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Les majors du disque mécontentes du rapport Lescure

Les majors du disque acceptent l'abandon de la coupure de l'accès internet des pirates

Les majors du disque acceptent l'abandon de la coupure de l'accès internet des pirates - -

Pour le syndicat des majors, l'amende de 60 euros qui serait infligée aux pirates n'est pas assez élevée. Surtout, les maisons de disques sont vent debout contre la gestion collective de leurs droits.

Le rapport Lescure a été favorablement accueilli par tous les secteurs de la culture... sauf par les producteurs de disque. "Ce rapport met en péril l’avenir du métier de producteur en France", avait dénoncé le syndicat des majors (Snep) lors de sa publication.

Vendredi 31 mai, le Snep en a remis une couche. "Ce rapport ne propose aucune solution pour soutenir l'industrie de la musique", a dénoncé son président Stéphane Le Tavernier, par ailleurs président de Sony Music France.

Amende pas dissuasive

Les majors du disque ne sont pas gênées par l'abandon de la coupure de l'accès internet des pirates: "ce n'est pas un point bloquant", a déclaré le directeur général du Snep, Guillaume Leblanc.

En revanche, elles ne veulent pas que l'amende infligée aux pirates soit abaissée à 60 euros: "ce n'est pas dissuasif. Mais 120 euros ferait sens, car cela correspond à un an d'abonnement à un service de musique en ligne", a dit Stéphane Le Tavernier.

Se plier aux exigences

Mais ce qui hérisse le plus le Snep, c'est l'instauration d'une "gestion collective" des droits des producteurs. En effet, le rapport Lescure propose d'étendre aux sites de musique en ligne ce système déjà utilisé pour la diffusion de musique à la radio, la télévision, dans les lieux publics, sur les webradios, etc.
Avec un tel système, le site de musique signerait non plus une série de contrats différents avec chacune des maisons de disques, mais avec une seule société civile les représentant.
Surtout, le tarif de ce contrat ne serait plus fixé "à la tête du client", mais déterminé par un barême unique. Résultat : les sites n'auraient plus à se plier aux exigences que leur imposent actuellement les maisons de disques: verser des avances ou de minimas garantis, leur céder une part de leur capital...

Usine à gaz

"Les minimas garantis handicapent les nouveaux entrants et sont susceptibles de freiner l'innovation", écrit Pierre Lescure. Selon lui, la gestion collective "assure la transparence et la non discrimination", et par là, "protège les plus petits acteurs, qu'il s'agisse des producteurs ou des sites". Enfin, elle "garantit la juste rémunération des auteurs et des artistes".

Mais les majors ne veulent pas entendre parler. "Ces préconisations sont vraiment dangereuses. Nous sommes fermement opposés à cette collectivisation à marche forcée. On nous accuse de tirer profit de nos artistes, on veut nous monter contre eux", a déploré Guillaume Leblanc. "Cela montre une méconnaissance complète du métier de producteur. Cela créerait une usine à gaz extraordinaire. En quoi cela créerait-il de la valeur ?", a abondé Stéphane Le Tavernier.

Tous deux ont accusé la mission Lescure d'avoir repris les demandes et les chiffres de l'Adami, la société de gestion collective des artistes et des musiciens.

L'histoire se répète

L'histoire semble se répéter. En effet, il y a trois ans, le gouvernement précédent avait commandé un rapport au producteur indépendant Patrick Zelnik, qui avait déjà préconisé une gestion collective. L'idée avait été endossée par Nicolas Sarkozy lui-même: "je sais que cette mesure ne fera pas plaisir aux producteurs, mais il faut que chacun fasse un effort".

Mais déjà les producteurs s'y étaient fermement opposées, dénonçant "un kolkhoze de la musique". Le gouvernement avait alors confié une médiation au patron de l'AFP, Emmanuel Hoog, qui avait abouti à l'abandon de la gestion collective. Toutefois, les industriels du secteur avaient alors souscrit à une série de 13 engagements en faveur des sites de musique.

Engagements caducs

Ces 13 engagements "n'ont eu quasiment aucun effet sur les conditions de rémunération des artistes, et les producteurs ont fait savoir qu'ils s'opposaient à leur reconduction. Ce mode de régulation rencontre donc aujourd'hui ses limites", pointe le rapport Lescure.

Vendredi, Guillaume Leblanc a assuré que les 13 engagements étaient "caducs". "Je n'en ai pas trop vu l'utilité. Je n'ai pas attendu cela pour rémunérer mes artistes", a ajouté Stéphane Le Tavernier.

Mais le rapport Lescure aboutit à une conclusion opposée: il "préconise une négociation (par exemple de six mois) qui se traduirait par l'adoption d'un code des usages, prolongeant et confortant les 13 engagements, et l'instauration d'une rémunération minimale garantie aux artistes. Dans l'hypothèse où les producteurs refuseraient, la mise en place d'une gestion collective obligatoire devrait être envisagée".

Cela nécessiterait une loi. Mais reste à savoir si le gouvernement sera prêt à recourir à cette arme fatale. C'est ce qu'avait aussi recommandé le rapport Zelnik, mais le gouvernement précédent n'avait pas osé aller jusque là...

Jamal Henni