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Comment Netflix conquiert l'Europe depuis le Luxembourg

Netflix Luxembourg est domicilié dans un immeuble de location de bureaux de Regus

Netflix Luxembourg est domicilié dans un immeuble de location de bureaux de Regus - -

Le site de vidéo-à-la-demande a lancé ses services dans 7 pays d'Europe sans ouvrir de filiale locale dans aucun de ces pays. Tout est piloté à distance depuis la Californie et le Luxembourg.

Les dirigeants de Netflix, après une première tournée française début décembre, ont à nouveau séjourné à Paris cette semaine. Ils auraient notamment rencontré des responsables du ministère de la Culture. On imagine que la discussion a porté sur l'oukaze lancé il y a deux semaines par Aurélie Filippetti: "s'il veut s'installer ici, Netflix doit se plier aux régulations qui font le succès de nos industries. Netflix ne doit pas être un passager clandestin qui profite sans abonder la création française".

Un oukaze immédiatement repris par les syndicats de producteurs de films (UPF, API, SPI), qui ont aussi exigé que Netflix créée une filiale en France.

Prendre ses désirs pour la réalité

Mais il est à craindre que la ministre de la Culture ne prenne ses désirs pour des réalités. En effet, tel n'est pas du tout le modèle utilisé jusqu'à présent par Netflix.

Le service de vidéo-à-la-demande (VOD) a déjà lancé son service dans sept pays d'Europe: Grande-Bretagne, Irlande, Pays-Bas et Scandinavie. A chaque fois, le californien n'a créé aucune filiale locale, à en croire les registres du commerce de ces sept pays. Et, selon plusieurs témoignages, les lancements ont été effectués en employant une poignée de prestataires externes, et non des salariés locaux en propre.

Résultat: la start-up échappe ainsi aux législations locales. Et elle ne déclare pas dans chacun de ces pays le chiffre d'affaires qu'elle y réalise.

"Parler français est un plus"

En pratique, le site de Netflix indique que, pour les clients européens, le service est fourni par une filiale baptisée Netflix Luxembourg SARL. Cette société a été créée en juillet 2011 et appartient à Netflix Inc, la maison-mère américaine, selon le registre du commerce luxembourgeois. Elle loue apparemment des bureaux dans un centre d'affaires: son adresse renvoie en effet vers un immeuble de Regus.

Initialement, il semble que les clients européens concluaient même un contrat directement avec le siège californien.

Mieux: une bonne partie des fonctions européennes sont assurées depuis le siège californien. On trouve ainsi sur le site une annonce pour un poste de directeur marketing pour l'Europe, mais basé en Californie...

Toutefois, la start-up prévoit visiblement d'installer aux Pays-Bas son futur siège opérationnel pour l'Europe. En effet, elle a posté plusieurs offres d'emploi pour des fonctions pan-européennes basées à Amsterdam, comme par exemple un chargé des relations avec la presse, capable de parler anglais, néerlandais et les différentes langues scandinaves. L'annonce ajoute que "parler allemand et français est un plus" pour décrocher le job, ce qui a relancé les spéculations sur une venue en France...

A noter que la même organisation a été mise en place pour l'Amérique latine, qui est intégralement couverte depuis un unique bureau au Brésil.

Réplique du modèle iTunes

Une telle organisation présente moult avantages pour Netflix. L'effectif est ainsi réduit au minimum. Et le californien bénéficie de la fiscalité allégée du Luxembourg.

Surtout, cela paraît tout à fait légal. Apple a adopté exactement la même organisation pour son service iTunes, qui vend des films et des chansons depuis une filiale au Luxembourg. La firme à la pomme est même moins vertueuse, car elle envoie ensuite ses profits dans un paradis fiscal, ce que ne fait pas Netflix.

Surtout, Apple utilise ce schéma depuis dix ans sans jamais avoir été inquiétée. Mieux: les producteurs français (ceux-là même qui enjoignent Netflix de créer une filiale en France...) vendent leurs films à iTunes Luxembourg sans aucun état d'âme. De même, les sociétés d'auteur (SACD, Sacem...) ont aussi conclu des accords sur leurs versement de leurs droits avec iTunes Luxembourg.

Ne pas créer de problèmes politiques

Seule concession effectuée par Apple: le service en français d'iTunes, bien que non soumis à la réglementation française, respecte quand même les délais en vigueur dans l'Hexagone. En clair, un film est disponible à la même date sur iTunes et sur les services de vidéo-à-la-demande immatriculés en France. "Apple respecte ces délais, non pas à la demande des producteurs, mais spontanément, car Apple tient visiblement à ne pas créer trop de problèmes politiques", explique-t-on chez une major.

Interrogé, Netflix répond posséder "une petite équipe européenne", mais refuse d'indiquer son nombre de salariés. Rappelons que le californien n'a toujours pas confirmé un lancement en France. Il se borne à annoncer "une expansion substantielle en Europe fin 2014". Selon le Soir, il se lancerait d'abord en Belgique en mai.

Le titre de l'encadré ici

|||L'expansion internationale de Netflix

Septembre 2010: Canada
Septembre 2011: Amérique latine
Janvier 2012: Grande-Bretagne et Irlande
Octobre 2012: Scandinavie
Septembre 2013: Pays-Bas

Le titre de l'encadré ici

|||Près de 2,5 millions de clients en Europe

Dans ses comptes, Netflix indique qu'en 2013, les activités hors des Etats-Unis ont perdu 274 millions de dollars sur un chiffre d'affaires de 712 millions de dollars (x2,5). A fin décembre, le site comptait 10,9 millions de clients hors des Etats-Unis, dont 9,7 millions abonnés payants. Soit donc une facture moyenne de 7,6 dollars par abonné et par mois. La grande majorité de ces clients sont au Canada, où Netflix compterait 5,8 millions de clients selon un sondage récent.

En revanche, Netflix ne donne pas de chiffres sur ses activités européennes. Les comptes de Netflix Luxembourg sont succints, et indiquent seulement qu'en 2012, cette filiale a acheté pour 320 millions d'euros de droits audiovisuels, et généré 1,5 million de profit.

Jamal Henni