.000 sites marchands en Europe*, auxquels il faut ajouter l’approvisionnement quotidien des chaînes de distribution classiques, la livraison des biens de consommation fait face à un problème d’acceptabilité de la part des villes et de ses habitants.

Car le consommateur, qui veut paradoxalement "tout, tout de suite", mais sans subir les camions de livraison manœuvrant sous ses fenêtres ou stationnés devant son propre véhicule, sait faire pression auprès des municipalités, qui ont logiquement tendance à limiter, voire interdire, certains volumes de livraisons, réduire les horaires d’activités tout en tentant de concilier activité économique et impacts environnementaux de la chaine logistique de livraison urbaine.

À l’heure de la densification des villes et de l’explosion des livraisons de marchandises, la solution ne peut plus être uniquement sur les routes.

Réinvestir les fleuves

Une des solutions expérimentées par certaines grandes villes consiste à utiliser les voies fluviales. Si celles-ci sont déjà empruntées par des acteurs du vrac (céréales, BTP, déchets,…) elles présentent, pour la logistique urbaine, de nombreux avantages économiques et environnementaux, tout en dynamisant un ensemble de PME locales. 

À l’heure actuelle, sans rien changer des ses infrastructures ou de sa règlementation, le fleuve peut multiplier son trafic par quatre. Ce qui est loin d’être le cas de la route.

Cette voie disruptive de la chaîne logistique est actuellement expérimentée et mise en œuvre par le cluster "Logistique Urbaine Durable" à Gennevilliers, sous l’égide de la Chambre de Commerce et d’industrie des Hauts de Seine (CCI 92).

Le principe fondateur : utiliser la Seine pour franchir la zone dense, celle située entre les entrepôts, hors de Paris, et les points de livraisons intra-muros, en utilisant des péniches de type Freycinet, reconditionnées et optimisées pour cet usage. 

Aujourd’hui, pour une flotte de véhicules de livraison, le passage de cette zone dense représente 30% du temps hommes-machines. Utiliser les voies fluviales pour franchir cette étape ouvre des possibilités d’économies indéniables.

"Avec ce nouveau schéma multimodal route-fleuve-route, les marchandises sont acheminées par le fleuve et les véhicules de livraison ne quittent plus Paris. C’est aujourd’hui la seule solution aux problèmes de pollution et de congestion des grandes villes" affirme Marc Bazenet, le responsable du Cluster logistique urbaine durable de la CCI 92.

Ce constat posé, tout le travail du cluster est de définir les meilleures solutions pour optimiser l’ensemble de la chaîne logistique: réduire le nombre d’intervenants, donc de coûts, utiliser les infrastructures complémentaires des 70 ports implantés autour de Paris, concevoir la caisse-service la plus universelle et la plus modulable possible, celle qui s’intègre à la péniche et se monte sur un camion et envisager très sérieusement la "reverse-logistique", c’est à dire ne jamais faire de trajets retours à vide. 

Les possibilités sont extrêmement variées et ouvrent la voie à de nouveaux modèles économiques plus rentables, plus respectueux de l’environnement et des citadins

Un modèle innovant qui séduit déjà 18 acteurs

Signe de l’intérêt de ce modèle de logistique urbaine, le projet a déjà attiré à lui dix-huit sociétés ou institutions. Parmi elles, quatre grands groupes : Steelcase et Ooshop au titre de chargeurs, Air Liquide pour ses technologies de carboglace et future pile à hydrogène et le groupe Bolloré, qui s’intéresse de très près à la logistique urbaine, notamment en déclinant la BlueUtility, une version utilitaire de la BlueCar (Autolib).

Deux institutions: entreprendre pour le fluvial (Voies Navigables de France) et Novalog, le pôle de compétitivité dédié à la logistique urbaine.

Enfin, une douzaine de PME issues du transport routier ou de la batellerie, des fabricants de caisses, d’ingénierie, de mobilité, de développement informatique. Celles-ci trouvent un beau champs de développements et d’innovations sur un modèle qu’on aurait pu penser démodé.

En tout cas pas démodé pour le jury de Riverdating, un rendez-vous annuel qui rassemble les acteurs européens du transport fluvial, multimodal et des solutions logistiques intégrant la voie d’eau, qui a décerné sont prix annuel à Steelcase Solutions lors de sa 7e édition à Luxembourg.

Le groupe américain a été récompensé pour son utilisation de la première "caisse multimodale urbaine" dans son concept de transport porte-à-porte qui conjugue le transport fluvial et routier.

Ces caisses ont une capacité de 20 m³ et de 3,5 tonnes et sont compatibles avec les palettes euros, ce qui les rend facilement manipulables par une grue embarquée sur une péniche. Elles sont également dotées de deux doubles-portes et d'un toit amovible. Enfin, elles peuvent être démontées et gerbées pour limiter le volume lors de retours à vide.

"Le groupe s'est engagé à commander une trentaine de ces caisses", indique Marc Bazenet.

François de Bernis, Directeur Général Steelcase Solutions précise "Nous sommes très contents d’avoir reçu ce prix qui souligne notre volonté d’innovation face aux contraintes de la ville. Nous savions que nos solutions de livraisons devaient être multimodales. Car elles offrent de nombreux avantages financiers et logistiques en permettant notamment de livrer des zones où les camions ne peuvent se rendre. Cette autoroute vide qu’est la Seine réduit à la fois les distances et l’impact environnemental de notre activité".

La ville demain devra gérer le paradoxe de la densification et du haut niveau de service rendu à ses habitants. La voirie, et plus largement l’automobile, autour desquelles les villes se sont construites ou modifiées, ne peut plus faire face à ce besoin pour un ensemble de raisons techniques, sanitaires et environnementales. 

Il se pourrait bien que ces nouveaux défis redonnent aux fleuves une utilité qu’ils avaient perdue.

Et nous rappellent que ce n’est pas pour rien si les toutes les grandes villes du monde se sont construites autour d’un fleuve… 

* source chiffres-clés 2014, Fevad

Yves Cappelaire