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Orange et SFR lourdement sanctionnés par l'Autorité de la concurrence

Orange s'est vu infliger 39 millions d'euros d'amende en plus  pour "récidive"

Orange s'est vu infliger 39 millions d'euros d'amende en plus pour "récidive" - -

Les deux opérateurs se voient infliger une amende record de 183 millions d'euros.

Souvenez-vous. A partir de 2005, Orange et SFR ont commercialisé des forfaits dits d'abondance, qui vous permettaient d'appeler de manière illimitée un correspondant... à condition qu'il soit abonné au même opérateur mobile. Sympathique au premier abord, ces forfaits constituaient en réalité des abus de position dominante. Tel est le verdict rendu jeudi 13 décembre par le gendarme de la concurrence. Résultat: Orange écope d'une amende de 117 millions d'euros, et SFR de 66 millions.

Des tribus emprisonnées

Dans une épaisse décision de 171 pages, rendue après six ans d'instruction, l'Autorité de la concurrence explique en quoi ces offres étaient anti-concurrentielles. En pratique, un client d'un tel forfait incitait ses proches à s'abonner auprès du même opérateur pour bénéficier des appels illimités gratuits -c'est ce qu'on appelle l'effet tribu. Et une fois que toute la tribu était cliente du même opérateur, elle devenait prisonnière de cet opérateur: en effet, passer à la concurrence lui revenait alors très cher.

Résultat: "ces offres ont verrouillé durablement les consommateurs auprès de leur opérateur, en augmentant significativement les coûts de sortie", écrit l'Autorité. En pratique, les clients de ces offres changeait d'opérateur jusqu'à 16 fois moins qu'un client moyen.

Autre problème: les plus petits opérateurs, comme Bouygues Telecom ou les opérateurs virtuels, avaient le plus grand mal à concurrencer ces forfaits, car leur parc de clientèle était bien plus réduit. "Ces offres ont fragilisé Bouygues", estime l'Autorité, pour qui "il existait un risque important que Bouygues soit évincé du marché".

Finalement, Bouygues, pour rester dans la course, s'est résolu à lancer en 2006 une offre baptisée Neo, proposant des appels illimités non pas vers son propre réseau, mais vers tous les opérateurs. Une décision qui lui a coûté une fortune: en effet, un opérateur ne dépense rien pour un appel destiné à un autre abonné de son réseau, mais en revanche doit payer un appel destiné à un autre opérateur. Selon l'Autorité, Bouygues a ainsi dû verser 600 millions d'euros supplémentaires à ses deux concurrents suite au lancement de Neo.

Délinquant multirécidiviste

L'Autorité rappelle que ces offres jouaient un rôle central à l'époque. En effet, "70% des consommations d'un abonné sont destinées à ses trois interlocuteurs favoris". Surtout, "entre 2005 et 2007, la clientèle grand public d’Orange et de SFR souhaitant souscrire un forfait postpayé n’avait pas d’autre choix que ces offres d’abondance". Résultat: ces forfaits "ont représenté jusqu'à 34% du chiffre d'affaires des offres grand public pour SFR, et jusqu'à 43% pour Orange".

L'affaire avait été déclenchée par une plainte déposée par Bouygues en 2006. L'enquêt a duré très longtemps, notamment car le collège de l'Autorité avait estimé en 2009 que l'instruction avait été mal faite par les services. En outre, Orange avait multiplié les recours au cours de la procédure, allant jusqu'à déposer deux questions prioritaires de constitutionnalité, ce qui a retardé le verdict de deux ans.

A noter que l'Autorité a considéré qu'Orange méritait une amende plus forte étant donné son lourd passif de comportements anti-concurrentiels (6 condamnations en 15 ans). A cause de ce comportement de récidiviste, l'amende infligée à la filiale de France Télécom a été augmentée de 39 millions d'euros.

Les montants infligés restent toutefois inférieurs à l'amende record infligée aux trois opérateurs mobiles en 2005 pour "entente".

Dans un communiqué, Orange a indiqué qu'il allait faire appel, et rappelé que "de tels forfaits constituaient pourtant une première expérience de l'abondance mobile, plébiscitée aujourd’hui par les consommateurs".

De son côté, Bouygues a annoncé qu'il allait "demander réparation du préjudice". En effet, l'amende infligée par l'Autorité va dans les caisses de l'Etat, et non dans les poches de la victime, qui peut se tourner désormais vers le tribunal de commerce.

Jamal Henni