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Olivier Derrien (Salesforce France) : « Si les collaborateurs vont bien, les clients vont bien »

Le patron de Salesforce France est convaincu que les entreprises ont un rôle à jouer pour transformer la société.

Le patron de Salesforce France est convaincu que les entreprises ont un rôle à jouer pour transformer la société. - -

Pour la deuxième année de suite, Salesforce France, spécialiste des logiciels de gestion de la relation clients est nommée Best Workplaces France dans la catégorie 500 à 5000 salariés*. Aux manettes, il y a Olivier Derrien, un patron charismatique, atypique, qui parle vite. Portrait.

Est-ce sa façon à lui de planter le décor et d’instaurer d’entrée un climat détendu ? Un moyen de reculer le moment où il va devoir parler de lui ? Un peu tout ça à la fois ? En préambule, en tous cas, Olivier Derrien démarre au quart de tour et nous noie dans un flot de paroles. Avec humour, il nous explique comment, quand Salesforce s’est installé dans ses magnifiques locaux au bord du Champs de Mars, il a dû batailler avec « les américains » pour obtenir le bureau avec vue sur la Tour Eiffel, où ils avaient prévu d’installer… les photocopieurs. Il parle avec passion de l’importance d’avoir des valeurs, de sincérité, de confiance, d’équilibre et de satisfaction client… Il enchaîne, digresse et s’arrête : « Là, on est en train, en très peu de temps, de toucher énormément de sujets clefs ». En effet. On sourit, il poursuit.

Il raconte que récemment, il a demandé à l’un de ses proches s’il pouvait utiliser le terme « harmonie », pour se définir. « L’harmonie, toi ? Mais c’est le chaos ! », lui a répondu cet ami. Il rit de bon coeur. « Mon objectif, précise Olivier Derrien, c’est que de la diversité naisse l’harmonie », parce qu’il en est persuadé : l’harmonie crée de la performance. « Si les collaborateurs vont bien, les clients vont bien », et cela se traduit dans les résultats. Il prédit d’ailleurs qu’à l’avenir, cela va se jouer « entre les sociétés sincères et les moins sincères » et il s’attend « à ce que des géants disparaissent dans les dix ans et que des inconnus émergent ».

Straight to the point

Derrière le flot de paroles et cet apparent chaos, le patron de Salesforce sait parfaitement où il va, quitte à prendre des mesures radicales. Comme quand il a été nommé pour prendre les rênes de la société en Europe, et en particulier en France. « Je me suis vite rendu compte qu’il y avait un paquet de fous-furieux au comité de direction, se rappelle-t-il. C’était des mercenaires ! Les clients s’en plaignaient. (…) Alors, en trois mois, j’ai sorti 60% des gens. La moitié d’entre eux sont partis tout seuls, quand j’ai exposé les règles de comportement normal : que ceux qui sont obsédés par leurs droits doivent aussi comprendre leurs devoirs ».

À son arrivée, aussi, Olivier Derrien a innové en annonçant un plan sur plusieurs années: le plan « 40-10 », pour 40% de croissance sur dix ans. « Au début, ils m’ont tous pris pour un fou », sourit le dirigeant. Mais depuis, Salesforce France progresse à un rythme soutenu, à l’image du groupe américain, qui croit de 25% par an et dépasse les dix milliards d’euros de chiffre d’affaires : « C’est le marathon à la vitesse de Spiderman », résume t-il.

Cela va vite, mais « il est clairement dans son élément », confirme Guillaume Tourres, directeur de la communication du groupe. « Olivier Derrien va straight to the point, comme les américains ». « Il a une énergie qui m’inspire beaucoup, explique Maxime Laugier, directeur commercial grands comptes, qui travaille avec lui depuis de nombreuses années. C’est quelqu’un de valeurs, qui est très exigeant avec lui et avec les autres. J’ai un avis qui est sûrement biaisé parce que je le connais depuis longtemps, mais force est de constater que ce qu’il a fait fonctionne ! »

« Anti-toxique »

« On a envie de le suivre », ajoute Véronique Marimon, Employee success (DRH), chez Salesforce. Elle décrit « un patron authentique et vrai », qui s’applique à lui-même ce qu’il dit : « Quand il parle d’égalité homme-femmes, par exemple, ce n’est pas un discours pour faire bien, il l’a expérimenté. » Ainsi, Olivier Derrien a imposé des femmes au comité de direction. Il pratique aussi le « reverse mentoring », avec une jeune salariée, qu’il a fait entrer dans ce comité de direction. Une fois par mois, elle le coache. « Il est très humain », décrit Manon Bouchard, emballée par cette expérience et par l’humilité de son patron, qui « traite tout le monde d’égal à égal ». Pour Guillaume Tourres, Olivier Derrien est « anti-toxique ».

À 56 ans, après plus de trente ans dans le secteur informatique, lui tâche de garder un esprit de débutant - un « beginners mind » - pour coller à l’ADN de Salesforce, qu’il définit comme étant « la plus grande start-up du monde ». Avant d’arriver dans le groupe de Marc Benioff fin 2010, il est passé chez IBM, Cognos, Business Objects, Oracle et Digital Equipment Corp. Il a travaillé à Paris et à Londres.

Marié, père de trois enfants, il estime qu’il a « une dette » envers sa femme, avocate, pour le rythme imposé. Ses semaines de travail sont chargées (il quitte sa maison des Hauts-de-Seine à 7h15 et il repart du bureau entre 20h et 21h), il voyage, - il part notamment cinq fois par an aux Etats-Unis - mais il consacre ses week-ends à sa famille et à ses amis. « Il m’a fallu quatre ans pour faire comprendre à mes patrons que je ne répondrai pas aux mails le week-end, raconte t-il. J’ai failli me faire virer pour ça » !

« The unfrench french »

À son rythme, Olivier Derrien a imposé sa patte et sa façon de travailler. « Il a réussi à transformer le côté successful américain en le transposant en France », salue Maxime Laugier. Américain en France, avec cette fougue et cette ambition très nord-américaines et Français aux États-Unis, avec son franc-parler et son côté poil à gratter, Olivier Derrien brouille les pistes. « Mon surnom, avant Salesforce, c’était « the unfrench french », s’amuse-t-il.

Au-delà de Salesforce, il s'estime en mission: « On est là, martèle t-il, pour que le capitalisme change le monde ». Mais, partant du principe que son entreprise « n’y arrivera pas toute seule », il multiplie les initiatives pour en entraîner d’autres dans son sillage. Déçu par la politique, il explique qu'à son sens, « essayer, c’est déjà le début de l’échec ». « J’en ai marre de permission to fail, lance t-il. Tout le monde parle de permission to fail! Moi, c’est permission to succeed ! »

* Palmarès Great place to work 2019