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Orange condamné à payer 346 millions à son concurrent antillais

Digicel a racheté la filiale antillaise de Bouygues Telecom

Digicel a racheté la filiale antillaise de Bouygues Telecom - Pascalou Petit Wikimedia commons cc

Le tribunal de commerce de Paris condamne l'ex-France Télécom à indemniser Digicel pour ses pratiques anticoncurrentielles.

Double peine pour Orange. En 2009, l'ex-France Télécom avait été condamné à 63 millions d'euros d'amende par le gendarme de la concurrence pour "abus de position dominante" en Antilles-Guyane (une amende ramenée à 60 millions d'euros en appel).

Indemniser les victimes

Mais cette amende est allée dans les poches de l'Etat, et n'a pas indemnisé les "victimes", à savoir les deux opérateurs concurrents: Digicel (ex-Bouygues Telecom Caraïbes) et Outremer Telecom (filiale du groupe Altice qui détient 49% de ce site web). Tous deux ont donc porté plainte devant le tribunal de commerce de Paris pour réclamer des dommages et intérêts substantiels: 494 millions d'euros pour Digicel, et 75 millions d'euros pour Outremer.

Le tribunal vient de rendre son verdict concernant Digicel. Il estime que les pratiques commerciales d'Orange ont causé un préjudice sept ans durant à son concurrent. Précisément, il s'agissait d'un prix réduit pour les appels fixe vers mobiles Orange proposé aux entreprises, et d'un nouveau mobile offert pour les clients s'engageant pour deux ans chez Orange. Cette dernière pratique "a généré des effets anticoncurrentiels graves, en cristallisant la part de marché d'Orange, créant ainsi une barrière à l'entrée", écrivent les juges.

En revanche, le tribunal a estimé que d'autres pratiques d'Orange (pourtant condamnées par le gendarme de la concurrence) n'ont pas empêché Digiciel de se développer: proposer des appels mobile vers mobile Orange moins cher que les appels vers les mobiles Digicel; et demander à tous les distributeurs et réparateurs de l'île de ne travailler qu'avec Orange.

Au final, le tribunal a accordé à Digicel 179,64 millions d'euros de dommages et intérêts, actualisés avec un taux de 10,4% l'an, ce qui représente au total la coquette somme de 346 millions d'euros. Pour ce faire, les juges se sont basés sur une étude commandée par Digicel au cabinet Sorgem, dont "la méthode semble rationnelle, et les hypothèses cohérentes", indique le jugement (cf texte ci-dessous).

Echapper au paiement

Furieux, Orange a immédiatement fait appel, mais cela ne suspend pas le paiement des dommages. L'opérateur historique se refusant à payer, il a demandé à bénéficier d'une disposition du code civil, qui permet de ne pas verser la somme mais de la consigner auprès de la Caisse des dépôts. Ce que la justice lui a accordé.

Pour justifier sa demande, l'ex-France Télécom a argué que Digicel pourrait ne jamais rendre l'argent si la condamnation était annulée en appel:

"En cas d'infirmation du jugement, il existe un risque significatif que Digicel ne soit pas en mesure de restituer les sommes reçues. Digicel rencontre des difficultés financières très importantes, présente un endettement insoutenable, a dû renoncer à son introduction en bourse. Le groupe auquel Digicel appartient est implanté dans des paradis fiscaux [Ndlr: son siège est aux Bahamas] et particulièrement mal noté par les agences de notation. Digicel elle-même fait l'objet de réserves importantes dans la décision de l'Arcep du 11 octobre 2016 pour l'attribution de certaines fréquences".

Des arguments fermement contestés par Digicel:

"La société Digicel est solide. Elle dispose d'une capacité d'emprunt non utilisée qui pourrait lui permettre de mobiliser les sommes en cas de nécessité de restitution. Ses résultats sont tous largement positifs. La dette du groupe Digicel, qui a été renégociée est en voie de réduction".

Rappelons qu'il y a trois ans, le tribunal de commerce avait, pour les mêmes motifs, condamné Orange à payer 8 millions d'euros à Outremer Telecom, condamnation ramenée à 3 millions d'euros en appel.

Pour mémoire, Orange était en monopole aux Antilles-Guyane jusqu'à l'arrivée de Bouygues en 2000. En 2006, le groupe de BTP avait revendu cette activité à Digicel pour 155 millions d'euros. Créé et dirigé par le magnat irlandais Denis O'Brien, Digicel réalise 2,5 milliards de dollars de chiffre d'affaires auprès de 14 millions d'abonnés dans 32 pays, essentiellement des îles des Antilles et du Pacifique. Sa dette de 6,5 milliards de dollars est notée B2 chez Moody's et B chez Fitch, c'est-à-dire en catégorie spéculative (junk). Il y a un an, Moody's pointait "un cash flow négatif, un taux d'endettement élevé de 6,5 fois les profits, un chiffre d'affaires et un excédent brut d'exploitation en recul depuis deux ans".

Contacté, Orange s'est refusé à tout commentaire.

Jamal Henni