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Les mauvaises affaires du propriétaire de "Lui"

Le mensuel de charme a été relancé par Jean-Yves Le Fur, dont deux autres sociétés ont été liquidées à la demande de créanciers non payés

Le mensuel de charme a été relancé par Jean-Yves Le Fur, dont deux autres sociétés ont été liquidées à la demande de créanciers non payés - -

Jean-Yves Le Fur n'avait pas payé l'architecte et l'entrepreneur qui ont refait son appartement. Ces derniers ont saisi la justice. D'autres fournisseurs ont connu la même mésaventure. Enquête.

En septembre dernier, le célèbre magazine de charme Lui renaissait de ses cendres. Relancé par un trio composé de l'écrivain Frédéric Beigbeder, de la créatrice de mode Florence Dro, et de l'homme d'affaires Jean-Yves Le Fur, chacun détenant respectivement 10%, 20% et 70% du mensuel.

Mais, fin mars, l'AFP publie une dépêche rocambolesque: Lui doit prochainement être vendu aux enchères pour régler les dettes de Jean-Yves Le Fur.

Ancien fiancé de Stéphanie de Monaco

En effet, sept ans plus tôt, cet ancien fiancé de Stéphanie de Monaco fait faire des travaux dans l'appartement qu'il loue. Mais notre playboy mondain ne paye pas l'entrepreneur ni l'architecte, arguant que le chantier s'est achevé avec retard. Ces derniers portent alors plainte devant le tribunal de grande instance de Paris, qui, le 21 janvier 2011, condamne Jean-Yves Le Fur à payer un total de 78.937 euros.

Malgré le jugement du tribunal, l'entrepreneur et l'architecte ne sont pas payés. Ils envoient alors un huissier chez Lui en février-mars 2014 pour saisir les parts de Jean-Yves Le Fur.

Surtout, l'entrepreneur fait appel à un célèbre avocat, Me Vincent Toledano, qui a pour clients Julie Gayet, Marion Cotillard, Emmanuelle Béart... Ce ténor du barreau parisien contacte l'AFP pour raconter son histoire: "M. Le Fur a continué de ne pas honorer ses dettes, faute d'exécution du jugement, tandis que ses comptes bancaires saisis depuis trois ans par les huissiers présentaient tous un solde négatif", explique-t-il à l'agence.

Visiblement, la dépêche AFP produit son petit effet. Dès le lendemain, Jean-Yves Le Fur déclare: "j'ai réglé ce matin les 67.000 euros que je devais. Il n'y a donc plus d'affaire".

Un service audiotel avec TF1 et Bernard Arnault

Hélas, ce n'est pas la première fois que les fournisseurs de Jean-Yves Le Fur se plaignent d'impayés.

Le propriétaire de l'immeuble d'une autre de ses sociétés, En direct avec, s'est aussi plaint de ne pas être payé, chiffrant son ardoise à 370.000 euros.

Cette société était partie d'une autre idée de Jean-Yves Le Fur: lancer un service Audiotel permettant de discuter avec des célébrités ou des jockeys en appelant un numéro surtaxé.

En 2006, il convainc de prestigieux partenaires d'y investir: TF1 et Bernard Arnault, via sa holding Europatweb. La Une prend 13,3% du capital pour 4 millions d'euros, et Europatweb 10% pour 3 millions d'euros, le reste du capital étant détenu par Jean-Yves Le Fur. Cette levée de fonds valorise En direct avec à 30 millions d'euros.

En 2007, En direct avec s'offre des bureaux rue François 1er, dans le luxueux 8ème arrondissement de Paris. Mais visiblement, les résultats ne sont pas au rendez-vous. Dès fin 2007, TF1 déprécie cet investissement à zéro. L'activité s'arrête finalement mi-2012.

Quant au propriétaire de l'immeuble, il obtient un premier jugement du tribunal de grande instance de Paris, le 6 juillet 2009, puis demande le dépôt de bilan au tribunal de commerce de Paris. Celui-ci constate le 22 janvier 2014 qu'En direct avec "est manifestement dans l'impossibilité de faire face" à ses dettes, et prononce sa liquidation.

Un jet privé avec des top models

Une péripétie similaire est arrivée à une autre entreprise de Jean-Yves Le Fur, baptisée Avel Brao et spécialisée dans les vols en jet privé. Là encore, notre figure des nuits parisiennes convainc de grands noms d'être co-actionnaires: le patron de TF1 Patrick Le Lay, le designer australien Marc Newson, et le top model Karen Mulder, alors sa compagne.

La société est créée en 2008. Un Mystère Falcon 20 E-5 est acheté pour 5,1 millions d'euros. Le financement est assuré via une opération de crédit bail de ce montant conclu avec la société GCE Bail SA.

En mars 2009, l'affaire est valorisée 2,7 millions d'euros lorsque Jean-Yves Le Fur revend 45% du capital à son agence de publicité Made In K.

Un autre top model monte à bord

Mais les choses se gâtent. D'abord, ses partenaires se retirent: Patrick Le Lay au bout d'un mois, Karen Mulder au bout de deux ans, et Marc Newson au bout de trois ans. Notre jet-setteur convainc alors un autre top model, Claudia Galanti, de prendre la moitié du capital.

Surtout, Natixis Lease, qui a repris le crédit bail de l'avion, n'étant plus payé, porte plainte devant le tribunal de commerce de Paris. Pour se défendre, Jean-Yves Le Fur argue qu'il "serait un néophyte en transport aérien privé", et donc que "le montage financier mis en place constitue un dol dont M. Le Fur serait la victime au profit de Natixis Lease". Un argument rejetté par le tribunal, qui, le 31 mai 2013, condamne Avel Brao et Jean-Yves Le Fur à payer 2,2 millions d'euros à Natixis Lease, et lui à restituer le jet.

Jean-Yves Le Fur se brouille aussi avec la société qui assure la commercialisation des vols, Air Corporate SAS. Le différend porte sur les vols effectués par Avel Brao pour son propre compte. Il était prévu que ces vols soient payés par Avel Brao à Air Corporate. Cette dernière, n'étant pas payée, réclame 329.255 euros devant le tribunal de commerce. Une somme contestée par la société de Jean-Yves Le Fur. Finalement, le tribunal écarte certaines factures, mais condamne le 16 février 2012 Avel Brao à payer 217.935 euros.

Le jet d'Avel Brao
Le jet d'Avel Brao © -

Saisie infructueuse des comptes bancaires

Entre temps, Air Corporate dépose son bilan, puis est liquidée. "C'est le non paiement par Avel Brao de ses factures qui est à l'origine de la cessation de paiements d'Air Corporate", accuse le mandataire liquidateur.

A la suite de ces condamnations, les comptes bancaires d'Avel Brao sont saisis, mais cette saisie s'avère "infructueuse". Finalement, Air Corporate et Natexis Lease demandent au tribunal de déposer le bilan d'Avel Brao. Le 1er octobre 2013, le tribunal constate que Avel Brao "est manifestement dans l'impossibilité de faire face" à ses créanciers, et que "le dirigeant ne peut régler les dettes", et place donc Avel Brao en liquidation.

Contactés, les porte-paroles de TF1 et Bernard Arnault n'ont pas répondu, tandis que Patrick Le Lay s'est refusé à tout commentaire.

De son côté, Jean-Yves Le Fur indique, par l'intermédiare de son avocat: "Lui n'a jamais été mis aux enchères ni n'a risqué de l'être. Il suffisait de consulter à ce sujet le tribunal de commerce. Les sommes ont été payées. C'est une affaire d'ordre privé relative à des travaux livrés avec deux mois de retard qui ont engendré pour M. Le Fur d'engager des sommes importantes. Lui est un succès: il a été contrôlé par l'OJD sur les cinq premiers numéros à plus de 140.000 exemplaires vendus en moyenne par numéro".

Concernant En direct avec, Jean-Yves Le Fur indique que la société "a été arrêtée par ce que TF1 n'a pas joué son rôle d'actionnaire en s'abstenant de fournir du contenu comme cela avait été convenu à l'origine. C'est essentiellement un changement de stratégie de la nouvelle direction de TF1 qui est en cause. Pourtant, les tests effectués avec TF1 sur trois émissions démontraient que le business model était cohérent".

Quant aux loyers, "le propriétaire a refusé de mettre aux normes le chauffage et la climatisation dès l'entrée dans les lieux, de telle sorte que les conditions de travail pour les salariés étaient très inconfortables, comme l'a d'ailleurs confirmé l'inspection du travail".

Le titre de l'encadré ici

|||Premières expériences dans la presse

Jean-Yves Le Fur a déjà lancé trois magazines. En 1997, le féminin DS, dont la rédactrice en chef était Tina Kieffer, qu'il licenciera avec fracas en 1998.

En juin 1998, il lance un hebdomadaire, Télésport, qui mixe programmes télé et commentaires sportifs. Le rédacteur en chef en est Yannick Noah. Le projet s'arrête au bout de cinq numéros, après 1,45 million d'euros de dépenses.

Au printemps 1999, il lance le journal de mode Numéro.

A partir de 2000, il cède ses journaux à Alain Ayache. Mais les rapports entre les deux hommes se détériorent, et Alain Ayache licencie Jean-Yves Le Fur en mars 2002. Interrogé, Jean-Yves Le Fur assure qu'il "a arreté sa collaboration avec Alain Ayache pour un différent sur le contenu éditorial de DS. L'avenir de ce magazine lui aura donné raison".

Le groupe Ayache arrête DS en 2009, mais édite toujours Numéro.

Jamal Henni