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Orange obtiendra-t-il le feu vert pour racheter Bouygues Telecom?

La nouvelle commissaire à la concurrence Vestager apprécie moins les fusions que son prédécesseur

La nouvelle commissaire à la concurrence Vestager apprécie moins les fusions que son prédécesseur - John Thys AFP

Un tel rachat sera vraisemblablement examiné par la Commission européenne, qui se montre de plus en plus exigeante sur les fusions entre opérateurs mobiles.

Lundi 7 décembre, l'agence Bloomberg a révélé la reprise des discussions sur un rachat de Bouygues Telecom par Orange. Mais une telle opération devra surmonter un obstacle de taille: passer sous les fourches caudines du gendarme de la concurrence. Revue de détail des différentes options.

1-quelles sont les réponses possibles?

C'est le gendarme de la concurrence qui autorise ou non les rachats. Il peut répondre de trois manières: 'non', 'oui', 'oui mais'. C'est-à-dire que le rachat peut être soit interdit, soit autorisé sans condition, soit autorisé sous conditions.

Par exemple, en 2010, le gendarme de la concurrence suisse a interdit la fusion des 2ème et 3ème opérateurs mobiles, qui aurait donné naissance à un duopole. Le rachat avait donc été annulé six mois après avoir été annoncé... De même, fin 2012, l'Autorité de la concurrence française a informellement dit non à un rachat de SFR par Free, qui avait donc été immédiatement abandonné. Puis, en 2014, le gendarme français a interdit le passage de trois à deux opérateurs à la Réunion et Mayotte, dommage collatéral du rachat de SFR par Numericable. Enfin, en septembre 2015, le passage de quatre à trois opérateurs mobiles au Danemark a été abandonné, faute d'accord avec la direction de la concurrence de la Commission européenne.

Inversement, Bruxelles a autorisé le passage de quatre à trois opérateurs en en 2012 en Autriche, puis en 2014 en Irlande et en Allemagne, en échange de concessions.

On attend maintenant les décisions de la direction de la concurrence européenne sur le passage de quatre à trois opérateurs mobiles en Italie et en Grande-Bretagne (où le verdict est attendu en mai 2016). 

2-Paris ou Bruxelles?

Le feu vert est accordé dans certains cas par le gendarme européen (la direction de la concurrence de la Commission européenne), et dans d'autres cas par le gendarme national (ici, l'Autorité de la concurrence française).

L'idée générale est que les rachats franco-français restent examinés par l'Autorité de la concurrence française, tandis que ceux qui ont un impact européen remontent à Bruxelles.

Mais en pratique, ce principe simple se traduit par des règles assez complexes. Ces règles se basent sur le chiffre d'affaires du groupe qui contrôle la cible (ici Bouygues) et du groupe qui contrôle l'acquéreur (Orange). Ensuite, ces règles comparent le chiffre d'affaires réalisé en France et celui réalisé dans l'Union européenne. Si la France représente plus des deux tiers du chiffre d'affaires réalisé en Europe, alors le rachat est considéré comme une affaire nationale, et est traité par l'Autorité de la concurrence. Sinon, le dossier remonte à Bruxelles. Dans ce dernier cas, le gendarme de la concurrence local peut toutefois demander le rapatriement du dossier. Mais, dans les mobiles, Bruxelles a toujours voulu garder les dossiers, et refusé les demandes des gendarmes allemand ou britannique.

Dans le cas présent, Bouygues réalise en France plus des deux tiers de son chiffre d'affaires européen. Mais la situation chez Orange est plus complexe. Interrogé, l'opérateur historique refuse de s'exprimer sur le sujet. Mais, selon des sources concordantes, la France pèserait (après le rachat de l'espagnol Jazztel mais avant la cession du britannique Everything Everywhere) moins des deux tiers du chiffre d'affaires européen. Conclusion: un tel rachat sera donc vraisemblablement examiné par Bruxelles. 

3-quelles conditions peuvent être imposées?

Les conditions qu'impose le gendarme de la concurrence sont le plus souvent des cessions d'actifs: fréquences, antennes, portefeuille de clientèle, boutiques... Ces actifs sont cédés soit aux opérateurs concurrents déjà en place, soit mis en réserve pour un éventuel nouvel opérateur... qui peut très bien ne jamais voir le jour. C'est ce qui s'est produit en Autriche: la direction de la concurrence européenne avait imposé à l'acquéreur de rendre une partie de ses fréquences (20 mégahertz), de façon à permettre la renaissance d'un nouvel opérateur, toujours pas arrivé. Puis en Allemagne, l'acquéreur a dû promettre de revendre à un éventuel nouvel opérateur des boutiques, des sites pour installer ses antennes, mais aussi de lui louer des fréquences. Au Danemark, Bruxelles a même exigé de rendre possible la renaissance d'un nouvel opérateur, ce que les opérateurs ont refusé, faisant capoter la fusion.

Le gendarme de la concurrence peut aussi imposer des mesures favorisant la concurrence, par exemple sur ses tarifs, ou sur les conditions faites aux concurrents, comme les opérateurs mobiles virtuels. En Autriche, Bruxelles avait imposé d'accueillir ces MVNO (mobile virtual network operator) à un prix fixé par le gendarme des télécoms... mais aucun MVNO n'est apparu ensuite. En Allemagne et en Irlande, un accord préalable avec un MVNO a donc été suggéré.

4-quel droit s'applique?

La direction de la concurrence européenne doit appliquer le droit européen, et ses décisions sont susceptibles de recours devant la justice européenne. Sa marge de manoeuvre n'est donc pas illimitée.

Toutefois, chaque pays est un cas différent. Et les convictions personnelles du commissaire européen à la concurrence comptent aussi. Ainsi, Joaquin Almunia (2010-2014) a autorisé tous les cas qui lui ont été soumis: Autriche, Irlande et Allemagne. Tandis que son successeur Margrethe Vestager a souligné que son premier critère sera le bénéfice pour le consommateur, et fait capoter la fusion au Danemark, y jugeant nécessaire un quatrième opérateur. Les observateurs assurent donc que la Danoise est plus encline à dire non que son prédécesseur espagnol...

Jamal Henni