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Droit à polluer : la fraude à la TVA était trop tentante

Aline Robert a publié Carbone Connexion aux éditions Max Milo

Aline Robert a publié Carbone Connexion aux éditions Max Milo - -

Dans son livre Carbone Connexion, Aline Robert raconte l’incroyable simplicité de la fraude à la TVA sur le marché du carbone. Une escroquerie qui a coûté entre 10 et 20 milliards d’euros aux Etats européens. Et qui pourrait se reproduire sur d’autres secteurs.

"Le marché du CO2, le petit dernier de la place parisienne, a visiblement un gros problème: il est fermé. Ce qui n’arrive jamais (…) La TVA a été supprimée sur les quotas de CO2, ce qui limite visiblement... leur attrait. Supprimer un impôt parce qu'il est fraudé: en voilà une réaction étrange au premier abord" Aline Robert, qui fut journaliste à La Tribune, raconte, dans son livre Carbone Connexion paru le 13 septembre, l’histoire à peine croyable du plus gros casse du siècle: une gigantesque escroquerie à la TVA sur le marché du carbone. Un "braquage", selon ses propres termes, qui a coûté entre 10 et 20 milliards aux Etats européens dont 1,6 milliard pour la France.

Le principe d’une fraude à la TVA est vieux comme le monde. Un escroc crée une société fictive qui achète des biens hors taxes dans un pays (A). Puis il revend taxes comprises dans un autre pays (B). Au lieu de rembourser la TVA au pays où le bien est vendu (B), il la garde pour lui et fait disparaître sa société. Concernant le carbone, on achète, sur un marché financier, des "droits à polluer". Double aubaine pour les fraudeurs: le marché est ouvert à tous et le bien est dématérialisé, donc pas de problème de douanes (voir notre diaporama).

Le livre raconte notamment l'histoire vraie de Frédéric. Cet escroc bien réel, dont Aline Robert a simplement changé le nom, achète des quotas, hors taxe, à l'étranger. Une fois ses quotas achetés, il les revend sur le marché français spécialisé, Bluenext, filiale de la Caisse des dépôts et consignations, qui lui paie la TVA à 19,6%. Bluenext récupère, de son côté, la TVA auprès de l'État. Frédéric, lui, devrait la reverser au fisc... mais ne le fait pas.

Nous avons rencontré l'auteur de ce livre-enquête afin d'en savoir plus sur cette affaire. Interview.

BFM Business: La fraude à la TVA existe depuis toujours. Comment se fait-il que l’Etat ait mis autant de temps à réagir pour celle sur le carbone?

Aline Robert: La Taxe sur la Valeur Ajoutée a été créée en 1965 par un Français, Maurice Lauré. Dès le début, ce haut fonctionnaire a vu les possibilités de fraudes. C’est surtout dans les années 1990, avec la création de l’espace Schengen, que la fraude à la TVA voit le jour. La TVA est aujourd’hui la première ressource de l’Etat, et de loin. Mais c’est aussi la première source de fraude.

Dans le cas du carbone c’est l’incompétence et le cloisonnement des institutions qui ont permis aux fraudeurs d’en profiter aussi longtemps. La fraude a commencé en France début 2008. La Bourse du carbone, Bluenext, repère rapidement des bizarreries -on se demande notamment pourquoi c'est plus intéressant de vendre en France- et informe Bercy. Mais le ministère écarte vite le sujet, suspectant Bluenext d'avoir tout intérêt à mettre fin à la TVA, cette taxe ayant un coût pour la place du marché. Celle-ci avance, en effet, l’argent de la TVA, et pour faire face aux volumes doit même emprunter (voir nos photos).

Bluenext alerte alors officiellement Tracfin, la cellule du ministère des Finances qui traque les fraudes. Ce n'est qu'en avril 2009 que Tracfin saisit la justice. Une enquête va enfin être ouverte. Mais les fraudeurs ont encore le temps d’en profiter.

La Caisse des dépôts (CDC) envoie également des alertes, mais ne va pas plus loins... pourtant, toute personne qui possède un compte CO2 possède un compte à la CDC. La banque voit donc l’argent partir aux Seychelles, Panama, Hong Kong. Des pays qui n’ont rien à voir avec le marché européen du carbone.

Les institutions sont donc responsables de ce désastre ?

Il ne faut pas confondre. Les vrais coupables sont évidemment les escrocs. Il est donc normal qu’ils soient poursuivis. Mais les poursuites ne sont pas très efficaces : il s’avère impossible de récupérer l’argent.

Par exemple, un des intermédiaires s’appelle Consus. C’est une société polonaise qui a une filiale française (sans salarié). C’est cette dernière qui est concernée. Elle subit le plus gros redressement fiscal de l’histoire: 1,2 milliard d’euros. Le fisc tiendrait donc Consus responsable des trois quarts du total de la fraude en France. Ce n’est pas rationnel! Et quel intérêt de s’acharner autant sur une société qui ne pourrait jamais s’acquitter d’une somme pareille?

C’est donc surtout la surveillance de la gestion de la TVA qu’il faut accentuer. Il est inadmissible de voir l’argent des contribuables passer dans les poches des escrocs sans aucune réaction. La fraude à la TVA (tous secteurs confondus) est estimée à 100 milliards d’euros en Europe par an, 10 milliards en France. Ce sont des montants aberrants.

Quelles solutions pourraient donc être envisagées pour éviter qu’un tel scandale se reproduise?

La TVA est l’impôt régalien par excellence. Les Etats ne veulent pas d’harmonisation, ni d’application uniforme de cette taxe. Ce qui, pourtant, serait une bonne chose. Une des solutions est répressive. Il faudrait une super force de police européenne, sachant que cela coûterait cher. Et au niveau français, il faudrait s'intéressé au budget de la Justice qui est un des plus bas d’Europe.

Donc un autre "casse" du même genre serait possible?

Dans certains pays, notamment en Europe centrale (comme en Bulgarie), la fraude à la TVA est un sport national! La seule "bonne nouvelle", c’est qu’il n’y a pas (encore) de réseau ou de mafia vraiment bien organisée.

Cela dit, il existe plusieurs secteurs "dématérialisés" où des fraudes importantes seraient possibles. Notamment, les minutes téléphoniques ou le marché de l'électricité, du gaz.

De plus, les escrocs sont toujours là. Certains ont été inquiétés un temps par la police. Mais à peine quelques années de prison potentielles contre des millions gagnés rapidement… certains appellent ça les risques du métier.

Diane Lacaze