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Microsoft paye aussi peu d'impôts en France que Google

La filiale française basée à Issy-les-Moulineaux a fait l'objet de trois contrôles fiscaux en dix ans

La filiale française basée à Issy-les-Moulineaux a fait l'objet de trois contrôles fiscaux en dix ans - -

L'an dernier, l'américain a payé au fisc français seulement 22 millions d'euros d'impôts sur les bénéfices, alors que son chiffre d'affaires effectif dans l'Hexagone avoisine les 2 milliards d'euros.

L'évasion fiscale paraît facile pour une société comme Google ou Facebook, qui ne vend que de l'immatériel -de la publicité en ligne. Mais Microsoft, qui vend pourtant du logiciel, du hardware (Xbox) et des services, verse tout aussi peu d'argent au fisc français !

Sur l'exercice clos mi-2011, sa filiale française n'a payé que 21,7 millions d'euros d'impôts. Une somme ridicule comparée au chiffre d'affaires réalisé par l'américain en France, estimé entre 1,7 et 2,5 milliards d'euros (cf. ci-dessous).

Explication: Microsoft ne déclare en France qu'une fraction de ses revenus, donc de ses bénéfices. Si l'éditeur américain déclarait au fisc français tout le chiffre d'affaires effectivement réalisé dans l'Hexagone, il paierait alors entre 180 et 255 millions d'euros d'impôts sur les sociétés.

Un détour par l'Irlande, Singapour ou Puerto Rico

Comment fait donc l'inventeur de Windows pour payer si peu d'impôts? La filiale française utilise depuis 1994 le statut d'agent commissionné. Lorsqu'un produit Microsoft est vendu en France, la filiale française ne comptabilise pas le prix de vente du produit, mais uniquement une commission, qui est une fraction de ce prix de vente. En pratique, 84% du chiffre d'affaires déclaré en France est constitué de ces commissions (le reste étant apporté par de la prestation de services).

En pratique, c'est la filiale irlandaise, Microsoft Ireland Operations Limited (MIOL), qui enregistre les revenus pour l'Europe, le Moyen Orient et l'Afrique. Et c'est avec cette filiale irlandaise que les quelque 30 000 clients français signent leurs contrats.

Le choix de l'Irlande a été effectué pour des raisons fiscales: elle offre le taux d'impôt sur les sociétés (12,5%) le plus bas d'Europe. Le reste des revenus hors Etats-Unis est facturé depuis Singapour ou Puerto Rico, qui offrent aussi des taux d'impositions moins élevés que les Etats-Unis (35%). Résultat: les activités hors des Etats-Unis représentent la moitié des revenus, plus des deux tiers des profits avant impôts, mais seulement un tiers des impôts payés. Ce qui permet de réduire l'addition versée au fisc à seulement 24% des bénéfices.

Le cadeau de George W. Bush

Néanmoins, Microsoft est confronté au même problème que Google et moult autres entreprises américaines : rapatrier ses profits aux Etats-Unis. En effet, à ce moment-là, le fisc américain réclame son dû (35% des bénéfices). Microsoft préfère donc laisser dormir à l'étranger les profits réalisés à l'étranger. Ainsi, à mi-2012, 61 milliards de dollars, se sont entassés hors des Etats-Unis, soit la quasi-totalité de sa trésorerie (63 milliards).

Heureusement, en 2005, le président George W. Bush avait autorisé le rapatriement de profits réalisés à l'étranger en les taxant à seulement 5%... A cette occasion, Microsoft avait rapatrié 780 millions de dollars. Mais cette largesse avait suscité la polémique, et l'administration Obama a refusé de la réitérer.

Trois contrôles fiscaux en dix ans

Face à cette situation, le fisc hexagonal multiplie les contrôles dans la filiale française: il y en a eu trois en dix ans, qui ont passé à la loupe les comptes de quasiment chaque exercice depuis 1995. Le contrôle le plus récent et spectaculaire a donné lieu à un raid le 28 juin dernier au siège d'Issy-les-Moulineaux. Le 4 juillet, Le Canard Enchaîné détaillait les soupçpons du fisc: la filiale française facturerait depuis l'Irlande ou les Etats-Unis un chiffre d'affaires qui aurait dû être déclaré en France. Apparemment, il s'agirait d'activités ne rentrant pas dans le champ de l'agent commissionné -sans doute des activités de services. Microsoft s'est défendu de toute fraude dans un communiqué.

Toutefois, malgré ces contrôles à répétition, le fisc français n'a jamais réussi à trouver grand chose. Essentiellement, car le statut d'agent commissionné est tout à fait légal. Le fisc s'est donc contenté de remettre en cause le niveau des commissions versés à la maison-mère. En particulier, quand Microsoft a décidé de diminuer ces commissions au 1er janvier 1999. Alors que la filiale versait jusqu'alors 25% du prix de vente, elle a décidé de verser moins d'argent, jusqu'à 18% du prix de vente. Un niveau trop faible, selon le fisc, qui a produit une étude démontrant que le taux était de 32% pour des sociétés comparables ou similaires. Selon lui, "cette rémunération insuffisante constituait un transfert de bénéfices". D'autant plus que Microsoft détient "une situation monopolistique sur le marché des logiciels et des systèmes d'exploitation".

Résultat: le fisc avait alors notifié un redressement de 20 millions d'euros. Las! Microsoft a fait appel, et le tribunal administratif de Versailles lui a donné raison en novembre 2009, comme la cour administrative d'appel, en février 2012. Bercy, qui ne s'est pas pourvu en cassation, a donc dû rembourser à l'américain les 20 millions d'euros... augmentés de 4 millions d'euros d'intérêts!

Une aumône versée à l'Inria

Quant aux autres contrôles fiscaux, ils n'ont abouti qu'à des redressements mineurs: 355 540 euros sur des charges non déductibles (frais d'études, primes aux salariés...) entre 2000 et 2001. Ou encore 1,1 million d'euros sur la taxe professionnelle entre 2002 et 2004 (la société a déposé un recours gracieux).

Pour se défendre, Microsoft met bien sûr en avant sa contribution à l'économie française, notamment ses 1 400 salariés. Le groupe souligne aussi verser depuis 4 ans à un laboratoire commun avec l'Inria la somme colossale de... 1,25 million d'euros par an. Il ajoute aussi n'avoir jamais abusé du crédit impôt-recherche, déposant en 2011 une première demande de seulement 540 000 euros pour ce laboratoire commun. En revanche, la filiale française utilise les réductions d'impôt au titre du mécénat...

Jamal Henni