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Parce qu'ils "oublient" les femmes, les banques et les assureurs perdent des milliards chaque année

Pour éviter de passer à côté d'opportunités d'affaires, il faudrait concevoir des produits et des services qui prendraient en compte "les besoins des clients-femmes sans les réduire à un simple segment".

Pour éviter de passer à côté d'opportunités d'affaires, il faudrait concevoir des produits et des services qui prendraient en compte "les besoins des clients-femmes sans les réduire à un simple segment". - Pixabay

Un rapport publié cette semaine par le cabinet Oliver Wyman met en exergue le fait que si les sociétés de services financiers prenaient davantage en considération les besoins de leurs clientes, les entreprises en question bénéficieraient de milliards de dollars d'opportunités d'affaires additionnels chaque année.

Dans la 3e édition de son rapport intitulé "Women in Financial Services" et publié mercredi, le cabinet de conseil Oliver Wyman est arrivé à la conclusion suivante: "Penser différemment en termes de genre" permettrait aux entreprises de services financiers de "tirer parti d’opportunités de génération de revenus plus importantes".

Dans l'absolu, si le document évoque des progrès significatifs pour ce qui est de la "proportion de femmes accédant à des postes de top management dans les services financiers" - elles seraient aujourd'hui 20% à intervenir au sein de comités exécutifs ou de comités de direction et 23% à s'y atteler au sein de conseils d'administration (au niveau mondial), pointe le document – ce qui ressort principalement de cette étude, c'est avant tout ce chiffre d'envergure: "les sociétés de services financiers pourraient gagner plus de 700 milliards de dollars de revenus annuels additionnels si elles prenaient mieux en compte les attentes de leurs clientes femmes".

Pourquoi un tel montant?

Un chiffre que le cabinet Oliver Wyman qualifie de "colossal". Pour justifier un tel montant, Martina Weimert, associée au sein du cabinet et spécialisée dans les services financiers, explique que ces 700 milliards de dollars perdus annuellement tant par les banques que par les assureurs seraient la résultante de produits financiers trop généralistes élaborés pour "l'homme moyen" qui ne sont ni adaptés au profil des femmes, encore moins à leur parcours de vie et à leurs besoins.

"Si l'on prend en compte le taux d'équipement en matière de produits financiers, les femmes se révèlent totalement sous-équipées comparées aux hommes", pointe Martina Weimert. "Pourtant, à revenus égaux, ces dernières devraient bénéficier d'un niveau d'équipement comparable à celui des hommes. Ce qui n'est ni le cas pour des produits comme l'assurance-vie, les crédits immobiliers, ou encore les crédits destinés aux créateurs d'entreprise. Lorsque l'on fait le global de tout, on atteint donc un montant d'opportunités perdues pour les acteurs financiers de 700 milliards par an au niveau mondial. Aujourd'hui, il s'agit d'un problème de business qui concerne tout un écosystème et qui de ce fait dépasse largement le cadre de la parité hommes-femmes", assure l'experte. "Il y a un enjeu majeur à le considérer".

Dans le détail, d'après l'étude en question, les gestionnaires d'actifs se verraient privés, à titre d'exemple, de 25 milliards de dollars d'opportunités d'affaires chaque année. Les banques, si elles amélioraient leurs échanges avec leurs clientes pourraient engranger annuellement 80 milliards de dollars d'opportunités supplémentaires. Mais le chiffre le plus marquant constitue sans nul doute celui qui concerne les assureurs. Si ces acteurs assuraient, toujours selon l'étude, les femmes dans la même proportion que les hommes, ils pourraient obtenir chaque année 500 milliards d'opportunités d'affaires en plus.

Une stratégie mal ficelée

Selon Jessica Clempner, spécialisée dans les services bancaires destinés aux particuliers ainsi qu'aux entreprises et auteure du rapport, "les femmes constituent le segment de clientèle le plus mal adressé par les sociétés de services financiers et ce, alors même qu'elles jouent un rôle de plus en plus influent en tant qu'acheteuses". "En ne cherchant pas à satisfaire ni même essayer de comprendre leurs attentes, les entreprises du secteur se tirent clairement une balle dans le pied".

Un avis que partage Martina Weimert. Outre le fait que, selon l'experte, les femmes ont – pour 25% d'entre elles – "moins confiance dans leur capacité à gérer des produits financiers, il s'agit aussi et surtout d'une problématique d'approche clients opérée par les établissements financiers", détaille-t-elle.

"Une femme n'a pas la même carrière qu'un homme dans le sens où elle interrompt sa carrière plus souvent qu'un homme. De ce point de vue-là, la vie d'une femme s'avère moins linéaire, elle ne peut donc pas avoir la même approche vis-à-vis du risque. Les femmes ont donc besoin de produits qui se veulent conformes à leurs attentes. Elles détestent, par ailleurs, les jargons des prestataires financiers. Elles ont besoin de disposer d'une approche et de produits individualisés. Et ce manquement, ainsi qu'un service qui est moins calé sur les attentes des femmes du côté des acteurs des services financiers, sont justement à l'origine de ce manque à gagner", souligne la spécialiste.

D'autres observateurs considèrent que l'aversion au risque n'a rien de culturelle. En matière de stratégie financière, les hommes et les femmes ne feraient pas les mêmes erreurs. Pour couronner le tout, les hommes se révéleraient bien plus confiants que les femmes dans les arbitrages financiers qu'ils effectuent et seraient, à ce titre, plus enclins à prendre des risques que la gent féminine.

Quels leviers activer?

Pour éviter de passer à côté d'opportunités d'affaires, Jessica Clempner préconise aux sociétés financières de concevoir des produits et des services qui prendraient donc en compte "les besoins des clientes sans toutefois les réduire à un simple segment de clientèle". Elles pourraient ainsi élaborer des produits destinés à l'ensemble de leur clientèle et non plus seulement à la gent masculine. Or c'est actuellement le cas des produits de gestion patrimoniale. Lesquels, selon le rapport, ne prennent pas en considération les souhaits des femmes.

"Les femmes ont un profil face au risque assez variable", précise Martina Weimert. "La majorité d'entre elles n'est encore pas bien informée. C'est la raison pour laquelle elles prennent moins de risques que les hommes dès lors qu'il s'agit de structurer des placements. L'approche développée par les services financiers ne peut donc pas être collée à celle de 'l'homme moyen'. Il convient de revoir les produits qui leur sont adressés et de davantage les personnaliser en vue, d'une part, de mieux répondre aux attentes des femmes. D'autre part, d'éviter aux acteurs de la finance de passer à côté de centaines de milliards d'opportunités d'affaires chaque année", lance Martina Weimert.

Au final, le document élaboré par le cabinet Oliver Wyman s'emploie à rappeler aux organisations du secteur la nécessité d'"adopter une approche plus large de la diversité et [de] la parité pour être en capacité de réaliser des progrès significatifs".

Selon le rapport, la proportion de femmes PDG (6%) ou administratrice (9%) demeure, par ailleurs, encore beaucoup trop faible. D'où la recommandation de Ted Moynihan, associé en charge des services financiers au sein du cabinet, pour qui il s'avère aujourd'hui essentiel de se pencher, en interne, sur "la question de l’égalité hommes-femmes". Laquelle, conclut-il, "concerne directement de nombreuses parties prenantes dans le secteur des services financiers".

Julie Cohen-Heurton