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Mais où vont les millions des César?

Alain Terzian préside les Cesar depuis 2003

Alain Terzian préside les Cesar depuis 2003 - AFP Miguel Medina

Les millions d'euros générés par la cérémonie servaient jusqu'à récemment à payer les dettes. Ces dettes étant désormais remboursées, l'opacité règne sur l'utilisation de ce pactole.

Le plus souvent, rouler sur l'or est une bénédiction. Plus rarement, c'est une malédiction. Par exemple, quand vous êtes une association loi 1901 dont le but est non lucratif. Tel est le cas de l'Association pour la promotion du cinéma (APC), créée en 1974 par Georges Cravenne, et qui organise la cérémonie des César qui se tient cette année vendredi 24 février.

Chaque année, l'association voit rentrer dans ses caisses des millions d'euros. Les cotisations des 4.622 votants (70 euros par an) rapportent plus de 300.000 euros. Les coffrets de quelque 150 DVD envoyés aux votants génèrent près d'un million d'euros: en effet, chaque producteur doit payer 7.000 euros pour en faire partie. Surtout, Canal Plus paye plus d'un million d'euros pour diffuser la cérémonie. À cela s'ajoute encore l'argent versé par divers sponsors...

Jusqu'à présent, les sommes reçues servaient à organiser la cérémonie et à rembourser une lourde dette. Mais cette dette a fini d'être remboursée il y a deux ans (cf encadré ci-dessous). Depuis, l'association se demande comment utiliser son pactole.

Le goût du secret

Mais l'association (qui compte seulement 52 membres) veut régler ses affaires dans son coin. Elle ne publie pas ses comptes au Journal officiel des associations, ne les envoie pas aux 4.598 votants, et refuse de les communiquer à la presse. Contactée, l'association refuse même de donner son budget ou le montant de sa trésorerie.

L'Association pour la promotion du cinéma possède aussi une filiale qui est une société commerciale, Europe Cinéma Evénement SA (ECE), qui gère notamment les droits de diffusion. Mais l'APC a aussi refusé de nous communiquer les comptes d'ECE SA.

Quant au conseil d'administration d'ECE SA, il est composé uniquement de l'équipe qui organise les César: les producteurs de cinéma Alain Terzian (67 ans) et Alain Rocca (61 ans), ainsi que Samuel Faure (qui s'occupe des opérations et des partenariats). Car il vient d'être mis fin au mandat des quatre administrateurs indépendants d'ECE SA (Philippe Labro, Margaret Menegoz, Danièle Thompson et Gilles Jacob). Toutefois, ces quatre personnalités indépendantes restent pour l'heure membres du bureau de l'association.

Enfin, et non des moindres, la liste nominative des votants est aussi secrète, indiquait Le Canard enchaîné il y a un an.

Opacité totale

Face à cette opacité totale, on en est donc réduit aux conjectures. Une piste étudiée par l'association serait de se constituer un matelas pour prévenir d'éventuels coups durs. Une autre serait d'acheter des bureaux pour y installer la petite équipe des César (3 personnes, selon Le Canard enchaîné), qui loue actuellement des locaux dans le 15ème arrondissement de Paris. Une dernière possibilité serait de créer des événements périphériques à la cérémonie. Mais ce filon a déjà largement été exploité avec la création de la Soirée des techniques, la Soirée des révélations, la Soirée des producteurs, dont le budget est couvert par les recettes propres de chacun de ces événements.

En attendant, la cagnotte permet donc d'assurer le train de vie de l'équipe des César. L'association refuse d'indiquer quels sont les émoluments perçus par Alain Terzian. Mais l'on sait qu'Alain Rocca est rémunéré depuis 2005 par ECE SA, via sa société de production Lazennec. Ses émoluments, initialement de 36.000 euros par an, ont régulièrement augmenté pour atteindre 60.000 euros depuis 2011. Enfin, depuis 2008 au moins, les César font appel pour leur affiche et leur catalogue à la graphiste Maria Torme Faure, la femme de Samuel Faure.

Contrat revu à la hausse

Rappelons que les César ont été créés en 1974 par Georges Cravenne. À partir de 1992, le producteur Daniel Toscan du Plantier prend la présidence de l'académie des César. Il devient propriétaire, via sa société TSH, de la société Georges Cravenne Conseil, rebaptisée ECE SA. Après la mort de Daniel Toscan du Plantier en 2003, Alain Terzian prend les commandes: il devient président de l'association APC et PDG de la société ECE SA. L'association APC rachète alors la société ECE SA aux héritiers de Daniel Toscan du Plantier. "Nous avons hérité d'une situation très endettée, et il a fallu monter un crédit pour racheter les actions privées et 'nationaliser' la société au bénéfice de l'association", expliquait Alain Rocca au Canard enchaîné.

Pour financer ce rachat, une cotisation des votants avait alors été instaurée, qui s'élevait initialement à 50 euros par an. Surtout, un crédit bancaire avait été contracté, qui était garanti par le fonds de commerce d'ECE SA, ainsi que par le contrat de diffusion signé avec Canal Plus. Selon Le Canard enchaîné, ce contrat avec Canal s'élevait à plus de 800.000 euros par an. La chaîne cryptée, pour faciliter le montage, avait accepté de s'engager sur une longue durée (2005 à 2012). Arrivé à expiration, ce contrat a été renégocié à la hausse, et dépasse maintenant le million d'euros par an. Le dernier contrat, portant sur les cérémonies 2017, 2018 et 2019, a été signé en juillet 2016. A noter que la chaîne paye en outre la location de la salle et le coût de production des images, que le Canard chiffrait à un total de 1,4 million d'euros par an.

Un soutien de Canal Plus

Parallèlement, Alain Terzian est un lobbyiste important du secteur de la production. Il a présidé l'Union des producteurs de films (UPF) de 1990 à 2016, date à laquelle l'UPF s'est fondue dans l'Union des producteurs de cinéma, qu'il co-préside. Hasard ou coïncidence, il a souvent été un fervent soutien de la chaîne cryptée dans les négociations avec la filière. En 2013, il s'était opposé à la hausse de la TVA sur la chaîne cryptée. En 2014, il plaidait: "Canal Plus ne doit pas être déstabilisé". En 2016, il louait avec enthousiasme les nouvelles offres commerciales de la chaîne cryptée...

Interrogés, Canal Plus n'a pas répondu, tandis que l'APC s'est bornée à indiquer: "L’ensemble de la gestion économique de l’Académie des César est contrôlée par un cabinet d’experts comptables, le tout étant validé par un commissaire aux comptes. L’Académie ne bénéficie d’aucune subvention ni aide publique sous quelque forme que ce soit".

Mise à jour: interrogé mardi 21 février sur BFM Business, Alain Terzian a indiqué: "L'Académie, avec ses 4.500 membres, a le contrôle global de tout, avec un conseil d'administration à qui on rend des comptes. Vous avez une association avec 4.500 membres à qui vous ne faites pas prendre le risque d'engager sa signature sur des droits de diffusion. Donc la filiale [commerciale] est accrochée à l'Académie. C'était la construction de Georges Cravenne il y a 42 ans.
Sur les 15 dernières années, l'économie de l'Académie était absolument désastreuse, donc il a fallu reconstruire. Ca ne laisse rien. On était dans le rouge jusqu'à l'an dernier. On est dans un petit vert, dans un environnement média qui est extrêmement agité et pas garanti à long terme. L'équation économique est équilibrée, avec l'épaisseur de la ligne qui est dans le vert. On est sorti d'une période où on avait de l'endettement, mais on peut y plonger tous les matins. La question d'acheter des bureaux ne nous concerne pas, car on n'est pas dans cette situation-là.
Je voudrais réduire un peu la marge d'incertitude, que les César continuent avec une garantie de pérennité, je souhaite construire la pérennité des César. Je me disais que les 7 d'Or étaient une idée imparable, ils ont disparu, on ne sait même plus ce que c'était. Les Molières passent en deuxième partie de soirée, leur économie n'est quand même pas glorieuse".

Seconde mise à jour: nous avons reçu le 22 février le courrier suivant:

"Droit de réponse de l’Association pour la Promotion du Cinéma et de son Président Monsieur Alain TERZIAN
BFMTV.COM a publié dans la rubrique «Entreprise – Culture, Loisirs Médias» de son site internet www.bfmtv.com un article intitulé «Mais où vont les millions des César?», daté du 20 février 2017.
Cet article prétend que la cérémonie des César, qui est organisée par l’Association pour la Promotion du Cinéma, rapporterait des millions d’euros, et se livre, selon les termes de son auteur, à des «conjectures» sur l’utilisation que l’association pourrait faire de ce «pactole», allant jusqu’à supposer qu’il permettrait «d’assurer le train de vie de l’équipe des César».
De manière contradictoire, l’auteur de l’article déclare en fait ignorer le budget et le montant de la trésorerie de l’Association à laquelle est prêtée à tort le «goût du secret» et une «opacité totale».
En réalité, toutes informations utiles sont librement disponibles sur le site de l’Académie des César (www.academie-cinema.org), concernant les activités de l’Académie, ses 4.622 membres (les votants), son Règlement, sa gouvernance et la nature de ses ressources.
Chaque année, l’équipe de l’Académie des César effectue ainsi le recensement des plus de 3.000 personnes et 500 films éligibles, organise l’ensemble du processus de vote permettant aux 4.622 membres de déterminer leurs préférences parmi les personnes et films éligibles, avec en particulier la mise à disposition personnalisée à chaque membre d’un coffret DVD de près de 150 films, la co-production déléguée de la Cérémonie avec le diffuseur, ainsi que l’organisation de plusieurs autres événements majeurs de mise en valeur de la filière cinéma en France.
Par ailleurs, le Président de l’Association pour la Promotion du Cinéma présente à ses administrateurs et aux membres de son Assemblée Générale, (lesquels lui en donnent quitus chaque année), les projets de développement et la situation financière, préalablement soumise au contrôle du commissaire aux comptes; sans que puissent être mis en doute la régularité et le caractère désintéressé de la gestion de l’Association.
Au demeurant, les «conjectures» de l’article à cet égard procèdent d’une confusion manifeste entre le chiffre d’affaires de l’Association, qui n’est pas une marge, et encore moins un résultat, et sa trésorerie (ou «cagnotte») supposée; alors que la co-production déléguée d’un spectacle en direct de trois heures devant mille sept cent invités comporte de nombreux risques et coûts, auxquels s’ajoutent ceux afférents aux coffrets DVD et autres activités précitées. Ce qui explique que l’Association a été pendant de très nombreuses années déficitaire.
Ce pourquoi depuis quatorze ans, le président et son équipe travaillent sans relâche au redressement des finances de l’Académie et à la pérennisation de son avenir, sans cesser d’amplifier et de consolider le projet du fondateur des César, Georges CRAVENNE.
Et ce en ne bénéficiant d’aucune aide publique, et en ne s’appuyant que sur le soutien volontaire des membres de l’Académie et de celui des partenaires privés qui lui ont accordé leur confiance, au premier rang desquels Canal Plus, partenaire historique du cinéma en France."

Les résultats d'ECE SA (en euros, exercice clos fin juin)

Chiffre d'affaires
2013: 917.100
2014: 826.600
2015: 909.300
2016: 1.064.316

Résultat net
2013: +82.100
2014: +455.400
2015: +45.200
2016: +62.848

Dividendes versés à l'association APC
2013: 61.875
2014: 330.000
2015: 30.000
2016: 0

Dette vis-à-vis de l'association APC
2013: 423.231
2014: 527.197
2015: 11.306

Source: comptes sociaux

Jamal Henni