BFM Business
Conso

Lunette et audioprothèse: qui paiera la facture du "reste à charge à zéro"?

Pour que l'assuré social ait accès à une offre remboursée à 100% de lunettes ou de prothèses auditives d'ici à 2021, les professionnels ont dû faire des efforts sur les prix et leur marge. La "Sécu" paiera plus aussi tandis que les complémentaires santé risquent d'avoir à rembourser plus d'offres "reste à charge zéro", devenues plus alléchantes.

Rien n'est gratuit en matière de santé comme dans d'autres domaines. Pour Alain Afflelou, fondateur du groupe éponyme, la mise en place du "reste à charge zéro" est le résultat d'un "effort bien équilibré entre les fabricants, l'État et les distributeurs", a-t-il commenté sur l'antenne d'Europe 1. Un discours consensuel qui masque le fait que le financement des offres "reste à charge zéro" (RAC 0) pour l'assuré social d'ici à 2021 de certaines lunettes et audioprothèses a fait l'objet d'âpres négociations durant l'hiver et le printemps 2018 avec les professionnels du secteur.

Tout l'enjeu pour le gouvernement était d'obtenir de leur part des offres "remboursées à 100%" qui soient alléchantes pour l'assuré social, en restant abordables et de qualité. Ce qui supposait d'obtenir qu'ils réduisent leur prix et leurs marges sur certains produits en vente dans leurs magasins.

Au terme de plusieurs mois de rudes discussions avec ces professionnels, un accord a été obtenu permettant à Emmanuel Macron, lors de son discours devant le 42e congrès de la Mutualité française à Montpellier, de se féliciter de l'aboutissement d'une promesse de campagne: le remboursement intégral d'ici à 2021 de certaines lunettes, prothèses dentaires et audioprothèses.

La monture de l'offre "RAC 0" plafonnée à 30 euros

Dans le détail (cf encadré ci-dessous), les offres de lunettes "remboursées à 100%" incluront des verres simples foyers remboursés jusqu'à 95 euros et 105 euros ou avec des verres progressifs, jusqu'à 190 euros. Ces verres devront obligatoirement être traités antireflets, amincis et durcis pour éviter des offres au rabais. Pour bénéficier de montures prises en charge à 100 %, l’assuré social devra choisir parmi une liste de modèles dont le prix sera plafonné à 30 euros.

Les syndicats d'opticiens signataires de l'accord ont bataillé ferme pour éviter d'être trop mis à contribution sur le plan financier. Ils se félicitent de la hausse des tarifs "RAC 0" de plus de 72% pendant les négociations, entre mars 2018 et aujourd’hui. Selon eux, ces nouveaux prix sont plus proches des planchers actuels des contrats responsables. Ils ont aussi obtenu qu'il soit possible de "panacher" des verres sans reste à charge et une monture plus chère, ou inversement.

Les opticiens ont obtenu des compensations notables

En compensation de ces prix, somme toute, plus bas que ceux pratiqués actuellement, les syndicats d'opticiens ont aussi décroché des contreparties. Ils ont obtenu que l'entrée en vigueur de l'offre "RAC 0" n'intervienne qu'au 1er janvier 2020, ce qui leur laisse le temps de s'adapter. De même, la prise en charge des montures et verres reste possible tous les 2 ans au lieu des 3 ans initialement prévus. Mais surtout, ils ont obtenu que subsiste une offre libre de lunettes sans prix limite de vente, leur assurant des marges bénéficiaires conséquentes et qu'il soit possible de dissocier verres et montures dans l'offre "RAC 0".

Le dispositif aura aussi un coût pour l'Assurance maladie. L'accord avec les opticiens prévoit une hausse du financement de l'État passant de 270 à 340 millions d'euros. Ainsi les tarifs des offres "CMU-C" seront alignés sur les offres "RAC 0", ce qui correspond à une revalorisation des remboursements. Quant à la facture du reste à charge zéro dans l'optique pour les complémentaires santé, elle reste encore inconnue. 

Les audioprothèses vont coûter plus cher "à la Sécu"

Dans les audioprothèses, le bénéficie de l'accord "RAC 0" pour les Français sera encore plus important. Le montant à la charge des assurés est en moyenne de 850 euros par oreille aujourd'hui. Demain, ils pourront accéder à des prothèses auditives remboursées à 100% et valant jusqu'à 950 euros par oreille, mais il leur faudra attendre 2021. Auparavant, le plafond tarifaire de l'offre "RAC 0" aura été fixé à 1300 euros en 2019 puis descendu à 1100 euros en 2020.

Si les audioprothésistes s’engagent à promouvoir ce dispositif auprès des patients et du grand public, par la voix de leur syndicat, l'Unsaf, qui a signé l'accord ce mercredi 13 juin, ils saluent aussi l'effort de l'Assurance maladie. Et pour cause. Celle-ci doublera progressivement le montant de sa prise en charge qui augmentera de 200 euros en 2018 pour atteindre 400 euros de plus remboursés en 2021, ce qui permettra à ces professionnels de l'audition d'augmenter leurs ventes en volume.

Vers une hausse des tarifs des complémentaires santé?

Mais les complémentaires santé seront aussi mises à contribution. Elles augmenteront également leur participation au financement des prothèses auditives pour un montant évalué à 200 millions d’euros, selon Le Monde, même si aucun chiffre officiel n’a pour l’instant été communiqué.

Le principal risque de la mise en place des offres "RAC 0" dans l'optique et les prothèses auditives est la dérive des dépenses financées par l'Assurance-maladie et les complémentaires santé. Plus compétitives seront les offres remboursées à 100%, en comparaison d'offres libres mal remboursées, plus grande sera la tentation des patients de choisir les premières plutôt que les secondes. Qui pourra alors empêcher une hausse des cotisations dans les contrats négociés par les entreprises pour leurs salariés? La facture du dispositif "RAC 0" serait alors payée aussi en partie par l'assuré social...

Ce qui sera remboursé à 100% pour les lunettes et audioprothèses

Le dispositif "reste à charge zéro" pour les soins optiques et auditifs, va entrer en vigueur progressivement d'ici 2021. Voici le détail ce qui sera pris bientôt en charge à 100% pour les lunettes et prothèses auditives.

- Pour les lunettes:

  • À partir du 1er janvier 2020, tous les opticiens devront proposer des montures à 30 euros maximum.
  • Chaque magasin devra disposer de 17 modèles pour adultes et 10 pour enfants, chacun en deux coloris.
  • Les verres pris en charge à 100% devront tous être amincis, durcis contre les rayures et traités contre les reflets. Leur tarif maximum dépendra du type de correction et de leur nature: unifocaux ou progressifs.
  • Il sera possible de "panacher" des verres sans reste à charge et une monture plus chère, ou inversement. Le montant remboursé dépendra alors du contrat de l'assuré, sachant que la participation des complémentaires sera plafonnée à 100 euros pour une monture, contre 150 euros aujourd'hui.

-Pour les prothèses auditives:

  • À partir du 1er janvier 2021, les audioprothésistes devront proposer des appareils sans reste à charge à 950 euros maximum.
  • Les assurés auront le choix entre des modèles placés dans ou derrière l'oreille, avec 12 canaux de réglage, une amplification sonore d'au moins 30 décibels et plusieurs options de confort (acouphène, bruit du vent, connexion sans fil...).
  • Avant 2021, un prix plafond de 1300 euros sera instauré en 2019, puis abaissé à 1100 euros en 2020 et enfin à 950 euros.
  • Dans le même temps, le remboursement par la Sécu et les complémentaires, actuellement autour de 570 euros, passera à 670 euros en 2019, puis 720 euros en 2020 et 950 euros en 2021.
  • Le montant déboursé par l'assuré, en moyenne de 850 euros par oreille aujourd'hui, va ainsi diminuer chaque année: 200 euros de moins en 2019, encore 250 euros en 2020 et près de 400 euros en 2021.
  • Il restera cependant possible de choisir des aides auditives plus onéreuses, mais le montant pris en charge par la Sécu et la complémentaire ne pourra pas excéder 1700 euros par appareil.

BFMBusiness avec AFP

Frédéric Bergé