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Miren de Lorgeril: "Pourquoi j’ai osé adopter le .wine pour mon vignoble"

Pour Miren de Lorgeril, le vin n’est plus une propriété de la culture française. C’est un produit d’art de vivre sur l’ensemble de la planète.

Pour Miren de Lorgeril, le vin n’est plus une propriété de la culture française. C’est un produit d’art de vivre sur l’ensemble de la planète. - Groupe Lorgeril

"Le .Wine (point wine ou vin) vient d’arriver en France. La maison de Lorgeril, créée en 1620, est le premier vignoble français à adopter ce nom de domaine Internet qui a créé la polémique entre la France et les États-Unis. Entretien avec Miren de Lorgeril, présidente du groupe."

Si le vin est avant tout une affaire de terroir, c’est devenu aujourd’hui un business mondial. Pour se faire reconnaître dans le monde entier, Miren de Lorgeril, présidente du groupe Lorgeril a opté pour un nom de domaine mondial: le .wine, qui existe aussi dans sa version francophone avec .vin.

Cette extension a fait couler beaucoup d’encre lorsque le groupe Donuts l’a acquise aux enchères auprès de l’Icann, l’organisme américain chargé de gérer les noms de domaine Internet sur l’ensemble du globe. En France, beaucoup ont réagi, Axelle Lemaire, secrétaire d’État au numérique, en tête, en avançant que cette mainmise pouvait durement pénaliser les producteurs français.

Miren de Lorgeril ne soutient pas cet argument. Elle nous a expliqué les raisons qui l’ont poussée à oser le .wine. Basé dans l’ouest du Languedoc, son domaine, le château de Pennautier, représente 600 hectares, 6 domaines et 9 appellations. Le groupe réalise 50% de ses ventes en France et 50% à l’exportation (USA, Europe, Asie). En 2015, 2,8 millions de bouteilles ont été produites.

Vous êtes la première maison de vins en France à adopter un nom de domaine en ".wine" en signant avec une multinationale américaine. Pour beaucoup de vos confrères, cela pose problème. Visiblement, pour vous, ce n'en est pas un?

Absolument pas, bien au contraire. On ne peut pas uniquement compter sur les cadres législatifs internationaux pour nous défendre dans une compétition qui est mondiale. Sur la question d’avoir un intermédiaire, ça ne pose pas de problème. Donuts, propriétaire du .wine, est une grande entreprise qui a un cadre clair. On ne pourrait pas avoir un relais durable avec un intermédiaire, s’il n’a pas pignon sur rue avec une présence internationale. Cette dimension est une garantie, même si dans notre activité, nous sommes habitués aux risques et aux imprévus. D’autant que nous avons des intérêts convergents. Donuts a intérêt à ce que nous soyons contents, et nous avons intérêt que Donuts fonctionne bien. Nous sommes dans le même bateau et s’il y a tempête, nous sommes ensemble. Je doute fortement de la manière dont les états peuvent nous protéger.

Était-ce vraiment indispensable pour un domaine français de prendre un nom de domaine en .wine?

Non, rien ne nous y obligeait, mais mieux vaut le faire. C’est une façon de protéger notre marque sur l’ensemble du globe. Nous avons acheté le nom avant qu’un autre le dépose avant nous à notre place. Mais ensuite, nous nous sommes rendu compte que cette simple garantie pouvait devenir un atout. C’est un élément supplémentaire pour faire savoir qui nous sommes. Le vin a désormais une visibilité mondiale. Que l’on soit petit, moyen ou grand vigneron, par la taille de l’exploitation ou la qualité des produits, nous avons tous besoin de trouver des consommateurs au bout du monde. Ce peut être un amateur très éclairé à Hong Kong ou New York, ou une masse de clients avec la grande distribution. Sur Internet, nous sommes désormais identifiés comme des professionnels sans avoir à le préciser. Pour rester en .com, il faut avoir une marque très forte mondialement. Tout le monde sait que Château Laffitte, Château d'Yquem ou Petrus sont des grands noms du vin. Dans notre cas, il était très important d’être identifié immédiatement. Le .wine est une manière de rappeler qui nous sommes en un coup d’oeil.

C’est une stratégie internationale que nous ne pouvez vous permettre d’éviter tant la concurrence est dure dans votre métier.

C’est vrai que le vin est entré dans une compétition mondiale, mais ce n'est pas une défaite. Pour la France, c’est une victoire mondiale. Il y a moins d’un siècle, le vin était un produit latin dont la consommation était limitée géographiquement. On en consommait surtout dans les pays méditerranéens et un peu chez les Anglo-saxons. Nous étions sur un marché limité à l’Europe. Depuis, la consommation s’est mondialisée et pour moi c’est une victoire mondiale. La production américaine a développé la consommation aux États-Unis, idem pour la Chine et l’Argentine. C’est ainsi que nous avons gagné un nombre phénoménal d’amateurs de vins. On peut le voir comme un gâteau dont les parts se réduisent peu à peu. Mais cette globalisation est un atout. C’est une chance inouïe. On peut voir le verre à moitié vide, je préfère que le mien soit à moitié plein. Je développe l’entreprise depuis 20 ans et franchement, la période que nous vivons est passionnante. Nous avons découvert qu’aux quatre coins du monde, il y a des consommateurs passionnés par nos produits.

Ce que vous dites est aux antipodes de la polémique sur l’achat du .vin (.wine) par un grand groupe américain qui n’est pas un spécialiste du secteur.

J’ai suivi l’affaire et je pense que la France est définitivement jacobine. On a toujours tendance à penser que l’État français fera mieux que quiconque. C’est parfois vrai. L’État est garant de nos intérêts et de la défense de nos savoir-faire. Mais aujourd’hui tout le monde peut s’approprier le vin. Ce n’est pas une propriété de la culture française. C’est devenu un produit d’art de vivre sur l’ensemble de la planète. Et c’est ce qui a stimulé les producteurs français. Il y a dix ans, on ne servait pas de grands vins au verre dans les bars et les restaurants alors que ce mode de consommation était courant aux États-Unis ou en Grande-Bretagne. Le vin est devenu un produit que l’on déguste. Il n’y a pas si longtemps, en France, le vin était un produit alimentaire qui entrait dans le panier de la ménagère des statistiques de l’Insee. Aujourd'hui, c'est devenu un produit difficile parce que sa promotion est injustement considérée comme de l'incitation à consommer de l'alcool.

Avec une adresse internet en .wine, pensez-vous que vous allez augmenter vos ventes internationales?

Non, je ne pense pas qu’un élément simple de communication fasse augmenter les ventes. Pour cela, nous jouons sur la qualité de l’image du produit et la qualité de notre travail. Mais tout va ensemble. C’est une démarche cohérente. Nous avons besoin que Lorgeril soit clairement identifié comme un élément du monde du vin. Nous n’attendons aucun miracle de cette démarche. Nous l’avons adoptée parce qu’elle est simple et efficace.

Pascal Samama
https://twitter.com/PascalSamama Pascal Samama Journaliste BFM Éco