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Comment Microsoft envoie ses bénéfices aux Bermudes

La filiale française de Microsoft a adopté le statut d'agent commissionné, ce qui lui permet de payer très peu d'impôts dans l'Hexagone

La filiale française de Microsoft a adopté le statut d'agent commissionné, ce qui lui permet de payer très peu d'impôts dans l'Hexagone - -

L'essentiel du chiffre d'affaires réalisé en France part en Irlande, puis aux Bermudes. Le même montage est utilisé pour les ventes dans le monde entier.

Quand il achète un produit Microsoft, le consommateur français pense sans doute que son argent finira aux Etats-Unis. Il n'imagine probablement pas qu'en réalité, cet argent, après un détour par l'Irlande, se retrouvera aux Bermudes.

Pour cela, l'éditeur de logiciels américain a mis en place depuis les années 90 un montage d'évasion fiscale complexe. Dans une première étape, l'argent doit d'abord échapper au fisc français. Pour cela, Microsoft a adopté dans l'Hexagone depuis 1994 le statut d'agent commissionné. En pratique, cela lui permet de déclarer au fisc français, non pas le chiffre d'affaires réalisé dans l'Hexagone, mais uniquement une commission sur les ventes réalisées.

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Rentabilité délibérément plombée

Concrètement, Microsoft France est l'agent commissionné d'une société irlandaise, Microsoft Ireland Operations Limited. C'est vers cette société irlandaise que remontent toutes les ventes en Europe, en Afrique et au Moyen Orient.

Cette société irlandaise indique dans ses comptes (disponibles ici) réaliser un chiffre d'affaires conséquent: 13,4 milliards d'euros sur l'exercice clos mi-2011. Mais elle est très peu rentable: seulement 4% de marge opérationnelle... Un chiffre surprenant pour un groupe aussi rentable que Microsoft, qui affiche une marge opérationnelle globale de 38%... Mais cette faible rentabilité permet à la société irlandaise de payer de fort modestes impôts au fisc local (76,5 millions d'euros).

Explication: sa rentabilité est délibérément plombée par d'importantes royalties payées pour l'utilisation des logiciels Microsoft. Selon une enquête du Sénat américain, ces royalties se sont élevés à 9 milliards de dollars en 2011.

Profits qui partent aux Bermudes

Précisément, ces royalties sont payés à une autre société irlandaise, Microsoft Ireland Research, qui elle-même achète le droit d'usage des logiciels. Etrangement, Microsoft Ireland Research achète ces droits très peu cher (2,8 milliards de dollars), et les revend trois fois plus cher, ce qui lui permet d'enregistrer des profits considérables (4,3 milliards de dollars).

Des profits qui partent aux Bermudes. En effet, Microsoft Ireland Research appartient à Round Island One, une société opérant en Irlande, mais qui bénéficie du régime fiscal des Bermudes.

Paradis fiscaux

Pareillement, les ventes dans les Amériques passent par une filiale basée à Puerto Rico, qui appartient à une filiale installée aux Bermudes. Le même montage a été mis en place pour les ventes en Asie.

Au final, les logiciels de Microsoft sont essentiellement développés aux Etats-Unis (qui représentent 85% du budget de R&D). Mais le droit d'utilisation des logiciels est ensuite transféré à l'étranger, et ensuite refacturé au prix fort. Ainsi, Microsoft Ireland Research paye 30% de la R&D du groupe, alors qu'en réalité, ses 391 salariés réalisent moins de 1% de la R&D du groupe... Selon le Sénat, ceci a permis de réduire de 2,43 milliards de dollars l'impôt qui aurait dû être payé aux Etats-Unis, "principalement" grâce aux filiales irlandaises.

Mais ce n'est pas tout. Une bonne partie du chiffre d'affaires réalisé aux Etats-Unis échappe aussi au fisc américain, ce qui a permis à Microsoft d'économiser 4,5 milliards de dollars d'impôts en trois ans, selon le Sénat.

Explication: quasiment la moitié (47%) des ventes aux Etats-Unis transitent fiscalement par Puerto Rico. Or l'île est aussi un paradis fiscal, qui bénéficie d'un taux ultra-réduit d'impôt sur les sociétés: environ 2% dans le cas de Microsoft, contre 35% pour le taux fédéral américain...

Jamal Henni