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Nicolas Sekkaki (IBM France) : « On va faire voler la baleine ! » 

Pur "produit IBM", Nicolas Sekkaki dirige la filiale française depuis l'été 2015.

Pur "produit IBM", Nicolas Sekkaki dirige la filiale française depuis l'été 2015. - Pierre Fleischmann

Après des années difficiles, IBM France a renoué avec la croissance. Aux commandes depuis un peu plus de trois ans, Nicolas Sekkaki impose sa marque, entre humilité et efficacité. Portrait.

Ce patron est capable de se balader déguisé en lapin au siège de son entreprise. En gros lapin gris. L’an dernier, pour Pâques, totalement incognito, il a déambulé avec des collègues dans les couloirs d’IBM pour distribuer des dizaines de kilos de chocolat. Il se rappelle, réjoui, de cette toute nouvelle collaboratrice, éberluée, soufflant sur son passage un « j’adore cette boîte ». Comme les autres, elle ne savait pas qu’il s’agissait de Nicolas Sekkaki.

Le patron d’IBM a les yeux qui sourient. A 52 ans, ce père de deux grandes filles, qui a fait quasiment toute sa carrière dans le même groupe, est arrivé à un point où il se permet d’être lui-même. Et dire qu’au tout début, la psychologue d’IBM s’était opposée à son embauche parce qu’elle le trouvait « tendre et idéaliste »…

Petit, Nicolas Sekkaki était passionné par les avions. Il voulait faire de la voltige, être pilote de chasse, avant de comprendre que cela impliquait de faire la guerre. Elevé à Casablanca, par un père marocain et une mère normande, tous deux ingénieurs, il codait tout seul chez lui à 16 ans. Son bac en poche, il est parti faire une prépa à Henri IV, à Paris et il a été reçu à Supaero, à Toulouse. Et alors qu’il avait tout préparé pour réaliser un de ses rêves, faire un MBA aux Etats-Unis, il a décidé de tout plaquer pour aller chez IBM, après avoir rencontré un des dirigeants du groupe dans le cadre de sa junior entreprise. Nicolas Sekkaki a commencé chez « Big Blue » comme commercial dans le secteur spatial. Vingt-sept ans après, il a occupé une dizaine de postes, à Toulouse, Montpellier, Paris, White Plains, aux Etats-Unis, et à Londres. « J’ai l’impression d’avoir fait 25 boîtes différentes », raconte-t-il. Il y a eu une seule parenthèse, en 2010, quand il est parti chez le spécialiste des logiciels SAP. Il était alors frustré de n’avoir pas réussi à mettre en œuvre un projet chez IBM et il a saisi l’offre qui lui était alors proposée. Mais au bout de deux ans, IBM a trouvé les arguments pour le faire revenir en lui confiant la direction des activités hardware pour l’Europe, à Madrid.

Pur « produit IBM »

Nicolas Sekkaki se définit lui-même comme un « produit IBM », qui est en phase avec les valeurs de l’entreprise. Il aime par exemple qu’elle « ne nomme pas les gens parce qu’ils savent faire un boulot mais parce qu’ils ont le potentiel de le faire », la palette des métiers possibles et le rapport avec la clientèle. « Il est très technique », décrit Xavier Vasques, son ancien directeur de cabinet, qui dirige désormais le centre mondial d’IBM à Montpellier. Il précise : « Les PDG n’ont pas forcément une expertise technique. Nicolas Sekkaki, c’est un geek, un passionné de technologie, à qui il est même arrivé de débloquer mon ordinateur ! »

Pendant un an et demi, Xavier Vasques a passé quasiment 24 heures sur 24 avec le président d’IBM France et il ne tarit pas d’éloges. Il décrit un homme « visionnaire » et « exigeant », un homme de combats avec « une énergie dingue ». Nicolas Sekkaki est notamment très investi dans la promotion de la diversité, la reconnaissance des femmes, et l’inclusion. « Quand on y croit, on peut démultiplier les forces », résume Xavier Vasques, qui insiste sur la vraie dimension « sociale » de son patron, avec une réelle attention au bien-être de ses collaborateurs. Il n’en revient toujours pas, d’ailleurs, de la petite virée déguisée dans les couloirs d’IBM (lui aussi était en lapin).

« L’alliance du QI et du QE »

D’un naturel timide, Nicolas Sekkaki a dû souvent « sortir de sa zone de confort » lors de sa carrière, notamment quand il a fallu prendre la parole devant des centaines de personnes. Xavier Vasques souligne le côté particulièrement humble d’un patron « qui a même parfois été tenté d’enlever son nom pour en mettre d’autres à la place ». « J’ai toujours des doutes », assure Nicolas Sekkaki, qui explique avoir été formé par ses clients et « aiguillé » dans sa vie, par plein de gens. Parmi eux, Myriam Maestroni, patronne de la société Economie d’Energie, dont il a préfacé un ouvrage il y a dix ans. Au début de ce livre, qui s’intitule Intelligence émotionnelle, services et croissance (éditions Maxima), Nicolas Sekkaki explique comme il est important de « remettre l’humain et l’émotion au centre des préoccupations pour permettre un développement durable de l’entreprise au plus grand bénéfice des clients et des collaborateurs ».

Pour Myriam Maestroni, le président d’IBM France, c’est « l’alliance du QI et du QE (quotient émotionnel), qui fait l’étoffe des grands patrons et des leaders ». Les doutes dont il parle, c’est d’ailleurs ce qui fait, selon elle, la différence. La patronne d’Economie d’Energie cite une étude de l’américain Jim Collins qui a défini cinq niveaux de leadership : le leader de niveau cinq est humble et en même temps très ambitieux pour son entreprise.

Ces dernières années, l’histoire d’IBM France a été marquée par plusieurs plans sociaux. Nicolas Sekkaki évoque « un échec collectif sur les compétences et la transformation des individus ». Oui, c’est « compliqué humainement », mais « il faut faire ce qu’il y a à faire. On ne peut pas partager la richesse si on n’en crée pas ».

Dans un secteur compliqué, où l’on invente les métiers de demain, il insiste sur la nécessaire « responsabilisation » de chacun. Fan de Star Wars depuis toujours (dans son bureau trônent notamment une grande figurine de Dark Vador et des boutons de manchette à son effigie), il dresse des ponts entre la science-fiction et la réalité : « Tout est un choix dans la vie, vous avez le choix de quel côté de la force vous voulez être », résume-t-il. Concrètement, il considère que chacun est maître de savoir s’il veut ou non relever les nouveaux défis du groupe. « À un moment donné, pense-t-il, chacun fait son choix, je n’ai pas de schizophrénie là-dessus ».

« Mon objectif, c’est qu’IBM soit successful »

Gros travailleur, Nicolas Sekkaki aime ceux qui sont prêts à prendre des risques. Fidèle à ce que lui a appris sa grand-mère, qui a visiblement beaucoup compté pour lui, il estime qu’« il n’y a que ceux qui ne font pas la vaisselle qui ne la cassent pas ». Après plusieurs années difficiles, IBM va mieux. « On a renoué avec la croissance », se réjouit Nicolas Sekkaki, qui a annoncé au printemps la création de 1800 emplois en France dans les deux ans.

« Mon objectif au-delà de tout, c’est qu’IBM soit successful », déclare le dirigeant. Ainsi, au troisième trimestre, pour bien faire comprendre ses ambitions à ses collaborateurs, il a choisi de prendre l’image d’une baleine. Il raconte : « Je leur ai dit, on va faire de la croissance, on va faire sortir la baleine de l’eau, on va la faire voler… et on a fait cinq trimestre consécutifs de croissance » ! Une belle baleine bleue est accrochée au mur, au-dessus de son bureau. Histoire d’avoir toujours en tête ses objectifs. Et comme un pied de nez à la psychologue qui a décrété un jour qu’il valait mieux ne pas embaucher Nicolas Sekkaki, parce qu’il était « tendre et idéaliste ».

Pauline Tattevin