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Mission Impossible, Vernon Subutex… comment l’Île-de-France soutient la création audiovisuelle

Tom Cruise dans Mission Impossible: Fallout

Tom Cruise dans Mission Impossible: Fallout - Copyright 2018 Paramount Pictures. All rights reserved.

Avec un budget historique de 20,5 millions d’euros en 2017, l’aide apportée aux films, séries et documentaires tournés dans la région a augmenté de 20% en deux ans.

Malgré la surproduction, la création audiovisuelle n’a jamais été aussi soutenue en Île-de-France (IDF). Avec un budget historique de 20,5 millions d’euros en 2017, l’aide apportée aux films, séries et documentaires tournés dans la région a augmenté de 20% en deux ans. En tout, 27 fictions, 5 films d’animation et 14 documentaires ont pu compter sur le soutien de l’IDF. Et plus de la moitié des tournages organisés en France ont lieu dans la petite et la grande couronne.

Cette politique volontariste, saluée par le milieu, est une "priorité", selon Agnès Evren, vice-présidente de la région en charge de la culture et du patrimoine: "Investir dans le cinéma, c’est investir dans un secteur clef de l’attractivité économique et du rayonnement culturel de la région", insiste-t-elle. Aujourd’hui, le secteur cinématographique emploie plus de 140.000 personnes. "Un euro investi dans ce secteur, c’est 16 euros de rentabilité pour le territoire francilien", déclare l’élue.

"C’est une sorte de crédit d’impôt déguisé: une incitation à générer de l’économie en IDF. Ça aide des films à se faire, à dépenser de l’argent en IDF, à créer des compétences et à faire travailler les industries du cinéma en IDF", indique de son côté Nicolas Altmayer, producteur avec son frère Eric de L’Empereur de Paris, ambitieux film historique sur Vidocq qui a reçu le soutien de l’IDF.

L'Empereur de Paris
L'Empereur de Paris © Mandarin Production / Gaumont

Des bonus sur les effet visuels, les décors et les costumes

Afin de "devenir la première région européenne en matière d’aides", l’IDF soutient les œuvres à gros budget (au-delà de 6 millions d’euros), mais aussi les premiers et seconds films. Pour renforcer l’attractivité de son offre, la région a réformé en janvier 2017 ses aides, qui peuvent désormais aller jusqu’à 700.000 euros.

"Comme on voulait accompagner les tournages de films français et étrangers à fort impact économique, on a proposé des bonifications pour tous les dépenses dans des technologies innovantes, comme la réalité virtuelle ou les effets visuels, ou pour la fabrication exceptionnelle de décors ou de costumes. Ces bonus vont de 50 à 100.000. Aujourd’hui, on est de très loin le fond de soutien qui donne les plus gros montants de subvention", s’enthousiasme Agnès Evren.

Conjuguée à la refonte du crédit d’impôts, sous l’impulsion de Luc Besson, cette réforme a permis la relocalisation de nombreuses productions sur le territoire francilien. Parmi elles: Un Peuple et son roi de Pierre Schoeller et Au revoir là-haut d’Albert Dupontel. "Il serait allé le tourner en Belgique sans le bonus sur les effets visuels", dit Agnès Evren à propos de cette coûteuse adaptation du roman de Pierre Lemaître, qui a valu à Dupontel le César du meilleur réalisateur.

Un quartier de Paris reconstruit à Brétigny

Elle poursuit: "La concurrence est féroce aujourd’hui. L’idée est de s’adapter aux nouvelles dynamiques, de permettre de réaliser en IDF des effets visuels de très gros films qui se seraient faits en Belgique ou au Canada - et d’accompagner les nouvelles filières comme l’animation". C’est le cas du très attendu Astérix et le secret de la potion magique de Louis Clichy et d’Alexandre Astier, conçu dans les studios Mikros Image à Issy-les-Moulineaux.

Doté d’un budget de 22 millions d’euros et porté par Vincent Cassel, L’Empereur de Paris a pu bénéficier de bonus pour la conception de costumes (pour 65 rôles, 100 silhouettes et 1000 figurants) et de décors exceptionnels. Au lieu de se rendre en Hongrie ou en Tchécoslovaquie, Nicolas Altmayer a opté pour, une fois le crédit d’impôt déplafonné, un tournage à Vaux-le-Vicomte et à Fontainebleau, ainsi que sur la base aérienne de Brétigny-sur-Orge, où a été bâti un quartier de Paris du début du XIXe siècle.

"On a construit plusieurs rues de Paris sous Napoléon en façade de bois. On a fait un studio à ciel ouvert, ce qui n’existe quasiment pas en France", précise le producteur, qui travaille désormais pour pérenniser ce lieu afin "qu’il reste dédié au cinéma et accueille de gros tournages qui ont besoin de studios extérieurs". Une idée qui séduit Agnès Evren.

Vincent Cassel dans L'Empereur de Paris
Vincent Cassel dans L'Empereur de Paris © Copyright Roger Arpajou / Mandarin Production / Gaumont

25 millions de dépenses pour Mission Impossible

Pour attribuer les aides, un comité d’élus et de professionnels se réunit tous les trois mois. Les critères sont simples: 50% du tournage doit avoir lieu dans la région et la production doit y effectuer 50% de dépenses. "La décision est souveraine: je n’interviens pas", soutient Agnès Evren. "Ils décident si ce film a un intérêt régional ou pas en terme d’attractivité et si cela a du sens pour la région de le soutenir ou pas."

Si Patients, premier film à succès de Grand Corps Malade et Mehdi Idir, a été soutenu, leur deuxième, toujours produit par Nicolas et Eric Altmayer, n’a pas eu cette chance. "C’est un comité, ce n’est pas contrôlable. Est-ce qu’ils ont été déçus? Je ne sais pas", s’interroge le producteur.

Certains projets ont aussi plus d’atouts. Mission Impossible: Fallout, avec Tom Cruise, avait de quoi séduire: la capitale y est filmée sous toutes les coutures, de la place de l’Étoile au Grand Palais en passant par l”avenue de l’Opéra. Lors de son passage à Paris, la production a dépensé plus de 25 millions de dollars et a embauché plus de 400 techniciens français.

"Une bonne analyse des problématiques de la série"

L’IDF n’accompagne pas que les acrobaties d’Ethan Hunt, mais aussi la révolution des séries, à travers des titres comme Dix pour cent, Versailles ou encore Le Bureau des légendes. Depuis la réforme, une même série peut être soutenue sur trois saisons pour faciliter son implantation dans le paysage audiovisuel français.

"C’est une grande évolution et une bonne analyse des problématiques de la série, de sa fabrication", loue Emmanuel Daucé, co-producteur avec Juliette Favreul et Estelle Sanson de Vernon Subutex, une adaptation du célèbre roman de Virginie Despentes. "L’enjeu du développement d’une industrie de la série en France devient un sujet de préoccupation pour tout le monde. J’ai l’impression que les régions, ces dernières années, a très largement aidé à la prendre en compte. A commencer par la région IDF, qui soutient traditionnellement l’audiovisuel".

Produite pour 8 millions d’euros, Vernon Subutex a reçu un apport de 300.000 de l’IDF. "Ce soutien est purement artistique. C’est un coup de pouce pour aller plus loin", confie Emmanuel Daucé. La série, qui raconte les déambulations de Vernon Subutex (Romain Duris) dans Paris, montre le personnage et la ville dans les années 1990 et 2010. La production a en effet recours à des effets numériques pour rajeunir le visage de l’acteur: "Ce sont des partis pris qui coûtent un peu cher et la région nous permet d’aller dans cette direction".

"La majorité des films qui se font n’ont pas l’aide"

L’aide de l’IDF n’est pas automatique et si de nombreux projets réussissent à se monter sans elle, ce n’est pas toujours le cas. Selon Emmanuel Daucé, l’aide de la région a garanti la viabilité de la série Irresponsable, très appréciée de la presse, mais produite pour OCS avec un petit budget, d’environ un million d’euros. "Sans l’aide de l’IDF, jamais cette série ne se serait faite", assure-t-il.

"Elle est une aide considérable lorsqu’on l’obtient, [mais] la majorité des films qui se font n’ont pas l’aide de l’IDF", précise Nicolas Altmayer. "Lorsqu’on ne l’a pas, on repense l’économie du film pour pouvoir s’en passer. Parfois on a l’avance sur recettes ou les Sofica. Donc ça compense". A chaque film son financement. D’autant que la générosité des aides de l’IDF ne guide évidemment pas les producteurs dans leur choix de projets.

Emmanuel Daucé développe avec le scénariste de BD Fabien Nury Paris Police 1900. Il espère compter une nouvelle fois sur le soutien de la région qui sera mise à l’honneur dans cette ambitieuse série policière: "Je n’ai pas encore envoyé le dossier à l’IDF, mais le jour où je l’enverrai, je croiserai les doigts!"

Jérôme Lachasse