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Patrick Poirrier (Cémoi) : L'industriel, "c'est un artisan qui a grandi "

Patrick Poirrier a repris les rênes de l'entreprise familiale en 2005.

Patrick Poirrier a repris les rênes de l'entreprise familiale en 2005. - Crédit photo : Cémoi

À l’occasion du Salon du chocolat qui se tient à Paris jusqu’au 4 novembre, nous avons rencontré le patron de Cémoi, premier vendeur de chocolat en France. Passionné de cacao, Patrick Poirrier dirige l’entreprise familiale depuis 13 ans « avec la rigueur d’une entreprise internationale et l’esprit de PME ». Portrait.

Quand on le retrouve en cette fin octobre, Patrick Poirrier est en train de terminer tranquillement son petit-déjeuner dans un café du quinzième arrondissement de Paris. À quelques encablures de là, Porte de Versailles, se poursuit le Salon du Chocolat, où il vient de passer une partie de la semaine. Pas mécontent d’avoir quitté le brouhaha du Parc des Expositions (il paraît même gêné par le bruit du percolateur et des tasses qui s’entrechoquent), le PDG de Cémoi, qui est aussi Président du Syndicat du chocolat, se félicite d’avoir passé de bons moments à ce grand rendez-vous, qu’il ne manque pas depuis dix ans. La star, encore, cette année, c’est le petit ourson guimauve. La Maire de Paris, Anne Hidalgo, a eu sa photo devant sa reproduction géante, qui est équipée d’un « calinomètre » pour mesurer l’étreinte des visiteurs. Ce salon, nous dit Patrick Poirrier, c’est « un moment de communication et un moment de communion entre les artisans et les industriels ». Il ne comprend pas qu’on oppose parfois les deux : « L’industriel, explique t-il, c’est un artisan qui a grandi. La technique n’a pas changé depuis deux cents ans. Les machines sont plus grosses et les règles d’hygiène ont évolué, mais pas la technique ».

Prise de risque entrepreneuriale 

À 47 ans, il connaît par coeur l’histoire de l’entreprise familiale, basée à Perpignan. Tout est parti du coup de coeur de son grand-père, George Poirrier. De retour du Maroc, après la guerre, il a repris la maison Cantaloup, dans les Pyrénées Orientales. Seul, puis avec son fils Jean-Claude, il l’a développée, à coup d’acquisitions, puis ils l’ont renommée Cémoi, du nom d’une marque connue, qu’ils ont rachetée à Lustucru. Patrick Poirrier salue la « prise de risque entrepreneuriale » de ses prédécesseurs. Quand il a pris les rênes en 2005, le groupe comptait plus de 3 000 collaborateurs, en France, mais aussi à l’étranger, jusqu’en Côte d’Ivoire, où un premier site avait été inauguré en 1996. Patrick Poirrier a d’ailleurs passé deux ans et demi à Abidjan pour lancer l’aventure.

Aujourd’hui, Cémoi, c’est 15 usines, 3 600 salariés et un chiffre d’affaires de 820 millions d’euros. C’est le premier chocolatier de France, en volume, et « le troisième ou quatrième » au niveau européen. Dans un secteur qui s’est fortement concentré, son PDG nous assure que le groupe est dans le top dix mondial, « avec un marché qui croit de 2% à 3% par an ». Mais à part dans quelques articles dans la presse spécialisée, un ou deux portraits et dans le traditionnel classement des plus grosses fortunes professionnelles de France de Challenges (180ème en 2018, avec 500 millions d'euros), on ne voit pas beaucoup apparaître le nom de Patrick Poirrier. « On communique sur ce qu’on fait », rétorque-t-il. Cette discrétion est-elle aussi due à la localisation du siège ? « Le seul à avoir vu le centre du monde à Perpignan, dit-il en souriant, c’est Dali ». Est-ce aussi une question de goût? De personnalité? « Je passe peut-être moins de temps sur Paris que dans les pays producteurs », explique le chef d’entreprise, qui est quand même à Paris tous les quinze jours, mais qui « préfère être dans une plantation que dans une salle climatisée ». Il n’est d’ailleurs « pas un grand fan » de ce type de classements des fortunes de France, dont il critique la méthode (« en France, on confond fortune et compte en banque ») et les dégâts collatéraux sur ses enfants à l’école. Il regrette que cela « n’explique pas la réalité du travail quotidien ».

Transmission familiale

Patrick Poirrier n’a vraiment pas le profil d’un flambeur. Né à Perpignan, il a grandi dans l’entreprise. À 15 ans, il a appris l’allemand en travaillant dans une usine, de l’autre côté du Rhin. Après une école de commerce et le décès de son grand-père, c’est donc logiquement qu’il a rejoint son père chez Cémoi. Il concède que cela n’a pas toujours été évident d’endosser le costume de patron, quand « on se retrouve à manager des gens qu’on a connu quand on était enfant » et que l’on doit « prendre des décisions difficiles avec des salariés que l’on connaît depuis longtemps ».

Formé au contrôle de gestion, Patrick Poirrier revendique une « fibre technique », que l’on perçoit quand il parle du goût du cacao et de sa transformation. Il a posé devant lui un petit carnet, dans lequel il griffonne des graphiques pour que l’on comprenne tout bien. Passionné par son sujet, « accroc », même, il compare la fabrique du chocolat à celle du vin, « avec pour chaque territoire, chaque variété, des goûts différents ». Il souligne l’importance de la fermentation, qui donne au cacao sa « complexité aromatique ». Pour le vin, comme pour le cacao, explique Patrick Poirrier, « ce sont les mêmes rituels : on regarde, on sent… » Cémoi a son propre centre de recherche à Perpignan et il a même créé un petit lexique, à destination de ses clients, pour que tout le monde utilise des termes identiques dans la description des sentiments et puisse définir « les notes de tête, de corps et de fin de bouche ». « On n’a pas besoin de chocolat pour vivre, mais on a besoin de plaisir », martèle Patrick Poirrier, dont le champ lexical tourne autour de cette idée, de ce qui est « plaisant », de ce qui lui « plaît », et ce dont il « plaisante » … Il s’assombrit en évoquant le « food bashing » contre l’industrie agroalimentaire française, « qui est pourtant, d’après lui, reconnue partout dans le monde, avec une sécurité qu’on n’a jamais eue à ce niveau-là ! ».

« Le chocolat est un produit magique »

Depuis treize ans, il dirige Cémoi « avec la rigueur d’une entreprise internationale et l’esprit d’une PME ». En pointant du doigt son smartphone, il explique qu’aujourd’hui, il ne peut plus « décrocher » complètement, tant il est suspendu au marché du cacao, « qui est ouvert tous les jours », à l’activité des usines, « qui ne s’arrêtent jamais » et au rythme des récoltes … « On travaille, dit-il, comme dans la mode, avec une saison en avance ». La vie de sa famille tourne autour du chocolat : « On se lève autour du cacao et on se couche autour du cacao », raconte Patrick Poirrier, dont l’épouse travaille dans la boutique de l’entreprise, à Perpignan. Leurs deux enfants (15 et 11 ans) ne sont pas hermétiques. Il faut dire, sourit-il, que « le chocolat est un produit magique. »

Il assure qu’il ne pense pas à sa propre succession et qu’il n’en a pas encore parlé avec eux. « J’espère que ça leur plaira, lance t-il. Le plus important, c’est la pérennité de l’entreprise. La transmission d’une entreprise familiale, c’est un vrai sujet en France ». Pour l’instant, chez Cémoi, cela s’est plutôt bien passé. Patrick Poirrier n’hésite pas, par exemple, à contacter son père quand il en a besoin. Mais il estime aussi que la transmission, « ce n’est pas quelque chose d’automatique. Il faut avoir envie de le faire! ». Il rappelle la responsabilité vis-à-vis des planteurs, des partenaires, des clients… et constate qu’il est toujours plus difficile en France qu’en Allemagne de transmettre une entreprise familiale. Transparent, il explique qu’il a reçu parfois des offres de rachat, mais que ce n’est absolument pas d’actualité.

« C'est qui le patron! »

La suite, pour Cémoi, c’est notamment le développement de la filière qualitative bio, sur laquelle le groupe travaille depuis plus de dix ans, déjà. Ce sont de nouvelles fonctions pour Patrick Poirrier à la World Cocoa Foundation, qui milite pour la durabilité de la filière au niveau mondial. C’est aussi l’essor des tablettes de chocolat « C’est qui le patron ! », sur le modèle des briques de lait. Le partenariat avec La marque du consommateur garantit un produit plus équitable et plus durable et des planteurs mieux rémunérés. Mais la suite immédiate, pour Patrick Poirrier, c’est surtout une journée parisienne avec sa famille qui l’a rejoint pour profiter un peu, en marge du Salon du Chocolat. Et il va falloir qu'il se dépêche, parce qu’on a largement dépassé l’heure de discussion que l’on s’était fixée… « Je vais me faire allumer! », dit-il en souriant et en se pressant de ramasser ses affaires. Aussi simplement qu’on l’a trouvé en arrivant.