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Pascal Pavageau (FO): l'homme qui veut « résister, revendiquer, conquérir »

Pascal Pavageau, Secrétaire général de Force Ouvrière, à son bureau parisien, qui fut celui de Léon Jouhaux, le fondateur du syndicat.

Pascal Pavageau, Secrétaire général de Force Ouvrière, à son bureau parisien, qui fut celui de Léon Jouhaux, le fondateur du syndicat. - -

Les partenaires sociaux ont reçu la lettre de cadrage du gouvernement pour la réforme de l’assurance-chômage. Comme d’autre syndicats, Force ouvrière s’est dit prêt à négocier, sous conditions. En début de semaine, le Secrétaire général de FO, Pascal Pavageau, nous a reçus au siège du syndicat à Paris. Portrait.

« J’adore Batman, parce que c'est pas un super héros. Il n’a pas de super pouvoirs. C’est juste un homme avec sa part d’ombre, seul au début, avec pas mal de drames, et qui arrive à s’entourer d’une équipe de super héros. J’ai toujours trouvé ça génial! » Ce fan de Batman, c’est Pascal Pavageau, le secrétaire général de Force ouvrière. Dans son bureau, qui donne sur les toits du quatorzième arrondissement de Paris, il y a la statuette de l’homme chauve-souris et d’autres comics, des tableaux très colorés qu’il a peints lui-même, des photos de famille, pas mal de bibelots et des affiches de FO…

« J’aime bien mon côté kitsch », sourit Pascal Pavageau, qui s’arrête sur le dernier double-album de Rainbow, « le plus grand groupe de hard rock de l’histoire de l’humanité ! » Cet opus-là a une saveur toute particulière puisque c’est le premier du groupe depuis vingt ans et qu’il est sorti en France le 28 avril, soit le jour de l’élection de Pascal Pavageau à la tête de Force ouvrière. D’ailleurs, il n’en est toujours pas complètement revenu: « Franchement, c’est dément! », s’emballe le Secrétaire général, qui tente de ne jamais manquer un bon concert de hard rock.

« J’adore mon métier »

Là, dans son costume de leader syndical, assis à sa table de réunion, il se prête au jeu des confidences et retrace son parcours. Sa voix trébuche quand il évoque son enfance. Il cherche les mots. « Objectivement, confie-t-il, tout est très très très hard dès la première seconde (…) On le mettrait dans un scenario de film, on n’y croirait pas… » Né sous X, il y a 49 ans, Pascal Pavageau a été adopté « à un an et des brouettes » par un couple d’enseignants, dans le Loiret. « On n’avait pas de contact », lâche-t-il, fataliste, quand on lui demande si c’est d’eux qu’est venue la fibre syndicale. Il l’a acquise tout seul.

Jeune, il dévore les émissions politiques comme « L’Heure de vérité » et « Sept sur Sept », ainsi que les d’hebdomadaires de tous bords, qu’il arrive à dénicher. « J’étais très curieux de savoir ce que c’était d’être de droite ou de gauche », explique Pascal Pavageau, « mais j’ai su assez vite que je n’adhérerais pas à un parti politique. » Il se plaît à rappeler qu’à partir de la 6ème, il est élu délégué de classe tous les ans jusqu’à son entrée à l’Ecole nationale des travaux publics de l’Etat (ENTPE), où il créé la section Force Ouvrière des élèves ingénieurs. Remarqué par les dirigeants du syndicat, il milite de plus en plus, en parallèle d’une carrière d’ingénieur des travaux publics de l’Etat.

« J’adore mon métier », souligne Pascal Pavageau, qui travaille tour à tour pour la police de l’eau à Lille, sur les voies navigables à Douai et à la direction de l’environnement à Orléans. Petit à petit, il progresse dans l’organigramme de FO et ne cache pas ses ambitions. Dès 2011, il prévient d’ailleurs Jean-Claude Mailly qu’il sera candidat à sa succession, quand il aura décidé de raccrocher. « C’était juste pour le prévenir », tempère Pascal Pavageau, qui a finalement été élu en avril dernier avec 97% des voix. Il était le seul candidat. 

Tensions 

Depuis, les tensions ont éclatées au grand jour, incarnées notamment dans un mail adressé par Jean-Claude Mailly à son successeur, qui a fuité dans Le Monde. Il y parle de « mensonge » et de « duplicité ». « Puisque tu sembles n’avoir retenu de L’Internationale qu’une phrase : “du passé, faisons table rase”, écrit Jean-Claude Mailly, « je te conseille de m’oublier et d’exister par toi-même dans un contexte difficile qui nécessite détermination, sang-froid, écoute, diplomatie, responsabilité et souci de l’unité. » Ambiance.

Pascal Pavageau se défend de toute « rancoeur » ou « animosité », mais il regrette que Jean-Claude Mailly, qui a dirigé FO pendant quatorze ans, « se soit coupé de l’organisation, y compris de son successeur, sur la dernière année de son mandat ». Il dénonce « un positionnement personnel, en lien avec le Président de la République ». De temps à autre, il lève les yeux vers les portraits de ses prédécesseurs, accrochés au mur, au-dessus de la table de réunion. Ils y sont tous, sauf Jean-Claude Mailly. Une collaboratrice nous expliquera plus tard que c'est parce qu’il n’y a que les photos de ceux qui ne sont plus de de monde.

« Ce qu’a dit Mailly, c’était pas exagéré », nous raconte au téléphone une source qui souhaite rester anonyme. Rires nerveux au bout du fil: « Je n’ai pas gardé un très bon souvenir de la loyauté et de la franchise de Pascal Pavageau. » Elle le décrit comme un « manipulateur » et un « menteur froid » et elle enfonce le clou: « En fait, je n’ai jamais vu quelqu’un qui mentait à ce point-là. » Une autre source, anonyme aussi, commente l'attitude « extrêmement dure » du nouveau patron de Force Ouvrière, qui a commencé par « remplacer pas mal de monde en interne. » Béatrice Clicq fait partie des nouveaux venus du bureau confédéral. Pour elle, Pascal Pavageau a « un peu cassé les codes sur le principe, pour aller chercher de nouveaux profils » et "des compétences » dont il avait besoin, mais elle défend un homme sensible et très à l’écoute. Et à ceux qui le placent dans une droite ligne "trotskyste", elle répond qu’elle voit plutôt un réformiste. « Il sait ce qu’il veut », admet Béatrice Clicq, « mais il vaut mieux savoir ce qu’on veut, quand on est à la tête d’un syndicat. » 

« Je tourne assez peu autour du pot »

« Je tourne assez peu autour du pot », raconte Pascal Pavageau. Il précise: « Je ne vais pas dire qu’il y a des choses acceptable alors qu’il n’y en a pas » (…) « Mais en même temps, je suis fonctionnaire, je sais me tenir et j’ai un immense respect pour tous les interlocuteurs, surtout ceux avec qui je ne suis pas d’accord. » Il défend le débat d’idées et le dialogue. Son nouveau slogan, c’est « résister, revendiquer, conquérir ». Car derrière cette voix calme, il y a de grosses ambitions.

Certains évoquent le « côté messianique », d’un homme qui se voit en « principal opposant à Emmanuel Macron ». Pascal Pavageau, lui, s’appuie sur le mandat qu’il a reçu de ses camarades pour « tenter de préserver le modèle social », face aux « attaques » de l’exécutif. « Je veux », dit-il, « dans deux ou trois mandats, pouvoir dire qu’on a tenu la baraque, qu’on a réussi à se développer, à résister aux attaques et qu’on est revenus sur une pente un peu positive en matière de progression. » 

Objectif: modernisation 

Pascal Pavageau a choisi de répondre autant que possible aux (nombreuses) sollicitations des médias pour « faire passer des messages, sans travestir la revendication. » Objectif: modernisation. « On a plein de choses à dire, et pas seulement qu’on est contre », résume le secrétaire général, qui veut gagner la bataille de la communication face à Emmanuel Macron, ce « roi de la comm. » Et pour avoir plus d’impact, il n’hésite pas à s’inspirer de films: « Les deux Voldemorts du vocabulaire jupitérien », dit-il par exemple, « c’est égalité et solidarité: les deux mots qu’on ne prononce jamais. » Il cite aussi « Hunger games » ou le slogan du célèbre fast-food américain, « Venez comme vous êtes » pour évoquer la multitude de sensibilités qui se côtoient à FO. 

« Houston, we have a problem », dit l’affiche posée face à son bureau, juste devant la porte d’entrée, comme pour rappeler la profondeur de la mission. Une affiche « pleine de références », trouvée dans une brocante avec sa compagne. Quand il n’est pas au syndicat, ce père de trois enfants, étudiants, court beaucoup (un semi-marathon tous les quinze jours), peint, se perfectionne sur l’art aborigène au gré des expositions et il écoute du hard-rock… C’est là aussi, sans doute, qu’il puise une partie de sa force, à défaut de super-pouvoirs. 

Pauline TATTEVIN